Aller au contenu principal

EXCLUSIF : Un enregistrement témoigne de ce que le prince jordanien et le chef de l’armée se sont dit 

Selon l’enregistrement secret remis à MEE, le chef d’état-major de l’armée a demandé au prince de ne plus entrer en contact avec les chefs de tribus. Mais il n’y est question ni de coup d’État ni de contact avec des puissances étrangères
Le prince Hamza ben Hussein, ici photographié le 17 avril 2012, est assigné à résidence depuis samedi (AFP)
Le prince Hamza ben Hussein, ici photographié le 17 avril 2012, est assigné à résidence depuis samedi (AFP)

Le chef d’état-major de l’armée jordanienne, le général Youssef Huneiti, a mis en garde samedi le prince Hamza ben Hussein contre toute discussion avec les chefs de tribus et d’autres personnes mécontentes de la situation dans le royaume.

Il n’a pas accusé le prince de fomenter un coup d’État ni de maintenir des contacts avec des puissances étrangères, selon l’enregistrement de cette conversation tenue samedi, dont le contenu a été transmis à Middle East Eye.

D’autres membres de l’entourage du prince Hamza ont été arrêtés et accusés d’avoir « porté atteinte à la sécurité » de la Jordanie – notamment Cherif Hassan ben Zaid, un membre de la famille royale, et Bassem Awadallah, un ancien chef de la Cour royale jordanienne.

Jordanie : l’ancien prince héritier et plusieurs personnalités arrêtés pour complot présumé de coup d’État 
Lire

Hamza ben Hussein, 41 ans, est le fils du défunt roi Hussein et de sa quatrième épouse, la reine Noor, née aux États-Unis. Il était, jusqu’en 2004, le prince héritier de Jordanie avant que le roi Abdallah II ne le remplace par son propre fils, Hussein ben Abdallah.

Lorsque son assignation à résidence est devenue évidente et que ses gardes du corps lui ont été retirés, le prince Hamza a envoyé l’enregistrement de cette conversation à ses contacts à l’étranger en guise de police d’assurance. Un de ces contacts a remis l’enregistrement à MEE.

Dans un deuxième enregistrement audio transmis à MEE, le prince Hamza a déclaré : « J’ai enregistré ses propos [à Huneiti] et j’ai distribué cet enregistrement à ma famille et à mes amis à l’étranger pour me protéger. »

MEE révèle maintenant ce qui s’est passé samedi matin dans le palais princier.

« Comment osez-vous me parler ? »

La conversation entre Youssef Huneiti et Hamza ben Hussein a été enregistrée secrètement par le prince. On peut l’entendre demander au chef d’état-major des forces armées de répéter son message juste pour que ce qui était exigé de lui soit bien clair. 

Youssef Huneiti a expliqué à Hamza ben Hussein qu’il transmettait un message au nom de l’armée, des services de sécurité et de renseignement. Il a clairement indiqué qu’il ne parlait pas au nom du roi Abdallah, le demi-frère de Hamza.

On entend le général s’adresser respectueusement à l’ancien prince héritier, en utilisant le titre Sidi (Monsieur, en arabe).

Il a indiqué au prince qu’il devait cesser de parler aux chefs de tribus mécontents et aux autres personnes en Jordanie qui se plaignent de la situation compliquée du royaume.

Le roi de Jordanie soumis à une pression grandissante alors que s’évapore le soutien tribal
Lire

Selon le chef de l’armée, les forces de sécurité et de renseignement ont appris que le prince était en contact avec des membres de tribus qui avaient été très critiques à l’égard de la famille royale – y compris l’actuel prince héritier Hussein ben Abdallah – lors de conversations avec Hamza.

Les forces de sécurité veulent empêcher le prince d’avoir ces contacts, a déclaré Youssef Huneiti, affirmant qu’ils provoquaient des troubles dans le royaume.

À ce stade, on entend le prince Hamzah crier.

« Comment osez-vous me parler ? Qui êtes-vous pour me transmettre ce message ? Ne savez-vous pas à qui vous parlez ? Je suis le fils du [défunt roi] Hussein. »

Hamza ben Hussein a ensuite crié à ses collaborateurs : « Ramenez la voiture du Pacha [titre pour une personne de haut rang]. Il part maintenant. »

Youssef Huneiti, visiblement décontenancé, a continué à parler au prince avec respect.  « Je veux juste faire passer ce message », a-t-il répondu.

Le prince s’est alors adressé au chef d’état-major pour demander : « Ai-je dit quelque chose de mal lors de ces réunions ? » 

« Personne ne peut m’empêcher de parler à mon peuple »

- Hamza ben Hussein

« Non, mais les personnes à qui vous avez parlé, oui », a répondu le messager.

Hamzah a alors répondu, confiant, sans en démordre : « Personne ne peut m’empêcher de parler à mon peuple. Vous avez tous détruit ce pays et répandu la corruption, et maintenant vous me blâmez pour cela. »

Il apparaît clairement que ni le sujet d’une tentative de coup d’État fomenté par d’autres personnes arrêtées lors de cette opération sécuritaire, ni la question de contacts avec des puissances étrangères et leurs services de sécurité n’ont été soulevés par Huneiti au cours de la conversation.

L’enregistrement de la conversation corrobore le récit de Hamza ben Hussein dans une vidéo diffusée par la BBC samedi.

« J’ai reçu ce matin une visite du chef d’état-major des forces armées jordaniennes au cours de laquelle il m’a informé que je n’avais pas le droit de sortir, de communiquer avec les gens ou de les rencontrer, au prétexte que lors des réunions auxquelles j’ai assisté – ou sur les réseaux sociaux concernant les visites que j’ai effectuées –, des critiques avaient été faites à l’égard du gouvernement ou du roi », a-t-il déclaré dans cette vidéo.

Il a précisé qu’il n’était pas accusé d’avoir formulé ces critiques.

Sous le portrait de son père

« Je ne suis pas la personne responsable de l’échec de la gouvernance, de la corruption et de l’incompétence qui prévalent dans notre structure de gouvernance depuis quinze à vingt ans et qui s’aggrave… Et je ne suis pas responsable du fait que les gens n’ont plus foi dans leurs institutions », a-t-il ajouté.

Dans la vidéo, Hamza s’est placé sous un portrait du roi Hussein, ce qui a été interprété comme une volonté de s’aligner sur le règne de son défunt père.

Hamzah, qui ressemble et parle comme le roi Hussein, est devenu particulièrement populaire dans le royaume secoué par les troubles liés à la stagnation économique, à l’impasse politique et aux effets de la pandémie de COVID-19.

Jordanie : colère après sept décès causés par une panne d’oxygène en réanimation
Lire

Lorsque sept malades du COVID-19 sont décédés dans un hôpital géré par le gouvernement de la ville de Salt en raison d’un manque d’approvisionnement en oxygène, le roi Abdallah a reçu un accueil mitigé lors de sa visite sur les lieux. 

Alors qu’il y avait dans la foule des partisans du monarque hachémite, d’autres Jordaniens criaient : « Le pays s’est noyé ! »

Peu de temps après la visite du roi, un camion-citerne avec des réserves d’oxygène est arrivé à l’hôpital.

Lorsque Hamza ben Hussein a présenté ses condoléances à la famille de l’un des patients décédés à Salt, il a reçu un accueil très différent. Mamoun Khreisat, le fils aîné de la victime, a remercié le prince pour son geste généreux

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].