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Les Israéliens noirs promettent une intifada contre le racisme

Marginalisés depuis leur arrivée en « Terre promise » au début des années 80, les Israéliens d’origine éthiopienne font entendre leur voix en manifestant violemment
Un Israélien d'une communauté éthiopienne saigne suite aux affrontements avec les forces de sécurité, Tel Aviv, le 3 mai 2015

Tel Aviv : Arroseuses, grenades paralysantes et charges à cheval. Le police israélienne n’y est pas allée de main morte pour réprimer la manifestation non autorisée qu’organisaient dimanche à Tel-Aviv des milliers de jeunes israéliens d’origine éthiopienne excédés par le racisme dont ils se disent  les victimes.

Deux jours après une première démonstration violente organisée à Jérusalem, les protestataires n’avaient en tout cas rien perdu de leur volonté d’en découdre avec l’« establishment blanc » d'Israël. « Etre noir est une fierté », scandaient-ils. « Nous sommes des juifs et des Israéliens comme les autres ».  Bilan de l’émeute ? Quarante-six blessés et dix-neuf arrestations.

« Les Israéliens d’origine éthiopienne ne veulent plus être des citoyens de seconde zone. Des assistés permanents  que l’on parque à la périphérie des villes parce que l’on aime pas la couleur de leur peau », proclamait  Dina Sarawagati, une jeune femme venue spécialement de la périphérie d’Ashdod pour clamer son désarroi.  « J’ai 25 ans, j’ai grandi dans ce pays,  et je suis diplômée en droit depuis 2014. Pourtant, je survis en étant caissière dans un supermarché ouvert vingt heures sur vingt-quatre.  Si j’avais été blanche, j’aurais déjà trouvé un bon travail accompagné d’un salaire décent. Or, parce que je suis noire, je rame en gagnant le smic. Chaque fois que je me présente à un emploi en rapport avec mes compétences, on promet de me rappeler mais personne  ne le fait jamais ».  Et de poursuivre : « Un jour, dans le couloir d’un grand cabinet d’avocats de Tel-Aviv, j’ai même entendu une secrétaire dire à son patron qu’il avait bien fait de ne pas m’engager parce qu’autrement, “ça aurait pué“ dans les bureaux ».

Les violences de ces derniers jours à Jérusalem et à Tel-Aviv ont éclaté peu après la diffusion par le journal de la deuxième chaîne de la télévision israélienne (l’émission d’informations la plus regardée) d’une vidéo montrant un soldat noir de l'armée israélienne battu sans raison par deux policiers en uniforme. Un incident suivi par un autre du même genre quelques heures plus tard.

Racisme au quotidien

Réagissant à l’émoi provoqué par la diffusion de la séquence, l’état-major de la police a rapidement  suspendu les policiers cogneurs. Mais il était trop tard car cette affaire s’ajoutait à de nombreux autres événements du même genre : le refus de plusieurs écoles d’accueillir des élèves d’origine éthiopienne,  des remarques racistes émanant d’enseignants et le refus d’entrée opposé à des Ethiopiens désireux de sortir dans les discothèques de Tel-Aviv, entre autres.

« Il arrive un moment où il n’est plus possible  de subir tout cela en se taisant », affirme Shlomo Mulla, un ancien député devenu activiste social pour sa communauté. « Le plus dur pour les jeunes de notre communauté, c’est l’accumulation des frustrations », poursuit-il. « Tout se passe comme si l’on instaurait une ségrégation entre nous et le reste de la population israélienne. Comme si nous étions destinés  à vivre en marge de cette société dont la plupart d’entre nous veulent tant faire partie ».

Arrivés en masse en Israël à partir du début des années 80 dans le cadre de l’opération « Salomon » organisée par le Mossad (les renseignements extérieurs israéliens), les juifs d’Ethiopie représentent 2 % de la population d'Israël. A peine ces nouveaux Israéliens  avaient-ils commencé à s’installer que le rabbinat ultra-orthodoxe de Jérusalem a marqué une différence en mettant en doute leur judaïsme et en exigeant la mise en place d’un processus de conversion. Parallèlement à cette première forme de discrimination, des milliers de femmes d’origine éthiopienne  ont été obligées de subir une série de « vaccinations obligatoires ». Or, il est apparu par la suite que ces piqures faisaient partie d’un traitement contraceptif administré à leur insu pour les empêcher de procréer.

Depuis lors, à part quelques exceptions telles que le top model Yityish Titi Aynaw qui poursuit une carrière internationale,  la plupart des « olim » (immigrants) d’origine éthiopienne  vivent en marge. Certes, ils font l’armée  et sont souvent  affectés à des unités d’élite, mais leur communauté n’a pas voix au chapitre.

Vers une commission d’enquête parlementaire ?

Depuis la première « intifada noire » provoquée  en 1995 par le refus des hôpitaux israéliens de garder le sang des « olim »  éthiopiens au prétexte qu’il serait « porteur du sida », les différents gouvernements successifs ont pourtant lancé de nombreux programmes censés aider à l’intégration des Israéliens d’origine éthiopienne. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais été financés et les résultats des autres ne  sont pas probants.

Car le problème du rejet des « olim » noirs n’est pas nouveau. En 2013, des milliers d’entre eux  avaient  d’ailleurs déjà défilé à Kiryat Gat, une petite ville du sud d’Israël où la municipalité leur refusait des logements publics pour « des raisons d’hygiène ». Dans la foulée, Benyamin Netanyahou s’était engagé à intervenir comme il l’a fait le 4 avril en recevant des représentants de cette communauté. Mais rien n’a été fait. Et de toute façon, ceux qui ont manifesté ces derniers jours  à Jérusalem et dimanche à Tel-Aviv ne croient plus aux promesses.

« Si déjà on autorisait les juifs d’Ethiopie à émigrer librement en Israël comme c’est le cas pour tous les juifs du monde au lieu de fixer des quotas, ce serait un beau progrès car nous ne nous sentirions pas différents », affirme Gabi Yeverkan, l’un des animateurs du Forum contre le racisme et la discrimination. « Et si, au lieu de nous confiner dans la périphérie de petites villes défavorisées, on nous aidait à se loger partout ailleurs en Israël, nous serions moins marginalisés. »

Pour l’heure, ces propositions ne sont cependant pas à l’ordre du jour. A l’occasion de la rentrée parlementaire qui se déroulait lundi à Jérusalem, plusieurs nouveaux députés élus au soir des législatives du 17 mars dernier ont certes fait part de leur « préoccupation » sans annoncer pour autant des projets de réformes. Quant à l’ancienne ministre de la Justice et désormais députée travailliste Tzipi Livni, elle a plaidé en faveur de la création d’une commission parlementaire d’enquête sur la situation des Israéliens d’origine éthiopienne. Son appel n’a pas recueilli d’écho.

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