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Visite d’Ismaël Haniyeh au Maroc : une opération win-win pour Rabat, le Hamas et le PJD

La visite du chef du Hamas au Maroc en juin semble satisfaire toutes les parties : Rabat qui veut jouer un rôle plus important dans le dossier israélo-palestinien, le Hamas qui souhaite « briser son isolement politique » et le PJD qui a redoré son image
Ismaël Haniyeh, leader du Hamas, et Saâdeddine el-Othmani, Premier ministre marocain, à Rabat, le 16 juin 2021 (Facebook/Discovery Morocco)
Ismaël Haniyeh, leader du Hamas, et Saâdeddine el-Othmani, Premier ministre marocain, à Rabat, le 16 juin 2021 (Facebook/Discovery Morocco)

Le 16 juin, le Parti de la justice et du développement (PJD, d’obédience islamiste) prenait tout le monde de court en annonçant la visite au Maroc d’une délégation du Hamas menée par Ismaël Haniyeh

La visite, la première du genre pour le chef du mouvement palestinien dans le royaume, est d’autant plus surprenante que le Maroc a normalisé six mois plus tôt ses relations avec Israël, à la grande colère d’Haniyeh. 

C’est même son hôte Saâdeddine el-Othmani, secrétaire général du PJD, qui a signé en tant que chef du gouvernement l’accord de normalisation avec Israël en décembre, qualifié alors de « péché politique qui ne sert pas la cause palestinienne et encourage l’occupation » par le Hamas.

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Annoncée quelques heures après les félicitations adressées par Mohammed VI au nouveau Premier ministre israélien Naftali Bennett, la visite n’a pas manqué de déplaire à certains journaux connus pour leur proximité au pouvoir. 

Le site le360 a ainsi critiqué le même jour : « Pour les intérêts de l’État marocain, cette visite du chef du Hamas n’intervient pas au meilleur moment. » Et de conclure : « Mais pour le PJD, ce sont d’abord les intérêts du parti et ceux de la confrérie islamiste mondiale qui priment. »

Seulement, si le PJD est bien l’instigateur de la visite, c’est Rabat qui a donné son feu vert. 

« Le PJD a invité en décembre la délégation du Hamas mais la diplomatie marocaine n’a donné son aval qu’en juin », confie à Middle East Eye une source proche de Saâdeddine el-Othmani. 

Lors de la déclaration conjointe du Premier ministre et d’Ismaël Haniyeh, qui a eu lieu le 16 juin, le chef du Hamas a d’ailleurs précisé : « Cette visite a lieu sous les auspices de Sa Majesté le roi ». « Je suis très heureux car c’est ma première visite au Maroc, ce pays frère loin géographiquement mais au cœur de la grande patrie arabe et musulmane. Loin géographiquement mais très attaché à al-Qods [Jérusalem] et à [la mosquée] al-Aqsa », a ajouté Haniyeh. 

Rabat, intermédiaire dans le conflit palestinien ?

Que s’est-il passé en six mois pour que le Hamas accepte l’invitation du PJD en faisant l’impasse sur la normalisation avec Israël ? 

Selon un haut fonctionnaire joint par MEE, cet événement comporte des avantages pour le Hamas, le PJD mais aussi pour Rabat. 

« Il ne s’agit pas simplement d’une visite à l’invitation d’un parti politique proche du Hamas. C’est une visite quasi officielle dans laquelle le PJD a joué un rôle d’intermédiaire », précise notre source, pour qui Rabat entend désormais jouer à nouveau un rôle important au Moyen-Orient mais surtout dans la résolution du conflit israélo-palestinien.

Lors de la déclaration conjointe, Ismaël Haniyeh l’a d’ailleurs laissé entendre. 

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« Plusieurs tâches nous attendent après cette victoire [que revendique le Hamas face à Israël lors des derniers affrontements en mai], dont nous discuterons en profondeur avec nos frères du Maroc, et celles-ci seront certainement sur la table de Sa Majesté », a prévenu le chef du Hamas le 16 juin.

« C’est dire qu’il existe bel et bien des choses sérieuses qui se trament, qui expliqueraient ce déplacement inattendu des dirigeants du Hamas », s’enthousiasme le site Le Collimateur.

« Cette visite d’une semaine est le prélude à une forme de contact entre Rabat et le Hamas, ce qui permettrait à la diplomatie marocaine de jouer un rôle important dans le dossier palestinien », précise le haut fonctionnaire contacté par MEE. 

« Il y a une conviction chez les Américains et une partie des pays européens qu’aucune initiative pour résoudre le conflit palestinien ne saurait aboutir en évinçant le Hamas, devenu un élément très important dans l’équation. Le Maroc, qui était un intermédiaire très respecté dans le conflit israélo-palestinien, veut recouvrer ce rôle. »

Le roi Hassan II reçoit Yasser Arafat, président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), à Rabat le 10 juillet 1996 (AFP/Abdelhak Senna)
Le roi Hassan II reçoit Yasser Arafat, président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), à Rabat le 10 juillet 1996 (AFP/Abdelhak Senna)

Le responsable du parti de la lampe fait entre autres référence aux nombreuses rencontres ayant eu lieu dans les années 1970 entre des responsables égyptiens et israéliens au Maroc en amont des accords de Camp David ou encore à la visite du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et du chef de l’OLP Yasser Arafat à Rabat en 1976 et 1996.

Quant au Hamas, « il briserait son isolement politique au moment où il est appelé à jouer un rôle plus important. Alors qu’il était indésirable, par exemple, en Jordanie et en Syrie, il gagne du terrain au Maroc et en Mauritanie, où il a effectué aussi une visite », poursuit cette source proche du PJD.

« Le PJD reprend la main »

À court terme, le plus grand gagnant est le PJD. Conspué par ses militants et ses électeurs après la signature de l’accord de normalisation avec Israël par Saâdeddine el-Othmani, le parti était au bord de l’implosion après que l’ancien secrétaire général Abdelilah Benkirane eut gelé son adhésion et plusieurs poids lourds de la formation islamiste eurent démissionné. 

Parmi eux : le président du conseil national Driss Azami El Idrissi, dont la démission a été refusée par le parti, le maire de Casablanca et ancien ministre Abdelaziz El Omari, qui avait claqué la porte du secrétariat général, où il officiait depuis plusieurs années, ainsi que le parlementaire Abouzaid El Mokrie, qui avait annoncé le gel de son adhésion au PJD en protestation contre la signature de l’accord de normalisation, un accord critiqué également par la jeunesse du parti et le Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice idéologique de la formation.

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Qu’en est-il aujourd’hui ? En colère contre la direction du parti il y a quelques mois en raison de l’adoption par le gouvernement d’une loi légalisant l’usage thérapeutique du cannabis, un parlementaire du PJD contacté par MEE reconnaît qu’« El-Othmani a réussi, à moins de trois mois des élections législatives, à redorer son image et celle du parti grâce à l’invitation de la délégation du Hamas au PJD ».  

Et d’ajouter : « L’image d’un parti dont l’ADN est lié au soutien à la cause palestinienne a été relativement restaurée. El-Othmani a réussi à faire passer un message selon lequel la normalisation des relations entre le Maroc et Israël était différente de celle des Émirats arabes unis et de Bahreïn et que le Maroc avait sa propre manière de défendre les Palestiniens. »

En remerciant, dans son discours, « le roi Mohammed VI, le peuple marocain, le gouvernement, les partis politiques et le Parlement pour leur soutien à la cause palestinienne », Ismaël Haniyeh s’est gardé d’émettre le moindre reproche à l’adresse de son hôte sur ce qu’il qualifiait six mois plus tôt de « péché politique ». 

« L’exclusion de Benkirane du programme de la visite demeure un mystère pour nous »

- Un cadre du parti à MEE

Le chef du PJD a même marqué un point face à son adversaire Abdelilah Benkirane, qui n’a pas rencontré la délégation du Hamas, alors même que plusieurs chefs de partis marocains se sont entretenus avec Ismaël Haniyeh durant sa visite. 

« L’exclusion de Benkirane du programme de la visite demeure un mystère pour nous. Certains l’expliquent par des contraintes logistiques liées aux déplacements de la délégation, dont le moindre mouvement devait être sécurisé, mais cela ne convainc pas tout le monde », regrette un cadre du parti contacté par MEE.

Il en est de même pour Al Adl Wal Ihsane, mouvement islamiste « toléré mais non autorisé », qui n’a pas non plus fait partie du programme de la visite du Hamas. 

L’organisation dirigée par Mohamed Abbadi s’était pourtant empressée de rejeter, en décembre, l’accord de normalisation, qualifié de « coup de poignard dans le dos des Palestiniens » et de « trahison ». 

« Sitôt la normalisation annoncée en décembre, le mouvement a essayé de tirer le tapis sous les pieds du [PJD] en rejetant l’accord et en se faisant passer pour le courant islamiste le plus fidèle à la cause palestinienne », rappelle notre source. « Maintenant, le parti reprend la main sur la question. »

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