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Le coup d’État militaire au Mali, nouvelle source d’inquiétude alors que les groupes islamistes armés progressent au Sahel

Un État défaillant, une armée démoralisée et des responsables politiques et militaires accusés de compromettre l’accord d’Alger : tous les ingrédients semblent réunis pour que les groupes extrémistes tirent profit de cette nouvelle instabilité au Mali
Des soldats maliens défilent à leur arrivée en véhicule militaire sur la place de l’indépendance à Bamako, le 18 août 2020, après l’arrestation du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (AFP)
Des soldats maliens défilent à leur arrivée en véhicule militaire sur la place de l’indépendance à Bamako, le 18 août 2020, après l’arrestation du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (AFP)
Par MEE

Quelle conséquence le coup d’État militaire, qui a obligé le président malien Ibrahim Boubacar Keïta à démissionner dans la nuit de mardi à mercredi, aura-t-il sur la gestion de la crise sécuritaire au Mali ? 

Enclavé dans le Sahel, le Mali, un des pays les plus pauvres du monde, connaît une situation d’insécurité depuis que le nord est tombé en 2012 sous le coup de groupes islamistes extrémistes liés à al-Qaïda

Partiellement chassés par l’opération Serval lancée par la France en 2013 et remplacée en 2014 par l’opération Barkhane, les islamistes armés se sont réorganisés pour s’adapter aux interventions étrangères. 

En mars 2017, les islamistes armés liés à al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), dont les groupes de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar et du prédicateur peul Amadou Koufa, se fédèrent en un « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (GSIM), dirigé par Iyad Ag Ghaly. Cette coalition a depuis revendiqué la plupart des attentats dans cette partie du Sahel.

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Malgré les « neutralisations » de plusieurs émirs, dont en juin l’émir d’AQMI, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, les groupes ont trouvé un terrain propice à leur progression, vers le centre du Mali et vers les pays voisins, le Burkina Faso et le Niger. 

À ces violences se sont greffés des conflits intercommunautaires (le Mali comprend une vingtaine d’ethnies) : Amadou Koufa, qui a largement recruté parmi sa communauté, a par exemple enclenché un cycle d’attaques et de représailles entre les Peuls, majoritairement éleveurs, et les ethnies bambara et dogon, qui pratiquent essentiellement l’agriculture.

« Tout dépendra de la façon dont la transition sera gérée » mais « les groupes terroristes pourraient profiter de ce vide constitutionnel et institutionnel pour gagner du terrain », prévient sur RFI Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité à Bamako, quelques heures après la démission du président malien.

Car d’autre part, le moral de l’armée, qui a subi de nombreux revers au cours de ces derniers mois, est au plus bas.

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Marc-André Boisvert, chercheur indépendant spécialiste de l’armée malienne, a également évoqué à l’antenne de RFI « la frustration » de l’armée malienne, « sous pression depuis 2012 » et qui depuis cette date « n’a jamais été aussi mobilisée ». 

Contrairement aux promesses faites en 2012, les soldats ne sont pas « retournés dans les casernes », leur niveau de vie s’est dégradé et tout cela s’est accompagné du sentiment que « le politique ne faisait pas assez pour les protéger ».

Le 7 août, un rapport rédigé par des experts de l’ONU et remis au Conseil de sécurité a par ailleurs accusé des hauts responsables de l’armée malienne et des services de renseignement de « compromettre » l’application de l’accord de paix d’Alger, en dépit d’appels pressants de la communauté internationale pour résoudre la crise. 

Signé en 2015, l’accord de paix prévoyait un redéploiement progressif de l’armée nationale dans les principales villes du nord du pays, sous la forme de bataillons mixtes d’une armée dite reconstituée composés à ratio égal des forces armées maliennes, des combattants de l’ex-rébellion et des groupes armés progouvernement.

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Or, comme le soulignait le journaliste Nordine Azzouz dans Middle East Eye en avril 2019, « c’est le contraire qui s’est produit. Depuis les années 2015-2016, on assiste à la montée en puissance de ces groupes avec, en perspective, une autonomie d’action accrue ainsi qu’une militarisation des revendications économiques et sociales, donc des probabilités d’exaction sur un territoire où les concurrences entre communautés ethniques, déjà animées par des griefs ancestraux, s’exacerbent sous l’effet des amalgames dangereux. »

Les responsables maliens, qui ont « menacé et retardé » l’application de l’accord, devraient selon les experts être « tenus responsables » par le Comité de sanctions de l’ONU, qui doit se réunir prochainement.

Parmi les personnalités visées, l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre (2019-2020), le général Keba Sangaré, notamment accusé de « prises de décision douteuses » lors du redéploiement programmé d’éléments de l’armée malienne dans le nord du pays fin 2019.

Les experts pointent également du doigt les services de renseignement maliens, devenus selon eux « vecteurs » d’une « stratégie non officielle [des autorités] visant à entraver la mise en œuvre de l’accord ».

Selon le rapport, la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE) « a incité, encouragé et facilité la fragmentation de la Coordination des mouvements de l’Azawad [CMA] », la principale alliance signataire de l’accord de paix, composée de groupes armés ex-rebelles, en « finançant » des « individus clés qui ont créé des groupes dissidents » du MNLA, un des principaux groupes armés membres de la CMA, en 2016.

Traduction : « La condamnation et les sanctions peuvent accélérer le retour du Mali à un régime civil, mais l’accent doit être rapidement mis sur la promotion d’une transition politique qui apporte la stabilité pour garantir que les djihadistes ne profitent pas du chaos. »

Pour Will Ross, du service Afrique de la BBC, des parallèles entre ces événements et 2012 sont inévitables. Cette année-là, « la mauvaise gestion d’une rébellion par le gouvernement avait conduit à un autre coup d’État », rappelle-t-il. « Des djihadistes avaient profité de ce chaos pour s’emparer du nord du Mali. Et ils continuent de faire des ravages dans toute la région. »

Nordine Azzouz, contacté par MEE, nuance : « La situation n’est toutefois pas tout à fait comparable à celle de 2012 : à l’époque, il n’y avait ni Barkhane, ni la MINUSMA [mission des Nations unies pour la paix au Mali]. En d’autres termes, le dispositif sécuritaire est bien plus important aujourd’hui. Bien sûr, la vigilance devra être renforcée car des attentats ne sont pas à exclure. »

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