Aller au contenu principal

Face à une inflation historique, le modèle agricole du Maroc en question

Confronté à une sécheresse devenue structurelle, le Maroc doit également faire face à l’augmentation des coûts des matières premières importées nécessaires à l’agriculture
Les Marocains subissent 20,1 % de hausse des prix des produits alimentaires (AFP/Fadel Senna)
Les Marocains subissent 20,1 % de hausse des prix des produits alimentaires (AFP/Fadel Senna)
Par AFP à Rabat, MAROC

Des légumes sur les marchés marocains presque aussi chers que dans certains supermarchés de France, avec un salaire minimum cinq fois inférieur : le modèle agricole du pays, basé sur les exportations, est remis en question par une inflation record qui provoque la colère de la population.

La poussée inflationniste, +10,1 % en glissement annuel en février dont 20,1 % de hausse pour les produits alimentaires, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), a valu à l’exécutif des critiques de tout bord en plein mois sacré du Ramadan, quand la consommation augmente.

Si l’ampleur des manifestations contre la vie chère reste limitée, le mécontentement s’installe. 

Manifestation dans la capitale marocaine, Rabat, le 8 avril 2023, contre la cherté de la vie (AFP)
Manifestation dans la capitale marocaine, Rabat, le 8 avril 2023, contre la cherté de la vie (AFP)

« La hausse des prix est une honte [...], nous sommes un pays agricole et pourtant les légumes y sont chers », s’exaspéraient le 8 avril des manifestants devant le Parlement à Rabat.

Début février, le gouvernement a suspendu l’exportation de certains produits, notamment les tomates, afin d’approvisionner le marché local, suscitant les protestations d’associations professionnelles qui ont demandé au Premier ministre Aziz Akhannouch de revenir sur cette mesure.

Pour le patron du HCP, Ahmed Lahlimi, cette crise questionne la viabilité du modèle agricole marocain, d’autant que ce secteur clé de l’économie (13 % du PIB et 14 % des exportations) est exposé à des sécheresses récurrentes et au dérèglement climatique. 

« L’agriculture doit faire sa révolution pour changer de système de production, aller vers une souveraineté alimentaire et produire ce que nous consommons en premier lieu », a plaidé fin mars Ahmed Lahlimi dans une interview au site d’information Médias24.

Le poids des exportations 

Face aux récriminations, le ministre de l’Agriculture Mohamed Sadiki a attribué le bond des prix alimentaires à « des facteurs externes et conjoncturels », comme l’envolée du coût des matières premières et une vague de froid qui a retardé la cueillette des tomates.

Le Maroc s’est doté en 2008 d’un ambitieux « Plan Maroc Vert » (PMV) qui lui a permis d’assurer une autosuffisance alimentaire, entre 50 % et 100 % selon les filières d’approvisionnement.

« L’agriculture doit faire sa révolution pour changer de système de production, aller vers une souveraineté alimentaire et produire ce que nous consommons en premier lieu »

- Ahmed Lahlimi, président du Haut-Commissariat au Plan

Depuis l’adoption du PMV il y a quinze ans, la production agricole a doublé de valeur : de 5,6 à plus de 11 milliards d’euros, malgré la perte d’environ 7 milliards de mètres cubes de pluie annuellement depuis 1985.

Mais le royaume reste à la merci d’une sécheresse devenue structurelle « qui réduit la superficie cultivée et donc l’offre, faisant augmenter les prix », explique à l’AFP Abderrahim Handouf, ingénieur agronome spécialiste de l’irrigation.

S’y ajoutent les coûts des matières premières importées (semences, énergie, engrais azotés...) qui ont bondi « de 30 % à 70 % », selon le ministère de l’Agriculture. Idem pour les importations de blé.  

Le « Plan Maroc Vert » (rebaptisé « Génération Green » pour la période 2020-30) a fait des exportations de fruits et légumes une priorité, ce qui pèse sur le marché local et a favorisé la flambée des prix.   

Des voix s’élèvent pour réclamer une réorientation de la politique agricole marocaine vers une stratégie qui « assure la souveraineté alimentaire, à commencer par l’industrie semencière où le Maroc accuse beaucoup de retard », souligne Abderrahim Handouf. 

En attendant les réformes 

Autre difficulté pour l’exécutif : réformer le système de commercialisation gangréné par des intermédiaires qui gagnent « trois à quatre fois plus que la valeur de cession », d’après les producteurs de fruits et légumes qui se sont plaints dans une lettre adressée le 31 mars à Aziz Akhannouch. 

Au Maroc, la sécheresse menace plus que jamais la croissance économique
Lire

Le gouvernement a pourtant annoncé plusieurs opérations de lutte contre les spéculateurs. Des mesures « qui n’ont pas eu les résultats escomptés », reconnaît le porte-parole du gouvernement Mustapha Baïtas. 

L’exécutif promet que les prix vont bientôt baisser. 

En attendant, la Banque centrale du Maroc a de nouveau relevé le mois dernier son taux directeur à 3 % – la troisième hausse en six mois – afin d’enrayer l’inflation galopante qui affecte les ménages modestes et vulnérables.

Cette décision a déplu au gouvernement, qui mise sur une relance par la croissance, toujours atone, et s’inquiète « des retombées négatives sur le pouvoir d’achat des Marocains », selon des médias. 

De son côté, le Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, estime que l’inflation va perdurer tant que « l’on n’aura pas fait les réformes pour améliorer notre offre et notre productivité, avec un travail d’assainissement de nos circuits de distribution [alimentaire] ».

Par Ismail Bellaouali.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].