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Liban : un an et toujours sans président

En marge des plus grands conflits de la région, le Liban fait face à une sérieuse crise politique qui ne semble pas prête d’être résolue

Ce 25 mai a eu une signification toute particulière au Liban. En plus de marquer les 15 ans de la libération du Sud-Liban de l’occupation israélienne, c’est aussi un anniversaire plus sombre qui est passé presque en catimini. Il y a un an de cela, le président de la république libanaise Michel Sleiman quittait son poste, et ce malgré l’absence d’un remplaçant. Après une première séance de vote au parlement en avril 2014 où aucun candidat n’a obtenu la majorité, les députés libanais ont depuis été appelés vingt-deux fois à voter, sans jamais réussir à obtenir un quorum nécessaire pour élire un président.

En cause, de sévères désaccords entre les deux grandes alliances politiques des 8 et 14 mars, qui rejettent le candidat du mouvement rival. D’un côté, le 8 mars, mené par le Hezbollah, propose comme candidat Michel Aoun, le chef du Courant patriotique libre. De l’autre, le 14 mars, avec en tête le Courant du futur, soutient la candidature de Samir Geagea, le leader des Forces libanaises. Particulièrement mécontents de la sélection de Geagea, une majorité des parlementaires du 8 mars boycottent les sessions de vote, empêchant ainsi une avancée sur la question présidentielle.

Les deux candidats sont chrétiens maronites, comme le requiert la loi libanaise qui attribue certains postes politiques majeurs à des communautés religieuses. Par conséquent, un nombre de députés chrétiens refusent à présent de légiférer, jugeant qu’il est hors de question de continuer leur travail tant que la communauté chrétienne du Liban n’a pas de représentant à la tête de l’Etat.

Des élections présidentielles – et parlementaires – toujours repoussées

Le parlement a cependant réussi à faire passer quelques lois depuis mai 2014, notamment pour rallonger les mandats des députés, repoussant ainsi pour la deuxième fois depuis juin 2013 des élections parlementaires auxquelles les citoyens libanais peuvent participer directement, contrairement aux présidentielles. Cette auto-prorogation a causé la fureur de la société civile libanaise, et a été dénoncée par la cour constitutionnelle, qui a néanmoins officiellement reconnu le parlement de peur d’empirer la situation.

Pour Ali Mourad, responsable de recherche à l’Association libanaise pour des élections démocratiques (LADE), ces évènements représentent une possibilité bien réelle « de l’anéantissement de la démocratie au Liban ».

« Depuis 2013, on se trouve face à des questions qui ne devraient pas être posées », dit-il. « Elire un président, c’est une évidence. Les élections législatives, c’est une évidence. Malheureusement, on voit au Liban une régression spectaculaire du processus démocratique. »

Mourad s’inquiète aussi du sort des élections municipales prévues pour 2016. Alors que son organisation se battait il y a à peine deux ans pour promouvoir des réformes électorales, LADE se trouve maintenant réduite à espérer que des élections aient tout simplement lieu.

« Si jamais il y a une prolongation des mandats des conseils municipaux, le Liban n’aura plus aucune institution politique élue démocratiquement, basée sur une volonté populaire par les urnes. Et là on est quasiment dans un régime non-démocratique », dit-il.

Une politique nationale à la merci des puissances internationales

La situation politique libanaise est aggravée par le contexte régional tendu. Entre la guerre civile syrienne, l’essor de l’Etat islamique et le conflit au Yémen, les problèmes de ce petit pays méditerranéen trouvent un faible écho.

Mario Abou Zeid, un analyste libanais au centre Carnegie Moyen-Orient, soutient que cette paralysie politique est largement expliquée par la hausse des tensions entre l’Arabie saoudite, qui soutient le 14 mars, et l’Iran, un des plus grands alliés du Hezbollah. Difficile, dit-il, de faire des compromis alors que les gouvernements qui influencent les positions de chaque mouvance politique au Liban sont en aussi mauvais termes.

« A cause des tensions entre sunnites et chiites dans la région, je ne m’attends pas à des changements à court terme. Mais nous verrons peut-être des changements après la signature d’un accord nucléaire avec l’Iran », dit-il.

Abou Zeid maintient aussi que l’absence de président est perçue comme une bonne chose pour le Hezbollah en raison de sa participation dans le conflit syrien au côté des forces du président Bachar al-Assad, à laquelle s’oppose le 14 mars.

« Michel Sleiman remettait en question le rôle du Hezbollah. Maintenant que sa première priorité est le conflit en Syrie, le Hezbollah agit plus en tant que puissance régionale que mouvement de résistance national [anti-israélien], et il ne veut pas être remis en question sur la scène nationale. »

Nadine Moussa, avocate et activiste s’étant portée candidate en tant qu’indépendante aux élections parlementaires et présidentielles, dénonce les comportements de toute la classe politique libanaise, qu’elle juge trop dépendante des financements et désirs d’autres Etats.

« Nos dirigeants politiques n’ont pas la liberté de décision. Ce sont des gens qui se sont inféodés à des puissances étrangères », s’insurge-t-elle. « Même s’ils ont de bonnes intentions, ils sont incapables d’agir, ils n’ont pas le pouvoir d’agir. »

Quel avenir pour le Liban ?

Avec chaque séance de vote avortée, l’espoir d’obtenir un président se fait de plus en plus ténu. Et pourtant, cette vacation présidentielle et la paralysie parlementaire associée ont un effet profondément néfaste sur le Liban, non seulement à l’échelle politique nationale, mais aussi sur le plan économique. Le 11 mai, le ministre des Finances Ali Hassan Khalil mettait en garde que le Liban pouvait perdre 600 millions de dollars de prêts de la Banque mondiale qui nécessitent un vote d’approbation du parlement. De plus, un nombre significatif de postes diplomatiques restent vacants, faute d’un président pour nommer des remplaçants. Ces absences ne font que renforcer le manque de confiance d’un nombre d’acteurs internationaux envers l’Etat libanais.

Le Liban se trouve dans une situation politique précaire, ballotté entre deux bords politiques appuyés par des puissances régionales ennemies. En plus d’être les deux candidats majeurs à la présidence, Geagea et Aoun sont aussi de farouches adversaires, et ce depuis leur violentes confrontations lors des derniers mois de la guerre civile en 1990.  Cette instabilité de longue durée ne fait que mettre en exergue certaines mentalités sectaires et clientélistes de la classe politique libanaise, résidus d’une guerre civile finie depuis 25 ans. La persistance des chefs politiques libanais à s’accrocher à leur poste ou à en faire hériter des membres de leur famille ne fait qu’agrandir le décalage entre la sphère politique, véritable élite exclusiviste, et le reste de la société libanaise, dont un grand nombre est trop jeune pour se souvenir du conflit qui a déchiré leur pays pendant 15 ans.

Si la possibilité d’une nouvelle guerre continue d’effrayer les Libanais, ils sont de plus en plus à prendre conscience que le système politique actuel n’est ni démocratique, ni tenable. « Personne ne peut nier qu’il y a des problèmes sécuritaires réels au Liban. Mais en même temps, est-ce que ces problèmes peuvent justifier la suspension du processus démocratique ? », plaide Mourad.

Certains, comme Abou Zeid, sont pessimistes quant à la possibilité d’un changement à court terme. « Les Libanais en ont assez de cette situation, mais ils essaient d’empêcher un retour à la guerre civile », dit-il. « Ils essaient juste de survivre. »

D’autres, comme Moussa, voient la situation comme une réelle opportunité pour un changement politique mené par un mouvement populaire.

« Je ne suis pas Leila Abdel Latif [voyante libanaise connue], je n’ai pas de boule de cristal. Mais je considère que nous sommes arrivés au pire stade, et que ça ne peut que s’améliorer », dit-elle. « Pour moi le changement ne paraît pas impossible. Il faut que les Libanais prennent conscience qu’il est entre leurs mains. »

Selon Moussa, un nombre grandissant de Libanais éprouve un ras-le-bol du status quo qui peine encore à se concrétiser.

« Vous voyez diverses catégories sociales et professionnelles réagir, ce n’est plus seulement la classe moyenne et les pauvres, il y a aussi les dirigeants économiques qui se plaignent. Il y a un grondement éparpillé, il faut les réunir. Une fois réunis, alors un changement pourra se faire », prédit-elle.

Il est difficile d’anticiper comment se dérouleront les mois à venir, alors qu’à peine quelques figures politiques ont noté le passage d’une année sans président. Le Premier ministre Tammam Salam essaie toutefois de redonner un élan à ces élections, même s’il reste à voir si cela suffira. Mais cette crise ne fait que confirmer la nécessité de remettre en question l’oligarchie libanaise. Tôt ou tard, la classe politique devra répondre de sa corruption et de ses abus des mécanismes démocratiques. Plus elle repoussera les échéances, plus elle prend le risque de provoquer la colère du peuple libanais.

Chloé Benoist est une journaliste française basée au Liban depuis 2011. Elle y couvre l’actualité politique, mais écrit aussi sur des sujets économiques, sociaux et culturels.

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