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« Le bruit terrifiant des bombes fait hurler les enfants. C’est de la pure souffrance » : le témoigne d’un journaliste de MEE à Gaza

Le photojournaliste Mohammed al-Hajjar et sa famille ont été déplacés par les frappes aériennes israéliennes à trois reprises en une semaine. Depuis un camp de réfugiés de Gaza, il décrit les scènes
L’ONU estime à un million le nombre de Palestiniens déplacés en une semaine (AFP/Said Khatib)
L’ONU estime à un million le nombre de Palestiniens déplacés en une semaine (AFP/Said Khatib)

Mohammed al-Hajjar, photojournaliste indépendant, collabore depuis longtemps avec Middle East Eye. Avec sa femme et ses trois enfants, ils vivent à Gaza. Mais après le bombardement de leur maison, ils ont été déplacés à trois reprises. Depuis un abri temporaire dans le sud de Gaza, Mohammed décrit les difficultés de son quotidien et de celui de milliers d’autres Palestiniens.

Dieu merci, ma famille et moi allons bien. Mais la plupart du temps, il n’y a pas de réseau pour téléphoner. J’ai pu communiquer avec ma collègue Maha Hussaini par SMS. Heureusement, elle et sa famille vont bien aussi.

Que Dieu apaise nos difficultés et nous apporte de l’aide. La situation est très difficile ici dans le camp de Nuseirat, un camp de réfugiés situé à 5 km de Deir al-Balah, peuplé de Palestiniens déplacés pour la plupart de Beer Sheva en 1948.

Il n’y a ni nourriture, ni eau potable, ni électricité, rien. Israël a complètement assiégé la bande de Gaza et a coupé les approvisionnements en provenance de l’extérieur.

Tous ces gens avec qui je vis dans un immeuble partagent 200 litres d’eau par jour, pas assez pour boire et encore moins pour les utiliser à d’autres fins

Nous avons un peu de nourriture et nous essayons de la faire durer.

Nous souffrons. C’est de la pure souffrance. Nous vivons ensemble à 26 familles déplacées dans un bâtiment prévu pour cinq familles. Il y a plus de 180 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants.

Israël a demandé à tous ceux qui vivent dans le nord de Gaza, ce qui comprend toute la ville de Gaza et plus d’un million de personnes, d’évacuer les lieux vers le sud s’ils voulaient rester en vie. Même avant l’avertissement, l’ONU avait déclaré que 400 000 Palestiniens avaient été déplacés par les bombardements (ce dimanche, l’ONU a revu ce chiffre à la hausse en évaluant le nombre de personnes déplacées à un million depuis le 7 octobre).

Il y a une grave pénurie d’eau potable. Tous ces gens avec qui je vis dans un immeuble partagent 200 litres par jour, pas assez pour boire et encore moins pour les utiliser à d’autres fins. Pour économiser l’eau, nous sommes prudents même lorsque nous utilisons les toilettes.

La plupart de nos téléphones sont à plat

Quant au pain, la boulangerie nous donne cinq paquets, soit environ 150 pièces au total, ce qui ne suffit pas pour un repas chacun. On essaie de le rationner tout au long de la journée. Aucun d’entre nous n’a jamais mangé un repas plus copieux qu’un sandwich au fromage.

Les frappes aériennes israéliennes pleuvent en permanence et de manière très lourde.

Au moins 2 670 Palestiniens ont été tués dans les bombardements israéliens depuis l’attaque palestinienne du 7 octobre, qui a tué environ 1 400 Israéliens.

Un garçon palestinien porte son oiseau de compagnie dans une cage alors que les familles quittent leurs maisons après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 octobre 2023 (AFP/Mohammed Abed)
Un garçon palestinien porte son oiseau de compagnie dans une cage alors que les familles quittent leurs maisons après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 octobre 2023 (AFP/Mohammed Abed)

Dehors, personne n’est en sécurité, alors nous restons la plupart du temps à l’intérieur. Mais il n’y a pas internet, donc il est très difficile de savoir ce qui se passe autour de nous. Nous passons simplement notre temps à parler et à prier. Ceux qui arrivent à dormir le font, autant que possible.

La zone où nous sommes n’a plus d’électricité depuis cinq jours. La plupart de nos téléphones sont à plat. Nous essayons de conserver les batteries des téléphones pour les moments où nous en avons besoin. Je marche jusqu’à la maison d’une connaissance à Nuseirat, qui dispose de panneaux solaires, pour recharger mon téléphone et celui de ma famille.

La nuit, nous dépendons d’une lumière alimentée par des piles, qui risquent de s’épuiser dans les prochains jours. C’est l’une des rares choses que nous avions emportées avec nous lorsque nous avons fui notre maison.

Les enfants veulent des jus de fruits, du chocolat, des chips et des bonbons, mais rien de tout cela n’est plus disponible

Après 17 h, c’est calme. Tout le monde essaie de rester à l’intérieur. Mais la rue est aussi pleine de personnes déplacées comme nous, qui cherchent un abri. Des centaines de familles se retrouvent dans une rue qui peut à peine en accueillir 20.

Les enfants s’ennuient et sont agités. Ils veulent jouer et vivre leur enfance malgré l’anxiété et la tension ambiantes, mais les conditions ne le permettent pas. La plupart du temps, les enfants se plaignent, pleurent et dérangent leurs mères.

Ils veulent aussi des choses comme des jus de fruits, du chocolat, des chips et des bonbons, mais rien de tout cela n’est plus disponible dans les magasins. Ils sont complètement vides.

Il n’y a pas de couverture pour nous protéger du froid

Et ce n’est pas tout : la plupart des enfants sont tombés malades, en partie à cause des nuages de poussières, de saletés et de fumée causés par les bombardements.

Nous n’avons aucun médicament ni traitement pour eux. Même les pharmacies manquent de médicaments de base, de traitements contre les inflammations de la gorge et des poumons, les maux de tête, les rhumes, les douleurs et la grippe.

Nous nous sommes divisés, avec les femmes d’un côté et les hommes de l’autre, pour respecter la vie privée en cette période difficile. Les deux endroits sont très fréquentés. Nous dormons serrés les uns contre les autres, par terre, n’importe où. Il n’y a pas de couverture pour nous protéger du froid qui tombe tard dans la nuit et tôt le matin.

La plupart des enfants sont tombés malades, en partie à cause des nuages de poussières, de saletés et de fumée causés par les bombardements

Nous essayons autant que possible de nous rassurer mutuellement sur le fait que nous allons bientôt rentrer chez nous et que cette guerre va bientôt se terminer. Mais nous ne savons pas si cela est vrai ou si c’est juste un espoir. On craint que la crise s’éternise ou que nous retrouvions notre maison inhabitable.

Malgré le calme relatif qui règne dans le camp de Nuseirat, des bombardements ont lieu jour et nuit dans les zones voisines.

Le bâtiment dans lequel nous nous sommes réfugiés est typique d’un camp de réfugiés palestiniens : précaire, avec des murs en parpaing et de fines tôles en guise de toit. Nous craignons que des éclats d’obus tombent sur nos enfants et les blessent.

Lors des bombardements, les tôles font un bruit terrifiant, réveillant les les femmes et les enfants de leur sommeil et les faisant hurler.

Voilà notre expérience en deux jours de déplacement, et nous ne savons pas s’il existe des perspectives de résolution de la crise ni ce qui nous attend dans les prochains jours.

Traduit de l’anglais (original).

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