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Syrie : dans le camp d’al-Hol, l’EI continue de semer la mort

Dans le camp administré par les Kurdes où vivent des familles de combattants de l’EI, des habitantes évoquent un quotidien fait de menaces de mort, d’assassinats et de misère
Un membre des forces kurdes de sécurité responsables du camp monte la garde alors qu’un groupe de familles syriennes est libéré du camp d’al-Hol, le 18 mars 2021 (Delil Souleiman/AFP)
Un membre des forces kurdes de sécurité responsables du camp monte la garde alors qu’un groupe de familles syriennes est libéré du camp d’al-Hol, le 18 mars 2021 (Delil Souleiman/AFP)

En fuyant les milices violentes qui régnaient sur leur ville de Mossoul, en Irak, au début de l’année 2018, Fatima et sa famille pensaient s’éloigner du danger plutôt que se jeter dans la gueule du loup.

En mars 2018, Fatima, 28 ans, son mari et ses deux enfants ont franchi clandestinement la frontière nord-est de la Syrie.

Ils prévoyaient de traverser la Syrie jusqu’à Idleb, dans le nord-ouest du pays, pour emprunter l’une des nombreuses routes clandestines vers la Turquie.

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Mais ils ont été arrêtés peu après la frontière par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de combattants kurdes et arabes soutenue par les États-Unis : ils étaient soupçonnés d’être du côté du groupe État islamique (EI).

Les FDS les ont emmenés à al-Hol, un camp situé dans la province de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, où vivent des personnes soupçonnées d’être des membres de la famille de combattants de l’EI.

« Je n’ai pas vu mon mari depuis que les Forces démocratiques syriennes l’ont arrêté », confie à Middle East Eye Fatima, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille par crainte de représailles de la part de l’EI ou des FDS. 

« Je n’ai jamais imaginé me retrouver avec mes deux enfants dans un camp semblable à une prison. Je refuse toujours qu’on donne à ce désert clôturé le nom de camp. Al-Hol ressemble à un petit enfer. » 

Des armes équipées de silencieux

Al-Hol, qui abrite plus de 63 000 personnes d’origines diverses, principalement des femmes et des enfants originaires de Syrie et d’Irak, est le plus grand camp contrôlé par les autorités kurdes, selon lesquelles le lieu est en train de devenir un vivier extrémiste.

Selon des sources citées par des médias locaux, sept citoyens irakiens et un déplacé syrien ont été tués dans le camp au cours des dernières semaines.

Les tueurs ont abattu les victimes dans leur tente à l’aide d’armes équipées de silencieux.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), établi en Grande-Bretagne, a enregistré une quarantaine de meurtres à al-Hol depuis le début de l’année.

Alors que les autorités kurdes attribuent la plupart des assassinats à des sympathisants de l’EI, des sources humanitaires soutiennent que des conflits tribaux pourraient être à l’origine de certains des meurtres.

Des enfants jouent dans le camp d’al-Hol (AFP)
Des enfants jouent dans le camp d’al-Hol, le 17 février 2021 (AFP)

L’AFP a rapporté mardi que 53 personnes avaient été arrêtées dans le camp, dans le cadre d’une opération anti-EI qui se poursuivra pendant au moins dix jours selon des responsables des FDS.

Fatima et sa famille ont quitté l’Irak face à la violence des milices qui ont pris le contrôle de Mossoul après la chute de l’EI.

Mais aujourd’hui, la situation est encore plus dramatique, confie-t-elle.

« Nous vivons entre deux mauvaises options. Les cellules de l’EI contrôlent les habitants du camp par le biais d’assassinats et de menaces, tandis que les Forces démocratiques syriennes ferment les murs de ce camp et nous empêchent de partir sans caution », explique-t-elle.

« Tu connaîtras bientôt le même sort »

Début janvier, Hind*, une habitante du camp âgée de 30 ans, a fait l’objet de menaces de mort de la part d’hommes se présentant comme des combattants de l’EI, selon une de ses amies à l’intérieur d’al-Hol, qui s’est entretenue avec MEE sous couvert d’anonymat.

Sur les premiers messages, envoyés sur WhatsApp, Hind et son frère Abdullah, âgé de 13 ans, ont reçu des menaces de mort pour avoir coopéré avec les FDS à l’intérieur du camp et leur avoir donné des informations.

Dans un appel enregistré que MEE s’est procuré, on entend Hind nier ces accusations auprès d’un membre de l’EI, qui affirme l’avoir vue discuter avec des personnes sur le marché du camp.

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Au cours de la conversation, Hind affirme que les FDS lui ont amené trois combattants présumés de l’EI : « Je ne leur ai donné aucun nom, je le jure », assure-t-elle.

L’EI a assassiné Abdullah après les premières menaces, a indiqué l’amie de Hind à MEE, sans donner de détails sur le la date ou la façon dont il a été tué.

« Qu’est-ce qu’Abdullah vous a fait ? », demande Hind. « Abdullah n’était qu’un enfant. »

« Continue d’espionner pour des malfaiteurs et tu suivras Abdullah », répond le combattant de l’EI. « Tu verras tout le mal que nous pouvons te causer. »

« Personne ne meurt avant le jour de sa mort, même si vous envoyez un pistolet silencieux et toutes les armées du monde pour me tuer », réplique Hind, avant que l’enregistrement ne se coupe.

Elle mourra poignardée dans sa tente trois jours plus tard. 

Informateurs

La pauvreté oblige de nombreux habitants d’al-Hol à travailler comme informateurs des FDS en échange de nourriture, d’aide ou d’argent, selon Raghad al-Mahdi, une Syrienne originaire de la région de Raqqa, dans le nord de la Syrie, qui vit désormais à al-Hol avec ses trois enfants.

« Cela les expose alors au risque de se faire tuer par les combattants de l’EI présents dans le camp pour avoir coopéré avec les FDS… Les cellules de l’EI sont partout », assure-t-elle.

« Les cellules de l’EI sont partout »

- Raghad al-Mahdi, Syrienne

« Il n’y a aucune sécurité pour moi ou mes enfants dans ce camp. »

Raghad n’a pas de maison et ne peut pas en louer une. Sa seule option est de vivre dans une tente à al-Hol. Pour avoir les moyens de nourrir sa famille, elle vend des légumes dans le camp.

Pour sa part, Fatima n’a toujours pas retrouvé la trace de son mari.

« Pour sortir du camp, il faut beaucoup d’argent, et aussi une médiation tribale », explique-t-elle à MEE. « Nous n’avons rien de tout cela, donc nous sommes obligés de rester dans cet enfer. »

*Le prénom a été modifié.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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