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Les habitants de Jérusalem réagissent au blocage

Entre indignation et indifférence, MEE s’est entretenu avec des Palestiniens et des Israéliens sur leur ressenti vis-à-vis de la fermeture de Jérusalem-Est
Israël a fermé mercredi les accès de Jérusalem-Est (AFP)

Dans le quartier palestinien de Ras el-Amoud, situé dans la partie occupée de Jérusalem-Est, une foule s’est pressée à l’une des entrées. Environ vingt policiers surveillaient la zone pendant que des ouvriers manœuvraient une grande grue déposant des blocs de bétons sur la chaussée.

La fermeture des accès de Jérusalem-Est fait partie des mesures approuvées mardi par le Cabinet de sécurité israélien afin d’empêcher de nouvelles attaques visant des citoyens israéliens.

« Ce sont des étapes nécessaires pour nous assurer que nous contrôlons la situation, afin d’empêcher les terroristes de sortir de ces secteurs », a déclaré aux journalistes le commissaire Micky Rosenfeld au nom de la police.

« Les barrages routiers ont été mis en place pour nous assurer le contrôle des véhicules qui entrent dans le quartier ou qui en sortent », a-t-il ajouté.

La veille au soir, lors d’une séance spéciale de la Knesset, Benyamin Netanyahou avait prévenu : « Quiconque lèvera la main sur nous en paiera le prix fort. Et nous n’hésiterons pas à recourir à tous les moyens dont nous disposons pour rétablir la paix dans les villes d’Israël. »

Trente-deux Palestiniens et sept Israéliens sont morts dans les violences depuis le 1er octobre. La majorité des assaillants palestiniens proviennent de Jérusalem-Est. Trois d’entre eux venaient du quartier de Jabel Mukaber, et l’une des attaques survenues mercredi était le fait d’un jeune issu du quartier de Ras el-Amoud.

Bien que la police israélienne décrive ces récentes attaques comme des actes menés par des « loups solitaires » plutôt que comme des opérations organisées, le Cabinet de sécurité a vu en Jérusalem-Est la zone à cibler dans le cadre de ses mesures de sécurité.

Mounia Khacem, 55 ans, a regardé la police bloquer la route qu’elle emprunte pour se rendre à la vieille ville de Jérusalem. Elle pense que ce genre d’approche est contre-productif.

« Vous pensez vraiment que ça va mettre un terme à la violence », demande-t-elle en montrant les grues qui déposent les blocs de barrage.

« Ils appellent à la violence. Ils viennent nous dire que ce n’est pas notre ville. Ce sont eux qui nous occupent, et non l’inverse. »

Mounia Khacem se souvient d’un épisode similaire de la deuxième Intifada.

« À ce moment-là, il y avait aussi des barrages. Ils les ont retirés lorsqu’ils ont construit le mur d’apartheid, là-bas, à Abu Dis », a-t-elle expliqué en indiquant l’horizon. « Et maintenant, je ne sais pas quelle sorte de mur ils vont construire. »

Les quartiers défavorisés de Jérusalem-Est

Avant qu’Israël ne commence à élever le mur de séparation en 2004, les quartiers de Jérusalem-Est comme Ras el-Amoud et Jabel Mukaber étaient des passages vers la Cisjordanie. Aujourd’hui, cependant, ils sont devenus de véritables impasses. Ces quartiers portent les stigmates d’un dé-développement causé par des années de négligence de la part des autorités israéliennes.

Israël a annexé Jérusalem de manière unilatérale en 1980. Environ 300 000 Palestiniens vivent à Jérusalem-Est, aux côtés de 200 000 colons. Comme le souligne le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), la plupart des Hiérosolymites palestiniens ne disposent pas d’une citoyenneté de plein droit ni d’un statut assuré de résident légal, bien qu’ils soient détenteurs de papiers d’identité israéliens. Depuis 1967, à peu près 14 000 d’entre eux se sont vus retirer leur permis de résidence.

Les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est contrastent fortement avec les nouveaux logements dont disposent les colons juifs. Environ 35 % des terrains de Jérusalem-Est ont été confisqués par Israël pour les besoins de l’occupation, et seulement 13 % sont réservés à la construction de logements et infrastructures pour les Palestiniens.

Le nombre insuffisant de permis de construire a débouché sur des constructions illégales, entraînant leur démolition par les autorités israéliennes. L’OCHA estime que 2 000 structures palestiniennes ont été démolies depuis 1967.

Les institutions palestiniennes n’ont aucune juridiction à Jérusalem-Est, et le dernier bâtiment officiel palestinien, l’ancien quartier général de l’OLP situé à la Maison d’Orient, a été fermé par Israël durant la deuxième Intifada en 2001.

« Il y a une occupation brutale qui contrôle tous les aspects de la vie en Palestine, et plus particulièrement à Jérusalem-Est », a déclaré à MEE le porte-parole de l’OLP Xavier Abou Eid.

« Israël s’est ingénié à fermer toutes les institutions palestiniennes dans la Jérusalem occupée, et en particulier la Maison d’Orient, mais aussi beaucoup d’autres qui fournissaient des services à notre peuple. Ne pas les rouvrir est l’une des nombreuses violations israéliennes des accords qui ont été signés. »

Des vies connectées

À Ras el-Amoud, Mounia Khacem pense que cette nouvelle séparation ne sera pas permanente. « S’ils veulent nous isoler complètement, ils perdront », a-t-elle affirmé. Elle fait un signe en direction de Jérusalem-Ouest et ajoute : « La plupart d’entre nous travaillent là-bas pour des salaires très bas. Nous sommes connectés avec les gens de l’Ouest par l’économie, nous dépendons les uns des autres. Il n’y a qu’un seul moyen de sortir pacifiquement de tout cela, c’est de mettre fin à l’occupation. »

Issam Khayyat, 28 ans, se tient devant la boucherie du coin et regarde le trafic s’épaissir. Pour lui, c’est la vie de tous les jours. « Peu importe s’ils bloquent la route, s’ils nous reprennent nos cartes d’identité bleues [israéliennes] pour nous en donner des vertes [palestiniennes], Jérusalem reste notre ville », a-t-il déclaré à MEE.

« On a déjà vu ça par le passé, a-t-il ajouté, il y a un mur là-bas, et un barrage ici, ça ne fait aucune différence pour nous. Maintenant, je ne peux plus aller prier à al-Aqsa : aucun problème, je prierai ici, dans la rue, à l’extérieur de notre mosquée. Jérusalem est en nous, ils ne peuvent pas nous l’enlever », a-t-il poursuivi.

Juste à côté du barrage, de grands bâtiments ont été confisqués par les colons juifs au cours des cinq dernières années. « C’est paradoxal que ce soient eux qui vivent dans la peur », a commenté Issam Khayyat en montrant leurs caméras de sécurité et leurs armes. « Regardez, ils ont une armée pour les protéger, et ils ont quand même peur. »

Les routes de Jabel Mukaber et de Ras el-Amoud étaient quasiment vides mercredi à l’heure de pointe, ce qui indique que les habitants palestiniens de Jérusalem vont probablement se montrer prudents, par crainte des violences.

« Tout reviendra à la normale »

Au « Markaz falafel » de la rue Hanevim, à Jérusalem-Ouest, Moti, le propriétaire juif du restaurant, annonce qu’il refuse d’avoir peur. « Je vois bien que les gens ont peur. Mon chiffre d’affaires a drôlement baissé la semaine dernière, les rues sont désertes. »

Il pense qu’il est capital de surmonter cette période. « Je possède ce commerce depuis 40 ans et j’ai vu des tas de choses se passer par ici », a-t-il expliqué. « Il y a des gens dingues de chaque côté qui font toutes ces choses, mais je pense que dans quelques jours, tout reviendra à la normale. »

À Musrara, quartier palestinien historique qui a été saisi par Israël en 1948 et qui a été le lieu d’une récente attaque, un étudiant juif de 27 ans, Boaz Attias, affirme avoir l’habitude que la situation explose chaque année. « On est en Israël », a-t-il avancé. « Le climat se tend, puis tout se calme. »

Bien qu’il croie que les choses repasseront sous contrôle, il doute que l’approche actuelle puisse résoudre le problème rapidement.

« En ce moment, ce sont des individus seuls qui commettent les attentats », explique-t-il, « donc, ce n’est pas une armée contre une armée, ou un État contre un État. » Une solution à plus long terme, selon lui, serait un État dans lequel juifs et Palestiniens jouiraient des mêmes droits.

Xavier Abou Eid pense pour sa part que les mesures actuelles ne s’attaquent quasiment pas au problème de fond de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie ou de Gaza, à savoir l’occupation militaire actuelle.

« Ces démarches renforcent le régime d’apartheid sur le terrain, transformant l’occupation en annexion, et faisant de Jérusalem une ville exclusivement juive », a-t-il affirmé à MEE.

« Le projet d’Israël n’est pas la coexistence mais l’Apartheid, un État avec deux systèmes distincts, l’un pour les citoyens juifs privilégiés, et l’autre pour les Palestiniens, chrétiens et musulmans. »

À l’inverse, devant la porte de Damas, sur les lieux d’une autre attaque, Micky Rosenfeld pense que les 1 500 policiers supplémentaires en service et les barrages sont la bonne solution.

« Si nous n’avions pas pris ces mesures, il y aurait plus de tensions et plus d’attaques », a-t-il déclaré à MEE. « La situation est sous contrôle. »

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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