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Avec l’énergie solaire, le Liban a enfin l’occasion de se détourner du tout pétrole

Ensoleillé 300 jours par an, le Liban est le territoire parfait pour le développement du solaire et pour pallier les pénuries d’électricité actuelles. Mais de nombreux obstacles restent à franchir, notamment du côté du gouvernement
Les équipes de ME Green en train d’installer des panneaux solaires chez l’industriel libanais Matelec, au nord de Jbeil (avec l’aimable autorisation de ME Green)
Par Rémi Amalvy à BEYROUTH, Liban

Depuis début 2021, avoir de l’électricité est devenu un luxe au Liban. Embourbé dans la pire crise économique de son histoire, le pays ne peut plus importer le fioul nécessaire pour alimenter ses centrales. Le fournisseur national, Électricité du Liban (EDL), ne fournit plus qu’une à deux heures d’électricité quotidiennes. La nuit arrivée, les rues sont plongées dans le noir, parfois illuminées par les éclairages des voitures et des téléphones portables.

Même avant la crise, les centrales libanaises ne produisaient pas 24 heures sur 24. Lors des coupures, des générateurs de quartiers, gérés par des opérateurs privés, prenaient le relais. Ils sont désormais la principale source d’électricité pour ceux qui en ont les moyens. Pour une douzaine d’heures de courant à 5 ampères, il faut débourser l’équivalent de 50 à 60 dollars par mois, soit l’actuel salaire moyen.

Bien qu’il n’en produise pas, le pays du Cèdre a toujours tout misé sur le pétrole. L’importer lui coûte des milliards chaque année. D’autant plus qu’il l’a toujours subventionné, du moins jusqu’à août 2021.

Mais avec plus de 300 jours d’ensoleillement, le Liban pourrait pleinement bénéficier du photovoltaïque pour produire une énergie verte et à bas coût. Alors, les panneaux solaires peuvent-ils le sauver du carbone et des coupures d’électricité ?

Le « boom » du solaire particulier

Bien qu’extrêmement minoritaire (plus de 95 % de l’énergie produite est carbonée), le solaire au Liban est une réalité grandissante. Alors que l’hiver approche, l’enjeu est d’avoir le maximum d’électricité chaque jour, notamment pour se chauffer. Ces derniers mois, les Libanais qui peuvent se le permettre se sont donc rués sur les panneaux.

« Notre chiffre d’affaires a grimpé de 50 % en 2021 », se réjouit Lara El Khoury, co-fondatrice de ME Green, l’un des principaux installateurs au Liban. « Nous n’arrivons même plus à suivre la demande ! »

Le solaire « off-grid » (ou « hors réseau », correspond par exemple aux quelques panneaux d’un particulier, non connectés au réseau national et qui alimentent sa maison) est en plein boom.

« Notre chiffre d’affaires a grimpé de 50 % en 2021. Nous n’arrivons même plus à suivre la demande ! »

- Lara El Khoury, co-fondatrice de ME Green

« Entre 2010 et 2020, 100 mégawatts (MW) off-grid ont été installés. Nous devrions atteindre les 200 MW d’ici la fin de l’année », se félicite une source proche du gouvernement. « L’objectif est désormais d’arriver à 3 000 MW d’ici à 2030, on-grid et off-grid cumulés », assure-t-il à Middle East Eye.

Ces données officielles sont contestées par plusieurs observateurs indépendants. Et même si le Liban atteint bien les 200 MW « off-grid » fin 2021, rien n’indique que ce chiffre continuera d’augmenter.

« En août 2021, nous avons sondé une vingtaine d’entreprises du secteur. Au cours du premier semestre, elles ont reçu 6 700 demandes de particuliers », détaille Marc Ayoub, chercheur à l’institut Issam Fares de l’American University of Beirut (AUB).

« Seulement 500 projets ont été menés à terme, soit 7,7 MW installés. Le sondage ne représente certainement pas la réalité, mais on est bien loin de 100 nouveaux MW cette année. »

Une absence totale d’aide

Dans un pays où la monnaie locale ne vaut presque plus rien et où le dollar se fait rare, acheter des panneaux solaires coûte très cher. « Tous nos composants sont importés, donc nous facturons nos prestations en dollars », précise Lara El Khoury.

« Comptez 3 000 dollars le kilowatt (KW) avec batterie [essentielle pour stocker le trop plein d’énergie et l’utiliser lors des coupures] pour les particuliers, et entre 600 et 800 dollars pour les industriels. La demande de ces derniers s’est fortement réduite vu qu’ils n’ont plus accès aux financements publics. »

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Entre 2010 et 2020, le National Energy Efficiency & Renewable Energy Action (NEEREA), un mécanisme de prêt initié par la Banque centrale libanaise, permettait d’obtenir jusqu’à 20 millions de dollars à un taux de 2,5 % pour le financement de projets verts. En faillite, l’État libanais n’est plus en mesure de le financer.

De plus, « l’obtention du prêt passait par les institutions bancaires, actuellement en crise », ajoute Alix Chaplain, doctorante au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris. « Ces subventions ont surtout profité aux acteurs privés ayant de fortes capacités dinvestissement, comme les industries et les entreprises commerciales. »

Auparavant comme maintenant, le particulier qui souhaite installer quelques panneaux solaires ne peut compter que sur ses économies. Mais qu’en est-il d’une production locale de photovoltaïques, qui permettrait de réduire les tarifs de vente ?

« Cela naurait aucun sens. Le marché libanais nest pas assez important pour toute l’offre potentielle », indique notre source anonyme. « Il faudrait alors exporter, mais nous serions toujours moins compétitifs que les Chinois, par exemple »

Construire des centrales…

L’État libanais espérait la construction d’au moins 180 MW de centrales d’énergie solaire publique, distribuées sur tout le territoire, d’ici fin 2020. « Un appel d’offre avait été lancé en 2019 et une dizaine d’entreprises sélectionnées. Mais tout est en suspens depuis le début de la crise », ajoute la source.

Des ambitions beaucoup trop timides pour la Lebanese Foundation for Renewable Energy (LFRE), une organisation indépendante qui travaille avec la communauté internationale pour le développement des énergies renouvelables au Liban.

Vue aérienne au coucher du soleil du siège d’Électricité du Liban (à gauche) dans la capitale Beyrouth lors d’une panne de courant, le 11 octobre 2021 (AFP)
Vue aérienne au coucher du soleil du siège d’Électricité du Liban (à gauche) dans la capitale Beyrouth lors d’une panne de courant, le 11 octobre 2021 (AFP)

Alors que le gouvernement espère atteindre une capacité solaire totale de 3 000 MW d’ici à 2030, la LFRE préconise un objectif allant de 4 000 à 5 000 MW. Malgré un investissement initial élevé, « le prix actuel du kilowattheure (kWh) solaire est de 0,035 dollar. Il monte à 0,12 dollar avec les batteries, soit deux fois moins cher que le 0,24 dollar facturé en moyenne par les propriétaires de générateurs diesel », énumère en détail Rony Karam, président de la LFRE.

« Certes, le kWh subventionné d’EDL est toujours à 200 livres libanaises [soit moins de 0,01 dollar actuellement], mais EDL ne fournit plus qu’une ou deux heures d’électricité par jour. »

La LFRE suggère la construction d’environ 2 500 MW de centrales solaires, principalement disposées dans la vallée de la Bekaa et le sud du pays, où les terrains plats (et publics) sont les plus nombreux. 1 200 MW de panneaux seraient posés sur les toits et espaces disponibles des milliers d’écoles, hôpitaux et bâtiments publics libanais. Les 300 MW restants, variables, correspondent aux installations des particuliers.

… trouver de l’argent…

Encore faudrait-il avoir de l’argent. « Il faut 4 à 5 milliards de dollars d’investissement pour atteindre 40 térawatt (TW) de renouvelable [solaire, éolien, hydraulique, etc.], soit 40 % des besoins énergétiques du Liban », estime Rony Karam. « C’est ce que le pays a payé en un an pour subventionner le pétrole. »

Chaque année, la communauté internationale verse des dizaines de millions de dollars au Liban. Mais la vanne s’est progressivement fermée depuis le début de la crise, qui a révélé au grand jour l’état de décrépitude du système financier du pays, gangréné par des décennies d’inaction politique et de corruption endémique.

« Il faut 4 à 5 milliards de dollars d’investissement pour atteindre 40 térawatt (TW) de renouvelable [solaire, éolien, hydraulique, etc.], soit 40 % des besoins énergétiques du Liban. C’est ce que le pays a payé en un an pour subventionner le pétrole »

- Rony Karam, président de la LFRE

Cependant, via le programme CEDRO 5, l’Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ont depuis 2019 déboursé près de 9 millions de dollars pour financer des projets verts au Liban. Début octobre, l’agence d’aide américaine USAID a annoncé débloquer 29 millions pour le même objectif.

Des projets plus localisés voient également le jour. Financée par des bailleurs privés et publics (dont les Français ADEME, Fondation EDF ou encore Éco-systèmes), une initiative pose, depuis l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, des panneaux solaires sur les toits de six écoles de l’est de la capitale.

« Chacune est dotée de systèmes allant de 50 à 100 kWp [kilowatt-peak, soit la puissance maximale d’un dispositif]. Un kWp coûte 1 000 dollars », énonce Clément Couëtil, bénévole et ancien coordinateur terrain à Beyrouth chez Électriciens sans frontières, l’ONG en charge de l’installation.

De manière générale, les aides versées au Liban ne passent plus par son État, trop souvent accusé de les détourner. Il pourrait cependant accéder aux prêts promis par le Fonds monétaire international (FMI), s’il parvient un jour à mettre en place les réformes demandées.

… et encadrer légalement

Le pays ne dispose pas, par exemple, de cadre légal pour l’énergie solaire. La loi 462 de 2002 devait ouvrir la voie à une privatisation progressive du secteur énergétique, via la création d’une autorité indépendante et régulatrice de l’énergie. Cette dernière devait fournir au privé des autorisations pour la production et la revente d’électricité à des tiers. Mais la loi n’a jamais été appliquée.

À la place, quatre décrets temporaires, respectivement de 2006, 2014, 2015 et 2019, permettent au ministère de l’Énergie d’autoriser le privé à vendre de l’énergie à EDL, qui s’occupe de la distribuer.

Depuis 2011, le « net metering » permet également à un particulier de revendre son surplus énergétique à EDL. Lobjectif, pour l’État, est de toujours garder la mainmise sur la distribution d’électricité. De fait, les générateurs diesel que l’on trouve à chaque coin de rue sont illégaux, bien qu’utilisés par tout le monde…

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Grotesque, la situation actuelle empêche le développement du renouvelable. En plus de l’intégrer au réseau général et de pouvoir permettre aux municipalités de produire et distribuer leur propre énergie verte, « un cadre légal permettrait à tous d’obtenir des financements », estime Alix Chaplain.

Mais selon certains observateurs, l’État craindrait qu’une légalisation entraîne une décentralisation énergétique et la perte du monopole d’EDL. Un monopole pour l’instant perdu au profit des générateurs.

Mais tout pourrait changer. Suggérée par la Banque européenne pour le développement et la reconstruction (BERD), la loi pour une énergie renouvelable décentralisée devrait autoriser les installations « vertes » de 10 MW et moins à distribuer leur production sur le réseau, si celui-ci est rénové pour l’occasion.

« Le ministre de l’Énergie proposera la loi au Conseil des ministres avant la fin de l’année, qui la soumettra au Parlement. Celait pourrait prendre un an », précise notre source anonyme. Espérons que le Liban ne tombe pas à court de bougies d’ici là.

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