Aller au contenu principal

Élections en Turquie : des milliers de comptes Twitter russes réactivés en turc

Bien qu’un quart seulement de la population utilise Twitter en Turquie, la plateforme de réseaux sociaux est un amplificateur important qui pourrait avoir un impact sur le débat précédent les élections du 14 mai
Une photo de l’oiseau Twitter sur un smartphone avec le drapeau turc en arrière-plan, Istanbul, 26 mars 2014 (AFP)
Par Ragip Soylu à ISTANBUL, Turquie

Des milliers de comptes Twitter russophones et hongrois ont été réactivés en tant qu’utilisateurs turcs à quelques semaines des élections du 14 mai en Turquie, ce qui soulève la possibilité d’une ingérence électorale par le biais des réseaux sociaux.

Ahmet Turan Han, directeur général de la société de conseil et de recherche politique Datailor, a indiqué à Middle East Eye que son entreprise avait rencontré un réseau d’utilisateurs de Twitter, très probablement des bots, ayant récemment changé d’identité.

« Nous avons observé ces derniers mois que de nombreux comptes turcs existants avaient été réactivés avant les élections, ce qui est normal », a-t-il expliqué à MEE la semaine dernière. « Cependant, certains d’entre eux sont particulièrement intéressants car ils ne sont pas turcs. »

Datailor fournit des services quotidiens d’analyse de données sur les réseaux sociaux aux grandes entreprises commerciales opérant dans l’industrie alimentaire et les services, et c’est ainsi que son entreprise a rencontré le réseau par hasard.

Avant les élections, le pouvoir turc renforce son arsenal contre la presse
Lire

« Environ 12 000 comptes de réseaux sociaux russophones et hongrois ont été activés en tant que turcs et suivent désormais tous les partis et dirigeants politiques », a précisé Turan Han. « Environ 10 000 d’entre eux ont été activés au cours des deux dernières semaines. »

Selon lui, 56% de ces comptes ont par le passé partagé du contenu en russe, 28 % en hongrois et le reste en anglais.

« Nous estimons que les comptes hongrois doivent avoir été utilisés avant les élections hongroises de l’année dernière. »

Twitter turc est particulièrement enclin au trolling et à la fabrication de fake news puisque les principaux partis politiques, tant au pouvoir que dans l’opposition, promeuvent leur programme par le biais de comptes robots. La Russie, depuis les élections présidentielles américaines de 2016, est en outre fréquemment accusée d’ingérence présumée dans les élections par le biais des réseaux sociaux et de fuites dans les médias.

Tous les candidats ont des abonnés bots

Des recherches antérieures couvrant la période 2013-2023 ont indiqué que 20 à 50 % des sujets tendance en Turquie étaient faux et principalement propulsés par l’utilisation de bots.

L’auteur de l’étude, Tuğrulcan Elmas, un boursier postdoctoral spécialisé dans Twitter à l’Université de l’Indiana aux États-Unis, a déclaré à un média local que même si seulement 27 % de la population utilisait Twitter en Turquie selon les estimations, l’amplification de la plateforme était vraiment élevée. D’après le chercheur, le contenu de Twitter se retrouve généralement sur des sites web d’actualité et des réseaux sociaux comme WhatsApp et Ekşi Sözlük.

Elmas explique à MEE qu’au moins 20 % des sujets tendance sur le Twitter turc cette année ont été manipulés et ne sont pas représentatifs de ce dont les gens parlent réellement.

Mais selon lui, l’existence de comptes russophones sur Twitter turc ne signifie pas à elle seule que Moscou est à l’origine d’une opération d’ingérence électorale.

« Le fait que des comptes russophones aient commencé à tweeter en turc pourrait signifier qu’une société de réseaux sociaux turque a acheté une grande quantité de comptes Twitter pour les utiliser comme robots afin d’augmenter le nombre de followers de quelqu’un », indique-t-il. « Ils peuvent acheter ces comptes à une société russe et les convertir en turc. »

L’étude d’Elmas indique que d’autres comptes d’origine étrangère tentent de pousser certains sujets afin qu’ils deviennent tendance.

Élections en Turquie : le rival d’Erdoğan s’engage à obtenir l’exemption de visa pour l’Europe en trois mois
Lire

« Mais ces comptes étrangers pourraient avoir été volés par les entreprises qui manipulent les sujets d’actualité en Turquie », souligne-t-il. « Les comptes russophones peuvent être liés à la Russie, ou peuvent avoir été achetés ou repris par les Turcs. »

En 2020, Twitter a fermé quelque 7 340 comptes en Turquie, affirmant qu’il s’agissait d’« opérations d’information liées à l’État ».

Turan Han rappelle qu’Elon Musk a licencié l’équipe chargée de lutter contre les fake news et les comptes robots peu après son rachat de la compagnie l’année dernière, ce qui explique la réponse limitée de Twitter face à ce problème.

« Les comptes russophones et hongrois sont jusqu’à présent restés silencieux », observe-t-il. « Ils ne font que suivre les principaux partis politiques et dirigeants, ils ne twittent pas. »

Le gouvernement russe est soupçonné d’avoir interféré dans la politique intérieure turque, en particulier peu après la tentative de coup d’État de 2016.

Plusieurs faux articles alléguant l’implication des États-Unis dans la tentative de coup d’État, avec des titres tels que « Un haut responsable de la sécurité nationale des États-Unis admet le coup d’État en Turquie », ont été diffusés par des sites que l’on présume contrôlés par la Russie.

Han remarque que les candidats à la présidentielle en Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, Kemal Kılıçdaroğlu et Muharrem İnce, ont tous des followers robots.

« Cependant, İnce est particulièrement intéressant car son compte et les sujets tendance associés à sa campagne sont particulièrement infestés de comptes de bots », indique-t-il.

İnce, par exemple, a récemment perdu 300 000 abonnés en trois semaines, qui ont été rapidement remplacés par des comptes de bots.

Uğur Poyraz, secrétaire général du parti d’opposition İYİ, a partagé la semaine dernière des captures d’écran de comptes de bots ayant suivi sa chaîne Twitter, ce qu’il a imputé au gouvernement.

D’après Han, les comptes de bots ne propulsent pas nécessairement la campagne de la personne qu’ils suivent.

« Cela pourrait être l’inverse, ils pourraient suivre des comptes pour les spammer et les fermer, ou pour diminuer leur visibilité sur la plateforme. »

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].