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Les importations d’alcool interdites : polémique en Irak

Les détracteurs de l’interdiction soulignent que celle-ci bafoue les libertés individuelles et notamment les droits des minorités religieuses du pays
La nouvelle loi contredit une décision gouvernementale imposant une taxe douanière de 200 % sur les « boissons alcoolisées importées », pour une durée de quatre ans (AFP/Ayman Henna)
La nouvelle loi contredit une décision gouvernementale imposant une taxe douanière de 200 % sur les « boissons alcoolisées importées », pour une durée de quatre ans (AFP/Ayman Henna)

L’Autorité générale des Douanes en Irak a annoncé samedi 4 mars l’interdiction des importations d’alcool sur la base d’une loi controversée récemment entrée en vigueur dans ce pays musulman largement conservateur, où des observateurs dénoncent un tour de vis sur les libertés individuelles.

La consommation d’alcool est un sujet clivant en Irak et ce n’est pas la première fois que l’interdiction fait débat.

Traduction : « Je ne suis pas un buveur d’alcool, mais la décision d’interdire l’importation de boissons alcoolisées contredit les droits de l’homme et balaie l’État pour consolider l’autorité religieuse. Et cela ne conduira pas les gens à s’abstenir d’en consommer. Au contraire, cela ne fera que priver l’État d’une solide source de revenus et encourager les opérations de contrebande ».

Si des boutiques spécialisées, dont les propriétaires sont en général issus des minorités chrétienne ou yézidie, ont pignon sur rue à Bagdad, restaurants et hôtels proposent rarement de l’alcool et la consommation reste mal vue.

« L’Autorité générale des Douanes a donné pour instruction à tous les centres douaniers d’interdire l’entrée [sur le territoire] de tout type de boissons alcoolisées », selon un communiqué.

Traduction : « Adopter des lois telles que l’interdiction d’entrée de l’alcool et le projet de loi sur les médias et les communications sont une porte d’entrée en Irak aux commissions de promotion de la vertu et de prévention du vice, à la police des mœurs et à l’État religieux ! »

Cette « directive », explique le communiqué, est basée sur une loi publiée le 20 février au Journal officiel et portant sur « le financement des municipalités ». L’article 14 de cette législation « interdit d’importer, de produire et de vendre des boissons alcoolisées ».

Selon le texte de loi consulté par l’AFP, les contrevenants risquent une amende allant de 10 millions à 25 millions de dinars irakiens (de 7 200 à 18 000 euros).

Traduction : « Empêcher l’entrée de l’alcool en Irak est un crime contre les religions et est puni en vertu du droit international. Nous appelons les représentants des blocs politiques à prendre des mesures pour lever l’interdiction de l’alcool par respect pour les droits des religions, car ils sont nos partenaires dans la patrie. »

Malgré les récentes initiatives gouvernementales, les boutiques d’alcool sont restées ouvertes à Bagdad. Samedi après-midi, ces magasins fonctionnaient normalement, même si l’un d’eux reconnaissait que son stock s’épuisait.

La loi avait été votée en 2016 par le Parlement mais n’était jamais entrée en vigueur.

La semaine dernière, les cinq députés du bloc chrétien au Parlement ont présenté un recours contre la loi devant le Tribunal fédéral, arguant de l’inconstitutionnalité de l’article en question et du non-respect des droits des minorités, a indiqué à l’AFP le parlementaire Duraid Jameel.

Traduction : « Interdire l’alcool provoquera la propagation de la drogue et la destruction de la société, au moins l’alcool on en boit et après une heure on se réveille, mais la drogue mène à la mort. Sans parler du fait que l’Irak n’est pas d’une seule composante religieuse. »

« Cet article 14 restreint les libertés et contrevient à la Constitution irakienne qui accorde ces libertés », a estimé Moustafa Saadoun, de l’Observatoire irakien pour les droits de l’homme.

« Cette loi fait partie d’un ensemble global qui vise à restreindre les libertés », confiait-il récemment à l’AFP, les autorités ayant également lancé une campagne pour emprisonner YouTubeurs et TikTokeurs accusés de partager des « contenus décadents ».

Rencontré dans le quartier de Kerrada, dans le centre de Bagdad, Sarmad Abbas, agent immobilier de 44 ans, reconnaît l’interdiction religieuse pour les musulmans de boire de l’alcool.

« Mais ce sont des libertés personnelles, on ne peut pas interdire au citoyen de les pratiquer », souligne-t-il, estimant qu’avec la nouvelle mesure, « tout va se faire au marché noir ».

Traduction : « C’est une très bonne nouvelle, les boissons alcoolisées font perdre des devises fortes au Trésor public. En plus, l’alcool détruit la vertu des gens et reste interdit par la religion. »

Sur Twitter, le militant Yazidi Murad Ismael rappelait récemment que contrairement à l’islam, d’autres religions « n’interdisent pas l’alcool, mais la législation leur impose les mêmes contraventions ».

Traduction : « Cette décision affectera négativement non seulement les yézidis, mais aussi les chrétiens et tous les non-musulmans. Cela provoquera une nouvelle vague d’immigration de minorités [fuyant] l’Irak. C’est une décision égoïste et irresponsable prise par les autorités irakiennes. Des dizaines de milliers de personnes perdront leur emploi ! »

La nouvelle loi contredit une décision gouvernementale adoptée le 14 février, qui imposait une taxe douanière de 200 % sur les « boissons alcoolisées importées », pour une durée de quatre ans.

La région autonome du Kurdistan, limitrophe de la Turquie dans le nord de l’Irak et qui gère ses propres postes-frontières, n’est pas automatiquement concernée par ces mesures du gouvernement fédéral.

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