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Mort de Baghdadi : des Syriens se rappellent la nuit terrifiante du raid américain

Des habitants de Barisha confient à MEE qu’ils ignoraient totalement que le dirigeant de l’État islamique se cachait dans le village avant le raid américain contre sa cachette samedi soir
Une camionnette transportant, selon des responsables américains, des combattants non affiliés à l’EI qui ont tiré sur les forces spéciales américaines, pensant peut-être qu’il pouvait s’agir également des Turcs ou des Russes (MEE/Mustafa Dahnon)
Par Mustafa Dahnon à BARISHA, Syrie

Bien qu’il soit situé dans une zone de guerre, le village syrien de Barisha n’en demeure pas moins généralement paisible et pittoresque.

Environ 6 000 personnes vivent dans ce village situé à 5 km de la frontière turque, sans compter près d’un millier de Syriens déplacés d’Idleb et d’ailleurs qui ont planté leurs tentes dans la terre rouge au milieu des oliviers situés à la périphérie du village.

Les Syriens d’Idleb, la dernière poche rebelle, sont en grande partie contrôlés par des groupes militants et soumis à des bombardements sporadiques des gouvernements russe et syrien.

Tous les habitants de ce village de montagne ont vécu de près les frappes aériennes, mais le vacarme du raid américain contre la cachette d’Abou Bakr al-Baghdadi samedi soir les a profondément choqués.

« J’étais assis avec ma famille […] au début, nous avons entendu le bruit d’hélicoptères volant à très basse altitude, puis nous avons entendu des tirs depuis le sol », raconte Muhammad Mustafa al-Khalil à Middle East Eye.

À l’intérieur d’une des tentes où des Syriens, déplacés d’autres régions du pays, vivent en bordure de Barisha (MEE/Mustafa Dahnon)
À l’intérieur d’une des tentes où des Syriens, déplacés d’autres régions du pays, vivent en bordure de Barisha (MEE/Mustafa Dahnon)

« Nous ne savions pas ce qui se passait. Je me suis donc caché avec ma famille, pensant que des avions du régime syrien visaient notre région. »

Muhammad al-Khalil et sa famille vivent dans la banlieue de Barisha depuis qu’ils ont été déplacés de la campagne d’Idleb, dans le sud du pays. Leur maison a été touchée par des éclats d’obus.

« Il m’est impossible de décrire la situation dans laquelle se trouvait ma famille à ce moment-là », ajoute le père de famille.

« Toute la région ressemblait à un volcan en éruption. Heureusement, aucun de mes enfants ou membre de ma famille n’a été blessé »

- Muhammad Mustafa al-Khalil, habitant de Barisha

« Les enfants hurlaient et les femmes étaient horrifiées parce que nous ne savions pas ce qui se passait. Toute la région ressemblait à un volcan en éruption. Heureusement, aucun de mes enfants ou membre de ma famille n’a été blessé. »

Huit hélicoptères et un avion de combat sont arrivés rapidement et à basse altitude samedi, ont rapporté des témoins oculaires à MEE.

« Nous avons été surpris la nuit par le bruit des avions qui approchaient. Lorsque j’ai ouvert la porte de chez moi pour voir ce qui se passait, j’ai été choqué par le fait que l’avion ne se trouvait pas à plus de 15 mètres du sol », déclare Ahmed Mohammed, un autre habitant de Barisha.

Selon lui, les compagnons de Baghdadi ont commencé à tirer sur les hélicoptères, ce qui a incité l’appareil à mitrailler la zone depuis laquelle ils tiraient, avant de tirer sur les routes pour couper l’accès à la maison.

Le général Kenneth McKenzie, chef des opérations de la mission américaine, a déclaré aux journalistes mercredi que lorsque les Américains ont atterri, des combattants qui n’étaient pas membres de l’État islamique (EI) se sont dirigés vers la maison, certains dans une camionnette blanche sur laquelle ont tiré les hélicoptères de combat américains.

« Il y avait d’autres groupes militants dans la région qui ne savaient probablement pas qu’il [Baghdadi] était là », a ajouté McKenzie. « Une fois qu’ils ont vu les hélicoptères atterrir et commencer à opérer, ils ont commencé à se diriger vers [eux]… mais ils n’arrivaient pas pour lui prêter main forte, ils se dirigeaient vers ce qu’ils avaient vu. »

Ces combattants ont peut-être pensé qu’il s’agissait d’une opération militaire turque, russe ou américaine, a-t-il ajouté.

Au cours de la même conférence de presse, l’armée américaine a publié les premières images du raid, notamment une vidéo aérienne granuleuse montrant au moins dix membres des forces spéciales américaines s’approchant de l’enceinte de deux côtés.

Traduction : « […] sur place, des combattants provenant de deux endroits situés à proximité du bâtiment ont commencé à tirer sur les avions américains participant à l’assaut. »
- Gal Frank McKenzie CDR USCENTCOM

Des personnes déplacées vivant dans des tentes proches de la maison ont déclaré que les soldats leur avaient ordonné de rester à l’écart, puis avaient entendu une voix en arabe demandant au propriétaire de la maison de se rendre ainsi que tous ceux qui l’accompagnaient.

Après le raid des forces spéciales américaines sur l’enceinte – et après que Baghdadi aurait déclenché un gilet explosif une fois acculé –, un avion de guerre a tiré trois missiles sur le bâtiment, rapporte Ahmed Mohammed, qui a observé l’opération depuis le sol.

« Les bombes ont brisé les fenêtres de toutes les maisons du village. »

Une fois l’avion disparu, Ahmed Mohammed et d’autres habitants se sont précipités sur le champ de bataille et ont vu la maison complètement rasée. Il y avait des corps partout, parmi eux des femmes et des enfants.

« Je ne sais rien du propriétaire de la maison, mais je sais qu’il s’agissait d’un civil qui vendait des céréales et des olives », déclare Ahmed Mohammed. « J’ai été choqué d’apprendre que l’opération visait le chef de Daech [l’EI], qui était à l’intérieur. »

Au lendemain du raid, habitants et journalistes parcourent les décombres de la maison où se cachait Abou Bakr al-Baghdadi (MEE/Mustafa Dahnon)
Au lendemain du raid, habitants et journalistes parcourent les décombres de la maison où se cachait Abou Bakr al-Baghdadi (MEE/Mustafa Dahnon)

Ahmad Saud al-Hussein, qui vit dans la région depuis que lui et sa famille ont été déplacés des environs de Hama, indique que sa femme a été blessée lors du bombardement du bâtiment.

« Les principales routes de la région ont également été bombardées. Ils voulaient que personne ne bouge pendant le déroulement de l’opération », rapporte-t-il à MEE.

L’homme raconte qu’il devait conduire de toute urgence son épouse à l’hôpital le plus proche et redoutait qu’ils ne soient pris au piège.

« J’ai entendu la voix de soldats étrangers sur le terrain lorsque je m’éloignais de chez moi, ce qui représentait un risque énorme à prendre à ce moment-là. »

Il s’est dit aussi surpris que les autres habitants d’apprendre que des membres de l’EI, sans parler de son chef, habitaient parmi eux dans la maison située en bordure du village.

Abou Khaled, un autre Syrien déplacé vivant dans une tente près de la maison, abonde dans son sens : « Ce que nous savions, c’est qu’elle appartenait à un civil qui allait et venait normalement et qu’il était commerçant », déclare-t-il. « Mais nous ne savions pas qui était avec lui dans la maison. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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