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« Mon frère a fini par perdre connaissance » : un Tunisien tabassé par la police témoigne

Une vidéo diffusée sur Facebook, samedi 5 mai, montre la police tabasser deux Tunisiens. Aly Bouzwida ben Ammar, un des jeunes brutalisés, témoigne à MEE
« Tout d’un coup, l’un des policiers s’est retourné et a crié ‘’Ce sont eux, ils sont là !’’, et ils ont commencé à nous pourchasser », raconte Aly Bouzwida ben Ammar (montage MEE)

TUNIS – « Vu que j’ai les cheveux un peu longs, ils m’ont attrapé par les cheveux et m’ont traîné par terre. La vidéo dure seulement 30 secondes mais cela a duré vingt minutes. » Samedi 5 mai vers 18h20, Aly, 31 ans, rentre chez lui après la finale d’un match de basket-ball à Radès (à une dizaine de kilomètres de Tunis) lorsque son frère l’appelle. 

Ce dernier a entendu que des échauffourées avaient éclaté avec la police, qui a utilisé des gaz lacrymogènes, mais n’arrive pas à joindre leur père, resté au stade. 

Aly fait demi-tour et retrouve en chemin son frère Youssef, 25 ans. « Nous nous sommes retrouvés nez à nez avec des policiers apparemment de retour du stade. Nous avons commencé à les suivre de loin, pour voir où ils allaient et pour chercher notre père. Tout d’un coup, l’un d’entre eux s’est retourné et a crié ‘’Ce sont eux, ils sont là !’’, et ils ont commencé à nous pourchasser », témoigne Aly Bouzwida ben Ammar, joint au téléphone par Middle East Eye. « Ils m’ont d’abord attrapé. Mon frère n’a pas arrêté de leur dire que nous n’étions pas des casseurs, mais ils ont continué à nous rouer de coups. Mon frère a fini par perdre connaissance. »

Les deux frères sont alors traînés jusqu’au camion de police puis emmenés au poste. Pendant ce temps, une voisine filme une partie de la scène dans la ruelle et diffuse la vidéo sur les réseaux sociaux. 

« Au commissariat, les policiers qui nous ont accueillis nous ont fait sentir qu’ils soutenaient leurs collègues et que nous étions en tort. Mais la vidéo a tout changé, beaucoup de gens nous connaissent sur Facebook car mon frère et moi, nous sommes membres de la société civile », raconte encore Aly. 

« Mon frère n’a pas arrêté de leur dire que nous n’étions pas des casseurs, mais ils ont continué à nous rouer de coups »

- Aly Bouzwida ben Ammar

Après des heures d’attente et de négociations, au lieu d’être placé en garde à vue, Aly est finalement emmené à l’hôpital vers 4h du matin pour suturer une des blessures à la tête. 

Alors qu’il porte plainte, accompagné de son père et de son frère, leministère de l’Intérieur annonce l’ouverture d’une enquêteet indique que les agents de police ont été « victimes d’émeutiers qui leur ont lancé des pierres à l’issue du match » et que cinq policiers ont été blessés. 

Des violences fréquentes entre policiers et supporters

« Nous n’avons pas reçu d’excuses, ni même d’appels de la part de la police, mais nous tenons à faire les choses dans les règles en portant plainte », ajoute Aly. « Nous faisons aussi cela pour Omar, car la violence envers les jeunes supporters est très fréquente et beaucoup n’ont pas l’audience que nous avons sur Facebook. »

Omar Laabidi, le jeune auquel Aly fait référence, s’est noyé le samedi 31 mars dans l’oued de Radès après avoir tenté d’échapper à la police qui le poursuivait après un match de football. Son corps n’a été repêché que le dimanche 1eravril et son frère a accusé les autorités de l’avoir poussé à plonger. 

« Mon frère s’est rendu, les policiers l’ont battu et l’ont poussé à sauter dans l’oued alors qu’Omar leur avait dit qu’il ne savait pas nager… », a déclaré aux médias tunisiens Alaaedine Laabidi, le frère d’Omar. « Le policier lui a répondu : ‘’Apprends à nager, saute [dans l’eau]’’. »

Depuis, une campagne de mobilisation a été lancée sur les réseaux sociaux pour demander justice pour la famille d’Omar. Une enquête a également été ouverte. Une manifestation des supporters du Club africain, le club de football que soutenait Omar, a été organisée à Tunis le 21 avril.

À LIRE ► Le football tunisien, otage de la violence dans les stades

Les violences entre policiers et supporters sont fréquentes dans les stades tunisiens et de nombreux matchs se jouent à huis clos ou en présence d’un public restreint. 

Si les syndicats de police se défendent en disant que de nombreux de leurs éléments sont également blessés et agressés par des casseurs, la vidéo diffusée samedi et la mort d’Omar montrent que les victimes sont plutôt du côté des supporters. 

Le syndicat des forces de sécurité intérieures, contacté dimanche par MEE, a déclaré qu’il était en train de rassembler les éléments sur la vidéo.

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