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Le président tunisien enterre le projet de loi visant à criminaliser la normalisation avec Israël

Kais Saied, qui qualifie la normalisation avec Israël de « haute trahison », considère pourtant qu’une loi criminalisant les liens avec ce pays porterait atteinte à la sécurité de la Tunisie
Des parlementaires tunisiens déplient le drapeau palestinien lors d’une minute de silence pour les victimes palestiniennes de Gaza, à l’ouverture d’une séance consacrée à un projet de loi sur la criminalisation de la normalisation avec Israël, le 2 novembre (AFP/Fethi Belaïd)
Des parlementaires tunisiens déplient le drapeau palestinien lors d’une minute de silence pour les victimes palestiniennes de Gaza, à l’ouverture d’une séance consacrée à un projet de loi sur la criminalisation de la normalisation avec Israël, le 2 novembre (AFP/Fethi Belaïd)
Par MEE

Un groupe de députés tunisiens a exigé vendredi de voter en faveur d’une loi, inédite pour la région, punissant de lourdes peines de prison toute normalisation avec Israël, texte dont s’est dissocié par surprise le président Kais Saied.

Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, les débats autour du texte, qui considère comme un « crime de haute trahison » tout lien avec Israël, au niveau des institutions, des entreprises et des particuliers, ont animé le Parlement en fin de semaine dernière.

Le président du Parlement Brahim Bouderbala qui, à l’ouverture des travaux, avait parlé d’une « parfaite harmonie entre le Parlement, le président et l’opinion publique » sur cette question, a ajourné la séance sans vote jeudi 2 novembre.

Il a pris cette décision après avoir été « informé par le président Kais Saied que le projet de loi incriminant la normalisation avec l’entité sioniste [Israël] porterait atteinte à la sécurité de la Tunisie ».

« Dangereuse »

Vendredi 3 novembre, l’Assemblée n’a pas repris ses travaux, mais des députés, dont Abderrazek Aouidet, membre du groupe de partisans de Kais Saied, à la tête du bloc « La ligne nationale souveraine » ayant élaboré le texte, a insisté pour qu’elle soit votée.

« Nous sommes déterminés à faire passer cette loi », a déclaré le député, affirmant qu’elle « ne va aucunement à l’encontre des intérêts déclarés de la Tunisie et n’affecte absolument pas la bonne marche des institutions de l’État ».

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D’autres parlementaires ont estimé que la proposition de loi était vague et donc « dangereuse » et que des consultations avec d’autres parties prenantes, dont le ministère des Affaires étrangères, étaient indispensables lors de son élaboration, ce qui n’a pas été fait.

La Tunisie, qui a accueilli l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à l’époque de Yasser Arafat de 1982 à 1994, soutient fermement la cause palestinienne. Le président Saied, qui avait fait de celle-ci un des points forts de sa campagne, a affirmé ces dernières semaines que la normalisation représentait une « haute trahison ».

En 2021, il avait déjà tenu des propos similaires.

« Ce n’est pas une situation normale d’être sous occupation et ce n’est pas une situation normale d’avoir des relations avec l’occupant, chaque pays est libre dans ses choix, mais il s’agit d’une trahison », avait-il déclaré en marge de sa présence à Paris pour le Sommet sur le financement des économies africaines. « Je considère le déni du droit palestinien comme une haute trahison. »

Le projet de loi sur la criminalisation de la normalisation avec Israël est un vieux sujet. Le Parlement tunisien avait déjà rejeté en 2018 un projet de loi visant à criminaliser la normalisation avec Israël, proposé en 2015 par le Front populaire (gauche).

En 2012, un projet de loi similaire avait été aussi rejeté par la majorité de l’Assemblée qui rédigeait la Constitution.

Peines de prison

En mai 2021, une manifestation, à laquelle avaient participé des organisations de la société civile et des politiques, toutes tendances confondues, avait été organisée à Tunis pour revendiquer l’adoption de cette loi.

Des slogans tels que « Le peuple veut la criminalisation de la normalisation », « Palestine libre, sionistes dehors ! » ou encore « Le peuple tunisien est un peuple libre... La normalisation ne passera pas » avaient été scandés par des centaines de participants.

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Mercredi 1er novembre, le chef de la diplomatie Nabil Ammar avait appelé « à étudier les répercussions » du texte et à prendre « du temps » pour l’examiner, jugeant impossible de le « promulguer en deux jours ».

La loi prévoit des peines de six à douze ans de prison pour toute « communication, contact, propagande, conclusion de contrats ou coopération, directement ou indirectement, par des personnes physiques ou morales de nationalité tunisienne avec toutes les personnes physiques et morales affiliées à l’entité sioniste ».

Toute interaction est interdite aussi aux Tunisiens avec « les individus, les institutions, les organisations, les entités gouvernementales ou non gouvernementales » liés à Israël.

La communauté juive tunisienne compte un millier de personnes, dont une majorité vivent sur l’île de Djerba (sud), où est organisé tous les ans en mai un pèlerinage à la synagogue de la Ghriba qui attire des milliers de personnes.

Abstention à l’ONU

Le 27 octobre, la Tunisie s’est par ailleurs abstenue de voter pour la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à une trêve humanitaire immédiate à Gaza.

Dans une allocution prononcée lors de la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU, le représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU, Tarak Ladab, a expliqué que la situation « grave et sans précédent » dans la bande de Gaza nécessitait une position « plus claire » que celle décrite par la résolution.

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Il a également souligné que ladite résolution ne condamnait pas les crimes de guerre et le génocide commis par les forces de l’occupation contre les Palestiniens.

Le diplomate tunisien a, dans ce contexte, ajouté que la Tunisie s’était abstenue de voter « conformément à sa position de principe qui condamne fermement les atrocités commises par l’entité sioniste contre le peuple palestinien ».

« La Tunisie poursuit son soutien indéfectible au peuple palestinien pour recouvrer tous ses droits légitimes », a-t-il réaffirmé, appelant à imposer le respect des résolutions onusiennes émises pour mettre fin aux agressions contre la Palestine.

Le projet de résolution a été adopté par 120 voix pour, 14 contre et 45 abstentions.

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