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Karim Tabbou et Khaled Drareni : en Algérie, la justice ne fait pas de pause coronavirus

Indignation et choc en Algérie après un rebondissement judiciaire : en pleine pause du hirak, l’opposant politique Karim Tabbou a été condamné en appel à de la prison ferme et le journaliste Khaled Drareni a été placé sous mandat de dépôt
Karim Tabbou, opposant politique et Khaled Drareni, journaliste (AFP/Facebook)
Karim Tabbou, opposant politique, et Khaled Drareni, journaliste (AFP/Facebook)

Coups de tonnerre dans le ciel du hirak algérien, suspendu par décision consensuelle des manifestants depuis le vendredi 20 mars pour cause de coronavirus.

L’opposant politique Karim Tabbou, qui devait sortir de prison le 26 mars après avoir purgé une peine de six mois de prison ferme, a été amené, selon sa famille, le 24 mars, sans que ses avocats en soient informés, devant un juge pour une audience de procès en appel, à Alger, et condamné à un an de prison ferme.

Sans doute à cause du choc dû aux circonstances de cette audience, inattendue, programmée à la dernière minute, Karim Tabbou a fait un malaise, décrit par ceux qui en ont témoigné comme ce qui s’apparente à un accident vasculaire cérébral, et a dû être évacué de la salle d’audience. C’est en son absence et en l’absence de ses avocats que le juge a prononcé la nouvelle peine d’une année de prison ferme.

https://www.facebook.com/ghanou.badi.7/videos/2642998815977524/

Traduction : L’avocat Abdelghani Badi décrit le déroulement de l’audience surprise de Karim Tabbou. Il affirme que l’opposant politique a déclaré au juge qu’il refusait d’être jugé en l’absence de ses avocats. « Karim Tabbou est ensuite tombé, le visage défiguré par une paralysie partielle de son corps », raconte l’avocat.

Moins de 24 heures plus tard, les organisations de défense des détenus politiques et détenus du hirak en Algérie, ont annoncé, choquées, la mise sous mandat de dépôt du journaliste Khaled Drareni.

Khaled Drareni, fondateur du site d’informations Casbah Tribune, correspondant de Reporters sans frontières (RSF) et présentateur du talk-show politique algérien Café presse politique de la webradio algérienne RadioM, se trouvait sous « contrôle judiciaire » après avoir été arrêté une première fois, alors qu’il couvrait une manifestation du hirak, le 7 mars à Alger, et maintenu en garde à vue pendant trois jours.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=3678079765597787&set=a.391517000920763&type=3&theater

Post Facebook du journaliste Khaled Drareni pendant l’audience au tribunal où il s’entendra dire qu’il est mis sous mandat de dépôt, à Alger, le 25 mars 2020

Le journaliste, qui compte plus de 142 000 followers sur Twitter couvrait assidûment les manifestations du hirak et les procès des manifestants.

Il avait été interpellé plusieurs fois par les services de sécurité et en avait fait état à travers ses tweets, très largement partagés. Sa garde à vue prolongée après son arrestation alors qu’il filmait, lors d’une manifestation le 7 mars, l’arrestation d’un autre opposant politique Sami Belarbi, avait soulevé un vaste élan de solidarité.

Selon une opinion largement partagée, notamment sur les réseaux sociaux, Khaled Drareni subit donc, après avoir annoncé qu’il suspendait sa couverture du hirak pour cause de coronavirus, les représailles des autorités qui « semblent avoir décidé de frapper durement les opposants politiques pendant que les rassemblements de solidarité et les manifestations ne peuvent avoir lieu pour cause de pandémie ».

Les réactions d’indignation après le procès en appel surprise de Karim Tabbou se sont multipliées : ses avocats, les ligues algériennes de défense des droits et les organisations internationales de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, ont condamné la « justice expéditive » contre l’opposant.

L’inquiétude quant à l’état de santé de Karim Tabbou était à son comble aujourd’hui après que ses avocats ont annoncé s’être rendus à la prison au lendemain de l’audience surprise et avoir demandé à le voir mais avoir été empêchés de le faire. Personne, pas même les membres de sa famille, n’a pu voir Karim Tabbou depuis son malaise en audience.

 

https://www.facebook.com/loundja.lynda/posts/3056436977708221

De nombreuses figures du hirak qui avaient appelé à suspendre les manifestations à cause de l’épidémie de COVID-19 ont exprimé à travers les réseaux sociaux leur consternation et les réactions spontanées de citoyens en colère ont été virales :

https://www.facebook.com/houssam.khaled.96/videos/3676853022389353/

Traduction : « Solidarité et colère dans des quartiers d’Alger, le 24 mars au soir : des Algériens, de leurs balcons, tapent dans des mortiers et scandent ‘’Allah Akbar Karim Tabbou’’. »

La colère suscitée par le traitement subi par Karim Tabbou et Khaled Drareni pourrait, in fine, aboutir à de nouvelles manifestations, ce qui pourrait démultiplier les risques d’expansion de la pandémie en Algérie.

Dans un communiqué rendu public ce mercredi, le parquet précise que la chambre pénale de la Cour d’Alger « a rendu son jugement sur la base de l’article 347 alinéa 2 du code de procédure pénale qui considère le prévenu comme étant présent s’il refuse de répondre aux questions du juge ».

Selon les médias locaux, l’ordre des avocats d’Alger a dénoncé dans un communiqué les dépassements constatés lors du procès, décidé de geler toute coordination avec les juridictions et les instances administratives et appellent les autres organisations du pays à en faire de même.

Estimant le procès de Karim Tabbou « nul et non avenu », ils appellent aussi le président de la République à intervenir et à mettre en place une commission d’enquête pour déterminer les responsabilités dans ce qui s’est passé.

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