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Avant les élections, les Irakiens sans illusions sur les changements promis

Les Irakiens sont appelés aux urnes dimanche pour des législatives anticipées, deux ans après des manifestations de masse contre le pouvoir. Mais dans un pays en proie à des crises multiples, les changements promis ne devraient encore une fois pas être au rendez-vous
Des Irakiens passent devant les panneaux d’affichage électoraux de candidats aux prochaines élections législatives, dans le quartier de Sadr City, dans la capitale Bagdad, le 4 octobre 2021 (AFP/Ahmad al-Rubaye)
Par AFP à Bagdad, IRAK

Dans un contexte morose, après des décennies de guerre, une pauvreté qui touche un tiers de la population malgré la manne pétrolière, une résurgence de la violence à caractère islamiste et la prolifération des factions armées, des experts pronostiquent une abstention record parmi les 25 millions d’électeurs irakiens.

Pourtant, ces législatives initialement prévues en 2022 sont présentées par les autorités comme une concession du pouvoir aux manifestations antirégime de fin 2019, déclenchées contre une corruption endémique, une économie en panne et des services publics défaillants, et qui se sont essoufflées après avoir été réprimées dans le sang.

« Le scrutin est censé être un symbole de réformes, mais ironiquement, ceux qui appellent aux réformes ont décidé de boycotter, pour protester contre une situation qui ne change pas »

- Ramzy Mardini, Université de Chicago

L’élection des 329 députés se fera selon une nouvelle loi électorale, qui instaure un scrutin uninominal et augmente le nombre de circonscriptions, pour encourager indépendants et candidats de proximité.

Le vote est « peu susceptible d’être un facteur de changement », estime Ramzy Mardini, du Pearson Institute de l’Université de Chicago.

« Le scrutin est censé être un symbole de réformes, mais ironiquement, ceux qui appellent aux réformes ont décidé de boycotter, pour protester contre une situation qui ne change pas », souligne-t-il.

Les militants se réclamant du soulèvement ne participeront pas au scrutin : des dizaines d’entre eux ont été victimes d’enlèvements, d’assassinats ou de tentatives d’assassinat, imputés à des groupes armés pro-Iran.

« Préserver les acquis »

Vendredi, les forces de sécurité, les déplacés et les prisonniers ont participé à « un vote spécial » anticipé réservé à ces catégories, à deux jours du scrutin général. Dans la capitale Bagdad, un important dispositif de sécurité a été déployé.

À l’issue du vote, ce sont les mêmes partis qui vont conserver leur emprise, estiment des analystes.

Les principaux blocs étant liés à des groupes armés, la crainte de débordements sécuritaires est dans tous les esprits, surtout si les résultats des élections ne sont pas à la hauteur des attentes.

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La scène politique reste profondément polarisée sur les mêmes dossiers sensibles – la présence des troupes américaines ou l’influence du voisin iranien.

Mais avec un Parlement fragmenté, où les alliances se font et se défont, les différentes formations devront surmonter leurs divergences et faire du marchandage pour nommer un nouveau Premier ministre, poste habituellement réservé à un musulman chiite.

« Tout dépendra du niveau de représentation des différents blocs, surtout au sein du camp chiite », souligne le politologue Ali al-Baidar.

Il pointe du doigt les ambitions du courant sadriste, donné grand favori. Son leader, le sulfureux Moqtada al-Sadr, ancien chef de milice à la rhétorique anti-américaine et anti-Iran, se voit déjà choisir le Premier ministre sans obstacles.

Mais c’est sans compter les grands rivaux pro-Iran du Hachd al-Chaabi. Ils veulent préserver leurs acquis, après avoir fait leur entrée au Parlement pour la première fois en 2018, surfant sur la victoire contre le groupe État islamique (EI).

Et chez les sunnites, l’influent et jeune président du Parlement, Mohamed al-Halboussi, cherche à consolider son assise populaire après une ascension fulgurante qui en fait un interlocuteur incontournable.

« Milices au gouvernement »

Les différentes formations devront s’accorder sur un candidat de compromis, avec la bénédiction tacite de Téhéran mais aussi de Washington, les deux grands alliés qui tiennent l’Irak en étau.

« Il y aura probablement un désaccord initial entre les partis chiites. Mais c’est une tactique de négociation, avant un pacte conclu in fine au sein de l’élite », souligne Ramzy Mardini.

« Mon fils a été tué par ces mêmes milices qui forment les gouvernements corrompus »

- Jawad

« La formation du gouvernement restera aux mains des partis biens établis et leurs patrons. Les indépendants ne peuvent être qu’un accessoire superficiel », ajoute-t-il.

L’actuel chef de gouvernement, Moustafa al-Kazimi, peut-il conserver son poste ?

« Il n’est pas le préféré des factions pro-Iran, mais elles l’accepteront si l’alternative est un candidat suivant une ligne plus dure envers Téhéran », estime Ali al-Baidar.

Indifférent aux querelles politiciennes, Jawad n’ira pas voter. Il a perdu son fils il y a deux ans dans la répression des manifestations et attend une justice qui ne vient pas.

« Mon fils a été tué par ces mêmes milices qui forment les gouvernements corrompus », fustige le vieil homme, qui manifestait comme des centaines d’autres à Bagdad à l’occasion du deuxième anniversaire de la contestation, début octobre.

La place Tahrir, épicentre du soulèvement dans la capitale, est désormais gardée par la police. À quelques pas seulement des graffitis pro-révolte, les fanions aux couleurs du courant sadriste ont été accrochés tout autour du rond-point.

Par Laure al-Khoury.

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