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Elizabeth II : le Moyen-Orient qu’elle a connu en 1952

Lorsque la souveraine est montée sur le trône, la Grande-Bretagne était toujours un empire et sans doute la plus grande puissance de la région. Depuis, des rois sont tombés et de nouveaux États ont vu le jour
Des combattants yéménites appartenant au protectorat britannique à Aden, en 1957 (AFP)
Des combattants yéménites appartenant au protectorat britannique à Aden, en 1957 (AFP)

Lorsque la défunte reine Elizabeth II est montée sur le trône en février 1952, le Royaume-Uni était encore un empire qui contrôlait de larges pans de la planète et comptait des centaines de millions de sujets.

Depuis, le monde a connu des guerres, des révolutions et des coups d’État. L’empire britannique tel qu’il était a disparu.

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Une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, région où le Royaume-Uni conserve de solides liens – notamment via les monarchies –, était largement sous contrôle britannique (direct et indirect), lorsqu’Elizabeth a accédé au trône.

Chypre, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Yémen du Sud, Oman et le Soudan étaient tous de jure ou de facto dirigés par l’empire britannique ; tandis que l’Égypte, la Jordanie, l’Irak et l’Arabie saoudite étaient largement sous son influence.

Une grande partie du contrôle traditionnel exercé par le Royaume-Uni sur le Moyen-Orient reposait sur diverses monarchies imposées ou soutenues par l’empire et qui entretenaient des liens étroits avec la famille royale britannique.

Elizabeth II a été couronnée le 6 février 1952. À l’époque, la Grande-Bretagne dirigeait directement une grande partie de ce qui correspond aujourd’hui aux États arabes du Golfe ; seuls l’Arabie saoudite et le Nord du Yémen étaient des États indépendants bien que très proches de l’empire.

Dans le camp occidental

Le Koweït allait devoir attendre jusqu’en 1963 pour être officiellement indépendant, tandis que les Émirats arabes unis (alors connus sous le nom d’États de la Trêve), le Qatar et Oman allaient demeurer des protectorats jusqu’aux années 1970. 

L’Irak, l’Iran, l’Égypte et la Jordanie étaient tous des monarchies alignées sur la Grande-Bretagne ; tandis que la République de Turquie a rejoint l’OTAN l’année de son couronnement et est entrée dans la sphère d’influence occidentale.

Un navire britannique ancré près des rives du canal de Suez, dans les années 1950, en Égypte (AFP)
Un navire britannique ancré près des rives du canal de Suez, dans les années 1950, en Égypte (AFP)

En 1955, l’Irak, l’Iran et la Turquie allaient rejoindre le Pakistan et le Royaume-Uni dans le pacte de Bagdad, une alliance anticommuniste.

Quatre ans avant le couronnement de la reine, la Grande-Bretagne s’était retirée de Palestine, mais non sans avoir auparavant encouragé l’immigration juive et le projet de colonisation du mouvement sioniste – une politique qui a secoué une région qui ne s’est pas encore remise de la création d’Israël.

Malgré le retrait des Britanniques de Palestine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Moyen-Orient était résolument dans le camp occidental – même si la peur du communisme et du nationalisme arabe ne quittait jamais totalement l’esprit des dirigeants.

Bien qu’elle ne fût plus une colonie directe, l’Égypte a joué un rôle crucial dans l’empire.

Sous le règne du roi Farouk, le pays était proche de la Grande-Bretagne, son ancienne puissance coloniale. La pauvreté et les inégalités étaient endémiques dans le royaume sous le règne de Farouk, mais le soutien des Britanniques a garanti – pendant un moment du moins – la capacité de son administration à apaiser le mécontentement de la population.

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Les Britanniques partageaient également la souveraineté du Soudan avec l’Égypte depuis 1899, maintenant des forces dans le Sud après leur victoire dans la guerre des mahdistes (1881-1899).

Mais surtout, les forces britanniques étaient stationnées autour du canal de Suez, une route faisant partie intégrante du commerce international.

Construit par la Compagnie universelle du canal maritime de Suez entre 1859 et 1969, le canal détenu par les Britanniques et les Français allait devenir un symbole pour les nationalistes égyptiens de l’asservissement de leur pays aux puissances étrangères. 

Assurer le flux régulier du commerce était l’un des principaux objectifs de l’empire britannique au Moyen-Orient.

À l’autre bout de la mer Rouge se situe Aden, au sud-ouest de la péninsule Arabique. Surplombant le golfe d’Aden, cette cité portuaire était l’un des ports les plus animés au monde en matière de commerce et de voyage dans les années 1950.

Plus de 7,3 millions de sujets

Des dizaines de milliers de soldats britanniques étaient stationnés à Aden. Les accords avec les chefs des tribus locales permettaient de minimiser les menaces des syndicats et des militants de gauche qui réclamaient l’autonomie et un meilleur traitement des ouvriers indigènes – pendant un temps.

Outre les forces stationnées à Suez, le contrôle du canal et d’Aden donnait aux Britanniques le contrôle total de la route de transport la plus rapide entre la mer Méditerranée et l’océan Indien. 

Un soldat de l’infanterie légère de Durham, régiment d’infanterie de l’armée britannique, atterrit sur la base aérienne de Beihan dans le désert d’Aden en 1957 (AFP)
Un soldat de l’infanterie légère de Durham, régiment de l’armée britannique, atterrit sur la base aérienne de Beihan dans le désert d’Aden en 1957 (AFP)

Au moment de son accession au trône, Elizabeth II comptait plus de 7,3 millions de sujets dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), tandis que 55 millions d’autres au moins étaient sous influence britannique.

Le gouvernement iranien mené par le Premier ministre Mohammad Mossadegh, qui avait nationalisé en 1951 l’industrie pétrolière de son pays, constituait une source d’inquiétude pour l’empire.

La décision de Mossadegh de prendre le contrôle de la société Anglo-Iranian Oil Company détenue par les Britanniques – avec le soutien populaire des communistes – était en partie motivé par la croyance que cette société était un moyen d’exercer un contrôle étranger sur l’Iran.

Cette prise de pouvoir a alarmé les Britanniques et leur alliés. Un problème bientôt corrigé : un an plus tard, avec le soutien du Royaume-Uni et des États-Unis, Mossadegh fut renversé après un coup d’État et le shah Mohammad Reza Pahlavi allait se voir accorder le contrôle total du pays. Il se montrera par la suite totalement complaisant face aux puissances étrangères. 

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À travers le reste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, les autres puissances coloniales exerçaient elles aussi une influence.

À la suite du célèbre accord Sykes-Picot durant la Première Guerre mondiale, la Syrie et le Liban étaient tombés sous le contrôle français mais avaient obtenu leur indépendance dans les années 1940.

Cependant, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie étaient toujours sous la domination coloniale française, tandis que l’Espagne contrôlait ce qu’on appelle aujourd’hui le Sahara occidental.

Il n’a pas fallu longtemps avant que tous ne réclament leur indépendance. L’Algérie a plongé dans une guerre anticoloniale brutale, quant au Sahara occidental, il reste encore à ce jour une région contestée et un lieu de lutte anticoloniale.

Le statu quo n’allait pas durer.

« Nous sentons que le monde a changé »

Cinq mois après l’accession au trône d’Elizabeth II, un groupe d’officiers nationalistes, parmi lesquels Gamal Abdel Nasser, a mené un coup d’État en Égypte, aboli la monarchie et fait du pays une république.

Cet événement, peut-être plus qu’aucun autre, a lancé le processus mettant fin au rôle de la Grande-Bretagne en tant que puissance dominante au Moyen-Orient. Le gouvernement de Nasser allait plus tard superviser l’indépendance et la fin du règne britannique au Soudan en 1956, chasser les forces britanniques de Suez et nationaliser le canal.

Une photo non datée de troupes britanniques, les Highlanders, jouant de la cornemuse devant la citadelle du Caire en Égypte (AFP)
Une photo non datée de troupes britanniques, les Highlanders, jouant de la cornemuse devant la citadelle du Caire en Égypte (AFP)

La crise de Suez qui s’est ensuivie allait voir la Grande-Bretagne – et ses alliés français et israéliens – échouer à renverser Nasser par la force et à reprendre le contrôle du canal. C’en était fini du statut de l’empire britannique en tant que principale puissance impériale, et les États-Unis allaient bientôt essayer de prendre sa place.

« Nous nous sentons forts, nous sentons que le monde a changé », a déclaré Nasser dans un discours après le début de l’invasion. « Ils veulent nous insulter ? Et bien nous pouvons les insulter… Nos journaux ne peuvent-ils pas insulter la reine et son Premier ministre ? »

Ce que pensait la jeune reine de ces événements – si tant est qu’elle en ait pensé quelque chose – n’est pas entré dans l’histoire et il est devenu normal pour cette figure de proue d’être vue comme apolitique.

L’année même de la crise du canal de Suez, le roi Fayçal II d’Irak s’est rendu à Londres. 

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Sur les images prises par British Pathé, Elizabeth II, son époux, le prince Philip, et d’autres membres de la famille royale et responsables du gouvernement accueillent Fayçal II à sa descente du train à la gare de Victoria avant de prendre une calèche pour remonter la rue bondée vers le palais de Buckingham.

Lors de cette visite, la reine Elizabeth II a décrit l’Irak comme un « modèle d’État moderne construit sur des fondations antiques et célèbres et regardant l’avenir avec confiance ».

Deux ans plus tard, Fayçal II fut renversé et tué dans un coup d’État nationaliste inspiré par le putsch de Nasser en Égypte. Le pays allait devenir une république et se retirer du pacte de Bagdad, se rapprochant de l’Union soviétique.

À la fin des années 1970, la seule monarchie restante en dehors du Golfe était la Jordanie, le Yémen du Sud étant devenu un État marxiste-léniniste après son indépendance en 1967 (réuni plus tard avec le Nord en 1990), et l’Iran s’étant transformé en république islamique à la suite de la révolution de 1979.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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