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Suspension des ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite et aux Émirats : effet d’annonce ou vrai revirement ?

Alors que l’administration Biden prévoit de remettre à plat la politique américaine au Moyen-Orient, il n’est pas pour l’instant prévu de revenir sur la normalisation avec Israël
Biden s’est toujours considéré comme un véritable ami d’Israël, qui se soucie des considérations de sécurité du pays (AFP)

C’est une remise à plat de la politique américaine au Moyen-Orient, avec un « réexamen » du soutien militaire aux monarchies du Golfe et une reprise envisagée du dialogue avec l’Iran, qui « prendra un certain temps », que l’administration Biden a annoncée mercredi.

Premier résultat spectaculaire de cette décision : la suspension des ventes d’armes « en cours ». Parmi ces transactions gelées figurent des munitions de précision à l’Arabie saoudite et surtout 50 chasseurs furtifs F-35 aux Émirats arabes unis (EAU).

Selon les données recueillies par le Security Assistance Monitor, un think tank américain, et publiées en avril 2019 par Middle East Eye, les États-Unis ont conclu depuis 2015 pour au moins 68,2 milliards de dollars d’accords portant sur des armes à feu, des bombes, des systèmes d’armes et des entraînements militaires avec l’Arabie saoudite et les Émirats depuis le début de leur guerre au Yémen – des milliards de plus que ce qui avait été rapporté auparavant.

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Riyad dirige une coalition militaire auprès du gouvernement du Yémen dans le conflit qui l’oppose aux Houthis, appuyés par l’Iran.

Le nouveau secrétaire d’État Antony Blinken s’était engagé la semaine dernière à « mettre fin » au soutien américain à cette coalition, accusée de nombreuses bavures contre les civils yéménites.

Certains des contrats de ventes d’armes ont été conclus quelques jours à peine après que des armes fabriquées par les États-Unis ont été utilisées par la coalition menée par les Saoudiens dans le cadre de frappes aériennes qui ont tué des civils, y compris des écoliers en excursion, des personnes assistant à un mariage et une famille entière à Sanaa.

Antony Blinken a souligné mercredi que la coalition avait « contribué à ce que l’on considère souvent comme la pire crise humanitaire au monde actuellement ».

Par la même occasion, il a confirmé le réexamen « de manière très urgente » de l’inscription des Houthis sur la liste noire américaine des « organisations terroristes », critiquée de toutes parts car elle risque d’entraver l’acheminement de l’aide humanitaire dans les vastes territoires contrôlés par les rebelles.

Équilibres des alliances américaines

Ces décisions traduisent pour l’AFP une évolution importante des équilibres des alliances américaines, tant le royaume saoudien était, avec Israël, le pilier incontournable de la politique anti-Iran de Donald Trump.

La suspension de la vente de F-35 aux Émirats est aussi particulièrement emblématique car elle avait été décidée à l’automne, après des années de résistance, en échange de la reconnaissance d’Israël.

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo avait annoncé en octobre la vente aux Émirats arabes unis d’armement de dernière génération pour un montant total de 23 milliards de dollars, dont 50 chasseurs furtifs F-35 qui inquiétaient Israël.

La transaction, « conforme » selon lui à l’engagement américain de « maintenir la suprématie militaire d’Israël » dans la région, comprend également dix-huit drones tueurs MQ-9 « Reaper ».

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La normalisation historique des relations avec Israël, décrochée in extremis par Donald Trump auprès des Émirats, de Bahreïn, du Maroc et du Soudan, a été « applaudie » par Antony Blinken. Mais il a prévenu qu’il avait déjà commencé à « regarder » les « engagements » pris par Washington pour arracher ces accords, afin d’en avoir « une compréhension exhaustive ».

Reviendra-t-il sur la vente des F-35 ou sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ? Le nouveau ministre n’a pas répondu dans l’immédiat.

La décision de la suspension des ventes d’armes a été prise pour « faire en sorte que les ventes d’armes par les États-Unis répondent à nos objectifs stratégiques », a par ailleurs nuancé un responsable interrogé par l’AFP, qui a aussi évoqué « une mesure de routine administrative typique de la plupart des transitions ».

« Le divorce [entre les États-Unis et les monarchies du Golfe] semble encore loin », prévenait en novembre le site russe Sputnik après les promesse de Joe Biden de « réévaluer les relations [des États-Unis] avec le royaume [d’Arabie saoudite], mettre fin au soutien américain à la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, et nous assurer que l’Amérique ne mette pas ses valeurs à la porte pour vendre des armes ou acheter du pétrole ».

À l’époque, Myriam Benraad, chercheuse associée à l’IREMAM et spécialiste du Moyen-Orient, rappelait : « Sous l’administration Obama, qui portait le même discours que Biden sur la question des droits de l’homme et de la démocratie, cette alliance avec l’Arabie saoudite et ses alliés n’a pas été remise en cause. On est donc plus sur des effets d’annonce que sur une politique qui va réellement évoluer. »

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