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Le spectacle grandiose de Netanyahou à la Maison-Blanche n’impressionne pas les électeurs israéliens

L’indifférence des juifs israéliens au plan de Trump s’explique par le fait que la plupart d’entre eux pensent que l’annexion a déjà eu lieu
Le président américain Donald Trump présente son plan pour la résolution du conflit israélo-palestinien en compagnie du Premier ministre Benyamin Netanyahou, le 28 janvier à Washington (AFP)
Par Meron Rapoport à TEL AVIV, Israël

Lorsqu’il est monté sur l’estrade de la Maison-Blanche le 28 janvier dernier juste après que le président américain Donald Trump a présenté son « accord du siècle », le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou n’a laissé planer aucun doute sur l’importance de l’événement.

« C’est un jour historique », a déclaré Netanyahou devant un public enthousiaste, composé principalement de juifs orthodoxes et de chrétiens évangéliques américains. 

Dressant une comparaison avec le 14 mai 1948, jour où David Ben Gourion a proclamé l’indépendance d’Israël, le Premier ministre s’est adressé au président américain : « Dans des dizaines voire des centaines d’années, nous nous souviendrons du 28 janvier 2020 parce que ce jour-là, vous êtes devenu le premier dirigeant mondial à reconnaître la souveraineté d’Israël sur certaines parties de la Judée et de la Samarie », a-t-il déclaré en employant les noms israéliens pour désigner la Cisjordanie occupée.

Même s’il a compris que l’accord de Trump n’est effectivement pas l’équivalent de la déclaration d’indépendance d’Israël, Netanyahou s’attendait à ce que le cérémonial de la Maison-Blanche ait un effet plus positif sur les électeurs israéliens

Des dizaines de jours – et non des dizaines de décennies – se sont écoulés depuis ce « jour historique », et pourtant, il semblerait que la plupart des juifs israéliens n’aient pas pleinement saisi la grandeur du moment. 

Contrairement à ce qui s’est passé après que Ben Gourion a lu à haute voix la déclaration d’indépendance d’Israël en 1948, il n’y a pas eu de célébrations en Israël, pas de danses dans les rues. 

D’une manière générale, l’opinion publique israélienne a fait preuve d’une grande indifférence à l’égard des déclarations pompeuses faites à Washington. 

Cette indifférence se reflète dans les sondages d’opinion réalisés en vue des prochaines élections, prévues en mars. Un sondage publié vendredi dernier par Channel 13 attribuait 53 sièges aux partis composant le bloc de droite dirigé par Netanyahou, contre 55 aujourd’hui.

Le bloc de centre-gauche (l’alliance Bleu et Blanc de Benny Gantz, l’alliance Parti travailliste-Meretz et la Liste unifiée principalement palestinienne) remportait 59 sièges, frôlant le seuil de 61 sièges qui lui assurerait une majorité au Parlement israélien. 

Mauvaise nouvelle pour Netanyahou

À seulement trois semaines des élections, c’est une mauvaise nouvelle pour Netanyahou.

Même s’il a compris que l’accord de Trump n’est effectivement pas l’équivalent de la déclaration d’indépendance d’Israël, il s’attendait certainement à ce que le cérémonial de la Maison-Blanche ait un effet plus positif sur les électeurs israéliens. 

Après avoir échoué à obtenir une majorité lors de deux campagnes électorales consécutives en avril et en septembre et après avoir été officiellement inculpé par le procureur général d’Israël, les chances de Netanyahou d’être réélu en mars semblent plus minces que jamais. 

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Même les efforts qu’il a déployés pour obtenir l’immunité du Parlement ont échoué, ses adversaires de l’alliance Bleu et Blanc ayant réussi à obtenir une majorité contre celle-ci.

Le plan conçu par l’équipe du président américain pour résoudre le conflit israélo-palestinien était censé modifier cette tendance. Nous ne savons pas ce qui a poussé le président américain à annoncer son « plan de paix » en plein milieu de la campagne électorale israélienne, après l’avoir reporté pendant plus d’un an.

Son parti pris total en faveur d’Israël et de sa politique de colonisation et d’annexion a certainement plu aux électeurs évangéliques de Donald Trump, mais comme l’attention des médias américains est restée concentrée sur la procédure de destitution qui le visait, la cérémonie à la Maison-Blanche a eu peu d’impact sur le public américain. 

Une explication plus plausible émane du fait que Trump considère Netanyahou comme un élément important de sa coalition nationaliste mondiale, qu’il détesterait voir quitter le pouvoir.

Le fait même que Trump se soit tenu aux côtés de Netanyahou tout en adhérant pleinement à presque toutes les exigences d’Israël au fil des ans – la reconnaissance de sa souveraineté sur la vallée du Jourdain et toutes les colonies, ainsi que sur Jérusalem-Est occupée – servait à dépeindre le Premier ministre israélien comme un dirigeant d’envergure internationale contrairement à l’inexpérimenté Benny Gantz, un ancien chef d’état-major de l’armée entré récemment en politique. 

Des promesses creuses

Cela visait également à mettre l’alliance Bleu et Blanc dans une position délicate. Depuis sa création il y a tout juste un an, le parti d’opposition essaie d’éviter toute référence à la question palestinienne, espérant attirer les électeurs de droite qui en ont assez de la corruption présumée de Netanyahou. Il ne pouvait donc pas s’opposer à une offre américaine aussi généreuse – selon l’opinion majoritaire en Israël. 

Afin d’accroître l’embarras de l’alliance Bleu et Blanc, Netanyahou et nombre de ses acolytes dans les médias israéliens ont fait savoir très clairement qu’une fois le plan Trump présenté, l’administration américaine reconnaîtrait une annexion unilatérale immédiate de la vallée du Jourdain et de la plupart des colonies de Cisjordanie par Israël. 

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L’alliance Bleu et Blanc, marquée par des tendances de centre-droit, n’a pas pu s’opposer à un tel « cadeau » inattendu. Il n’est donc pas étonnant que Gantz ait annoncé que son parti soutenait l’accord de Trump. 

Mais quelque chose a mal tourné pour Netanyahou. Alors que le Premier ministre a promis aux journalistes israéliens qu’il soumettrait l’annexion de la vallée du Jourdain à l’approbation du gouvernement lors de sa réunion suivante prévue le 2 février, des sources à la Maison-Blanche ont informé d’autres journalistes que l’administration américaine ne soutiendrait pas une telle démarche unilatérale. 

En effet, que ce soit dans le discours de Trump ou dans le plan en soi – intitulé « De la paix à la prospérité » –, il n’a jamais été fait mention d’une annexion unilatérale. 

Quelques jours plus tard, Jared Kushner, le gendre de Trump et l’un des principaux architectes du projet, a mis fin aux spéculations en déclarant qu’il faudrait attendre « quelques mois » pour une annexion, jusqu’à ce que les cartes soient prêtes et qu’un gouvernement stable soit en place en Israël. 

Ainsi, au lieu d’être dépeint comme le grand dirigeant qui a permis à Israël de réaliser ce qu’il avait toujours souhaité, Netanyahou a été – encore une fois, diraient ses adversaires – surpris à présenter des promesses creuses au public israélien. 

Une « tache indélébile »

Pour être réélu, Netanyahou a besoin de l’engagement total de ses électeurs de droite. Or, cet échec concernant l’annexion pourrait refroidir certains d’entre eux à l’idée de travailler pour sa campagne. 

La plupart des Israéliens ne voient pas la différence entre le maintien du statu quo et une annexion totale. Peut-être ont-ils raison

Vendredi dernier, des militants de premier plan du Likoud de Netanyahou l’ont exhorté à annexer les colonies malgré l’opposition des États-Unis. Un échec serait une « tache indélébile », ont-ils écrit. 

Mais en dehors du destin politique de Netanyahou, le fait que le plan de Trump n’ait pas affecté l’opinion publique israélienne cache quelque chose de plus profond. 

Même lorsque l’on pensait que l’annexion était en cours, cette initiative n’a pas suscité l’enthousiasme du public juif israélien. Non pas en raison de l’opposition à l’annexion d’un point de vue moral ou politique, mais parce que la plupart des juifs israéliens pensent que l’annexion a déjà eu lieu. 

Le long processus d’annexion insidieuse qui a marqué la dernière décennie de Netanyahou au pouvoir a effacé la ligne verte – la frontière d’avant 1967 – aux yeux de la plupart des Israéliens. 

Ils ne voient pas la différence entre le maintien du statu quo et une annexion totale. Peut-être ont-ils raison. 

Voilà une bonne nouvelle pour les partisans de l’apartheid en Israël. Cela leur montre qu’ils peuvent poursuivre leur politique actuelle vis-à-vis des Palestiniens.

Mais dans le même temps, cela reflète leur faiblesse, car cela montre que le soutien dont jouissent leurs idées expansionnistes est limité. Israël est en pleine crise politique. L’annexion n’a pas permis de la résoudre.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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