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Syrie : une frappe américaine contre al-Qaïda à Idleb fait six blessés graves dans une même famille

Un garçon de 10 ans et sa sœur de 15 ans ont été gravement blessés lors de la frappe qui a tué un chef d’al-Qaïda
Ahmed Qasoum lève sa main, blessée par des éclats d’obus qui ont traversé sa voiture le 3 décembre près d’Idleb (MEE/Izzeddin Kasim)
Ahmed Qasoum lève sa main, blessée par des éclats d’obus qui ont traversé sa voiture le 3 décembre près d’Idleb (MEE/Izzeddin Kasim)

Âgé de 10 ans, le fils d’Ahmed Qasoum pourrait ne jamais se remettre complètement des blessures causées par une frappe de drone américaine qui a touché vendredi un bastion de l’opposition dans le nord-ouest de la Syrie, selon les médecins.

Vers 10 h, heure locale, un drone MQ-9 Reaper a frappé une moto conduite par un haut responsable d’al-Qaïda sur une route reliant les villes d’Ariha et d’Idleb.

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Le Commandement central américain, qui dirige toutes les missions du Pentagone au Moyen-Orient, a déclaré que le chef d’al-Qaïda avait effectivement été tué et admis « la possibilité » que des civils aient également été blessés.

« Nous entamons une enquête approfondie sur ces allégations et nous en publierons les résultats le moment venu », a indiqué le capitaine Bill Urban dans un communiqué.

Ahmed Qasoum, 53 ans, et cinq membres de sa famille figurent parmi les civils blessés dans l’attaque : ils empruntaient cet axe sans savoir qu’un tel individu se trouvait sur cette moto près d’eux, ni que quelque chose volait secrètement au-dessus d’eux.

« La moto roulait devant moi et j’ai décidé de la dépasser. Quand je suis arrivé à sa hauteur, j’ai senti une forte pression qui a poussé la voiture vers la gauche de la route », raconte le père de famille à Middle East Eye.

Sur les photos envoyées à MEE, la moto a été réduite en un amas de ferraille tordue.

Fracture du crâne

« C’était horrible, se souvient-il. Nous n’avons pas entendu de bruit d’explosion. Les éclats d’obus ont transpercé le côté droit de la voiture, qui a en a filtré en quelque sorte une grande partie. »

« Mon fils de 10 ans souffre d’une fracture du crâne et se trouve désormais dans un état très grave aux soins intensifs d’un hôpital d’Idleb. Les médecins m’ont dit qu’il aurait, à l’avenir, des problèmes au niveau des nerfs du côté droit de son corps », explique Ahmed Qasoum à MEE via WhatsApp.

« Ma fille de 15 ans a également été gravement blessée à la tête », poursuit-il. « Les médecins ont retiré plusieurs éclats d’obus. Après l’intervention, ils m’ont dit qu’il lui faudrait une semaine pour remarcher. »

Son épouse a eu la jambe cassée et s’est vu poser des broches, tandis que deux autres membres de sa famille ont également été blessés lors de la frappe, affirme Ahmed Qasoum.

L’épouse d’Ahmed Qasoum repose sa jambe cassée après avoir été blessée lors d’une attaque américaine lancée le 3 décembre près d’Idleb (MEE/Izzeddin Kasim)
L’épouse d’Ahmed Qasoum repose sa jambe cassée après avoir été blessée lors d’une attaque américaine lancée le 3 décembre près d’Idleb (MEE/Izzeddin Kasim)

Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le groupe armé qui contrôle Idleb, a empêché les médias de filmer les dégâts sur place, selon des sources locales. Les autorités locales associées à HTC ont également saisi la voiture de la famille Qasoum après l’attaque, prétextant vouloir vérifier les papiers du véhicule.

Dans le même temps, les autorités locales ont identifié l’homme tué lors de la frappe : il s’agit d’un chef connu sous le nom de Musab Kinan, soupçonné d’être affilié à Hurras al-Din, la branche d’al-Qaïda à Idleb.

Alors que certaines sources affirment que Musab Kinan était étudiant dans un institut de langue turque à Idleb, d’autres rapportent qu’il vivait sous couverture, une stratégie couramment employée par les éléments et dirigeants d’al-Qaïda dans le nord de la Syrie : ceux-ci déambulent avec des vêtements miteux et se font passer pour des ouvriers du bâtiment ou des mécaniciens automobiles afin d’éviter les drones américains.

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Les membres de Hurras al-Din sont des cibles des Américains depuis la formation du groupe en 2017, lorsque des membres du Front al-Nosra, qui avait alors changé de nom pour devenir le Front Fatah al-Cham, ont fait défection à Idleb.

Selon des habitants d’Idleb interrogés par MEE, les opérations américaines passées contre le groupe étaient parfois si précises qu’elles pouvaient frapper un véhicule sur un côté et le projeter de l’autre côté de la rue sans perturber la circulation ni laisser de trous dans la chaussée.

Le mois dernier, cependant, une enquête du New York Times a révélé qu’en mars 2019, des frappes aériennes américaines contre un bastion du groupe État islamique (EI) à Baghouz, dans l’est de la Syrie, avaient entraîné la mort d’au moins 64 civils selon les estimations.

En réponse aux informations relayées par le New York Times, le Pentagone a lancé une enquête de haut niveau de 90 jours dans le but d’examiner l’attaque et de vérifier si elle doit être considérée comme un crime de guerre.

Aucune indemnisation pour les victimes

« Nous émettons des réserves au sujet des enquêtes de la coalition, étant donné que celle-ci n’a reconnu que 30 % des victimes, dont aucune n’a été indemnisée à ce jour », affirme à MEE Fadel Abdul-Ghany, président et fondateur du Réseau syrien des droits de l’homme (RSDH), établi en France.

« 3 037 civils parmi lesquels 924 enfants ont été tués de manière injustifiée par la coalition américaine en Syrie, dont 140 à Idleb, 782 à Alep, 1 133 à Raqqa, 218 à Hassaké, 626 à Deir Ezzor, 133 à Homs », précise-t-il. « Jusqu’à présent, aucune indemnisation n’a été accordée pour les pertes civiles, les maisons démolies ou les lieux essentiels qui ont été ciblés. »

« Les éclats d’obus ont transpercé le côté droit de la voiture », raconte Ahmed Qasoum (MEE/Izzeddin Kasim)
« Les éclats d’obus ont transpercé le côté droit de la voiture », raconte Ahmed Qasoum (MEE/Izzeddin Kasim)

D’après Fadel Abdul-Ghany, 181 lieux essentiels ont été ciblés lors des opérations de la coalition américaine.

« Les victimes doivent être indemnisées le plus rapidement possible et nous espérons que cela se fera par le biais d’une commission locale indépendante, étant donné que les délais, entre 2014 et aujourd’hui, diminuent la valeur des indemnisations pour les préjudices matériels et moraux », ajoute-t-il.

Le mois dernier, des frappes aériennes russes qui visaient une ferme avicole abritant des personnes déplacées à la périphérie de Maarat Misrin, au nord d’Idleb, a tué cinq civils d’une même famille, dont trois enfants et une femme, et blessé six autres personnes.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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