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La normalisation entre Israël et le Soudan « porte un coup » au Hamas à Gaza

Des sources palestiniennes affirment que les acquisitions d’armes par le Hamas via le Soudan sont affectées par le récent accord de normalisation avec Israël, même si certains soulignent que les approvisionnements s’étaient taris il y a longtemps
Le président soudanais déchu Omar el-Béchir (à droite) rencontre le chef du Hamas Ismaël Haniyeh dans la mosquée Nur à Khartoum, le 30 décembre 2011 (AFP)
Le président soudanais déchu Omar el-Béchir (à droite) rencontre le chef du Hamas Ismaël Haniyeh dans la mosquée Nur à Khartoum, le 30 décembre 2011 (AFP)
Par Adam Khalil à GAZA, territoires palestiniens

L’accord de normalisation entre Israël et le Soudan pose des questions difficiles au Hamas, déclarent à Middle East Eye des sources militaires et des analystes, certains spéculant que l’acquisition d’armes par le groupe de résistance palestinien pourrait en être affectée.

L’accord Israël-Soudan, annoncé le 23 octobre dernier, a été accueilli dans les cercles politiques, sécuritaires et militaires israéliens comme un succès stratégique.

Les grands médias israéliens ont consacré l’essentiel de leur couverture des affaires étrangères cette semaine-là à discuter des avantages qu’Israël pourrait tirer de l’accord, notamment l’arrêt de la livraison d’armes, via le Soudan, au Hamas et à d’autres groupes palestiniens dans la bande de Gaza assiégée.

« La précipitation du régime soudanais à normaliser les relations avec Israël constitue un coup dur pour la résistance à Gaza »

- Source militaire du Hamas

Le Hamas, qui dirige de facto la bande de Gaza, a pour sa part qualifié l’accord soudano-israélien de « douloureux ».

Ce n’est un secret pour personne que le Hamas entretenait des liens étroits avec le gouvernement de l’ancien président Omar el-Béchir, évincé par l’armée soudanaise l’année dernière afin de contenir des manifestations populaires contre son règne long de 30 ans.

Pendant des années, les relations du Hamas avec Béchir ont été solides, Khartoum servant même de refuge à certains dirigeants du groupe. Cependant, les liens se sont tendus début 2016, à peu près au moment où le gouvernement de Béchir s’est rapproché de Riyad et d’Abou Dabi et a rompu les liens avec l’Iran, allié de longue date du Hamas.

Les relations se sont davantage détériorées après le renversement de Béchir et son remplacement par le Conseil de souveraineté, un organe provisoire officiellement chargé de conduire le Soudan vers la démocratie. Le Conseil s’est efforcé de nouer des liens avec les États-Unis et l’Occident afin de soulager les fortes pressions économiques que subit le pays et faire lever les sanctions.

D’après certains analystes et observateurs, les Émirats arabes unis sont derrière le durcissement de la position du Conseil de souveraineté, le journal israélien Yediot Aharonot allant jusqu’à dire que le Hamas a été le plus grand perdant du changement politique au Soudan.

Le Soudan, une « ligne d’approvisionnement principale »

Des sources importantes au Hamas confirment à MEE que les relations avec le Soudan pendant l’ère Béchir allaient au-delà de la seule dimension politique, impliquant un soutien sur les plans à la fois militaire et sécuritaire.

Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, a révélé dans une interview accordée à la chaîne qatarie Al Jazeera en septembre que « le Soudan était la principale ligne d’approvisionnement de la résistance [contre Israël] ».

« Le Soudan a facilité le transfert d’armes à travers son territoire vers la résistance à Gaza via le Sinaï égyptien, soit par voie maritime, soit via les tunnels situés sous les frontières palestino-égyptiennes »

- Source militaire du Hamas

De même, les médias israéliens ont rapporté ces derniers jours que les services de sécurité et de renseignement du pays avaient déclaré que l’accord avec le Soudan portait un coup sévère au Hamas, qui considérait le Soudan comme un canal important pour le transfert d’armes à Gaza.

Les services de sécurité israéliens ont affirmé que le Soudan travaillait aux côtés de l’Iran et servait de canal pour le transfert d’armes au Hamas, ajoutant que cela expliquait pourquoi Israël avait mené des opérations secrètes ou déclarées à l’intérieur du Soudan comme à ses frontières, y bombardant des cibles.

Le journal Yediot Aharonot a rendu compte d’une série d’opérations israéliennes de ce type au Soudan, notamment, en 2009, une frappe aérienne au cours de laquelle Israël a détruit un convoi d’armes composé de dix-sept camions au nord-ouest de Port Soudan, lequel se dirigeait vers le Sinaï puis Gaza.

Quelques mois plus tard, un navire iranien transportant des armes à destination de Gaza via le Soudan a été abattu et, en 2012, une usine d’armes et de missiles au Soudan a été bombardée.

Pour une source militaire officielle du Hamas, « la précipitation du régime soudanais à normaliser les relations avec Israël constitue un coup dur pour la résistance à Gaza ».

« Le Hamas et la résistance ont trouvé au cours des dix ou quinze dernières années toutes les installations nécessaires au Soudan pour renforcer le transfert des capacités militaires vers Gaza », précise la source à MEE sous le couvert de l’anonymat.

La normalisation entre Israël et le Soudan en marche
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Interrogée sur la nature de ces installations, la source indique que « le Soudan a facilité le transfert d’armes à travers son territoire vers la résistance à Gaza via le Sinaï égyptien, soit par voie maritime, soit via les tunnels situés sous les frontières palestino-égyptiennes ».

La source a refusé de divulguer l’origine de ces armes ou leur type, affirmant seulement qu’il s’agissait « d’armes de qualité et avancées ».

Cependant, d’autres sources bien placées déclarent à MEE que la facilitation des transferts d’armes par le Soudan s’était tarie bien avant l’éviction de Béchir, limitant considérablement le flux d’armes par cette voie.

Le Hamas a reconnu à plusieurs reprises que l’Iran était son principal fournisseur d’armes et de technologie militaire.

En 2012, après la destruction du complexe militaro-industriel de Yarmouk, au Soudan, par l’aviation israélienne, des sources du renseignement israélien ont révélé que l’opération avait eu lieu sur la base d’informations trouvées dans des documents saisis par des agents du Mossad (renseignements extérieurs israéliens) dans le sac du chef du Hamas Mahmoud al-Mabhouh après son assassinat à Dubaï en 2010.

Selon ces sources, l’un de ces documents était une copie d’un accord de défense signé entre Téhéran et Khartoum en 2008.

L’accord aurait stipulé que l’Iran produirait des armes au Soudan pour les transférer au Hamas et à ses alliés dans la région, craignant qu’ils ne soient pris pour cible en mer s’ils étaient expédiés à Port Soudan.

Une autre source militaire du Hamas déclare à MEE que les capacités militaires du groupe ont connu un développement remarquable après la guerre de Gaza fin 2008, quand les performances du groupe en matière d’engagement et d’affrontement n’étaient pas au même niveau que lors des guerres de 2012 et 2014, grâce au « soutien iranien et au développement interne ».

La source fait valoir que l’accord soudano-israélien représente une « grave perte » pour les factions de Gaza, tout en ajoutant que « la résistance ne manquera pas de moyens pour obtenir des armes, que ce soit par d’autres méthodes à l’étranger ou en les fabriquant et en les développant en interne ».

Une « victoire qualitative et morale d’Israël »

L’analyste sécuritaire Muhammad Abu Harbeed indique à MEE que l’accord soudano-israélien aura des « répercussions négatives » sur les factions de Gaza et que les « activités de résistance » en seront affectées.

Selon lui, les factions gazaouies ont pâti de la prise de pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en Égypte en 2013, après avoir renversé l’ancien président des Frères musulmans Mohamed Morsi, et du renforcement consécutif de la sécurité dans le Sinaï, y compris la destruction de tunnels de contrebande avec Gaza.

En mars 2011, l’Égypte a officiellement annoncé que son armée avait saisi cinq voitures transportant une importante cargaison d’armes en provenance du Soudan, lesquelles étaient sur le point d’être introduites clandestinement à Gaza via les tunnels tous-terrains.

« Israël a obtenu avec cet accord une victoire qualitative et morale, et un double coup dur pour les mouvements palestiniens et l’Iran »

- Adnan Abu Amer, analyste

Les deux sources militaires confirment que la Libye est une autre ligne d’approvisionnement – bien que traditionnellement moins importante que la ligne soudanaise – mais que toutes les routes d’approvisionnement extérieures ont été grandement affectées par les mesures de sécurité rigoureuses prises dans le Sinaï après l’arrivée de Sissi au pouvoir en Égypte.

« Israël a le droit de qualifier son accord avec le Soudan de stratégique », commente Adnan Abu Amer, analyste spécialisé dans les affaires israéliennes.

« Israël a obtenu avec cet accord une victoire qualitative et morale, et c’est un double coup dur pour les groupes palestiniens et l’Iran, car il coupe la ligne d’approvisionnement en armes qui passe par le Soudan, que ce soit depuis l’Iran ou par le biais de trafiquants et de marchands d’armes », explique-t-il à MEE.

Selon l’analyste Adnan Abu Amer, la prochaine étape pour Israël pourrait être de pousser le gouvernement au pouvoir au Soudan à classer les factions palestiniennes comme des groupes d’opposition.

L’analyste politique Hani Habib estime pour sa part que les forces de résistance à Gaza ont perdu une « arène importante » dans la région après l’accord soudano-israélien.

« L’avenir proche apportera d’autres nouvelles choquantes, alors que d’autres capitales rejoindront la tendance à la normalisation avec Israël », prédit-il.

Traduit de l’anglais (original).

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