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Élection américaine : le duo Biden-Harris est un ticket gagnant pour Israël

Si l’establishment choisit d’ignorer la cause palestinienne, le changement continue néanmoins de se propager dans la rue
Le candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden et sa colistière, la sénatrice Kamala Harris, arrivent dans une école du Delaware pour prononcer un discours, le 12 août (AFP)
Le candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden et sa colistière, la sénatrice Kamala Harris, arrivent dans une école du Delaware pour prononcer un discours, le 12 août (AFP)

Sa nomination était tout à fait prévisible et n’aurait dû être une surprise pour personne. Pourtant, l’annonce officielle par le candidat démocrate à la présidence Joe Biden selon laquelle la sénatrice Kamala Harris serait sa colistière a engendré un déluge de commentaires, majoritairement très critiques. 

De manière tout aussi prévisible, le président américain Donald Trump l’a décrite comme « extrêmement méchante », un qualificatif dont il avait déjà souvent affublé Hillary Clinton.

Les militants de base qui manifestent contre les violences policières et l’impunité de la police ont qualifié le duo Biden-Harris de « Blue Lives Matter ticket », une expression qui indique leur soutien à la police plutôt qu’à la population. Le site Black Agenda Report a rappelé que Harris avait une « éminente carrière au service de l’injustice ».

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Ce n’est pas juste, mais dans un environnement politique où on confond souvent – et à tort – identité et politique, la plupart d’entre nous a tendance à se montrer plus critique envers les femmes racisées que les hommes blancs pour les mêmes fautes. Pour moi, il ne fait aucun doute que c’est ce qui se passe avec Harris. 

Pourtant, même si son identité en tant que femme métisse noire et asiatique doit être reconnue pour son symbolisme politique – plutôt que comme une indication idéologique – elle compte au plus haut point. Dans un pays englouti par la suprématie blanche, il est important d’avoir une femme racisée comme vice-présidente.

Harris se rappelle avec émotion qu’enfant, alors qu’elle grandissait dans la région de la baie de San Francisco, elle n’a jamais vendu de biscuits pour les Scouts, mais a recueilli des dons pour le Fonds national juif

Et quand bien même Harris est soumise à un genre d’examen que, dans les mêmes circonstances, un homme politique blanc ne subirait pas, je maintiens que, sur la base de son passif, elle reste très problématique. Je n’aime pas qu’elle se projette, ou qu’elle soit présentée, comme progressiste.  

Sur la question de Palestine, Harris est résolument prosioniste. Elle a récemment affirmé dans une lettre à Trump : « Mon soutien à la sécurité d’Israël et au protocole d’accord de 38 milliards de dollars sur dix ans est inébranlable. »

Certains politiciens se contentent de répéter les platitudes qu’on leur a servies, celles dont ils savent qu’elles ne décoifferont pas les grands bailleurs de fonds et l’establishment politique : « Israël est une démocratie », notre « allié stratégique » avec lequel nous avons tant de « valeurs communes ». Et puis, il y a ces politiciens qui ne se contentent pas de répéter les platitudes, mais qui brodent autour avec leur expérience personnelle.  

« Plus AIPAC que J Street »

Ils nous diront qu’ils se sont rendus en Israël, ont senti la magie du pays des start-ups en difficulté, et ont été personnellement touchés par les nombreuses histoires de familles israéliennes qui ont perdu des êtres chers dans l’Holocauste, puis, des décennies plus tard, dans le pays qui aurait dû être leur refuge.  

Ils soutiennent résolument les colons. Ils nous demandent, d’un ton moralisateur : « Que feriez-vous si vous viviez à Sderot ? » Mais à aucun moment ils ne se disent qu’avant que la ville ne devienne connue sous le nom de Sderot, elle était un village palestinien appelé Najd, dépeuplé pendant la Nakba. Aucun politicien américain ne nous a jamais demandé de réfléchir à ce que nous ferions si nous étions de Najd.  

Harris écoute Biden s’exprimer lors d’une conférence de presse dans le Delaware, le 12 août (AFP)
Harris écoute Biden s’exprimer lors d’une conférence de presse dans le Delaware, le 12 août 2020 (AFP)

Harris se situe dans cette seconde catégorie. Elle se rappelle avec émotion qu’enfant, alors qu’elle grandissait dans la région de la baie de San Francisco, elle n’a jamais vendu de biscuits pour les Scouts, mais a recueilli des dons pour le Fonds national juif, qui cherche à expulser les Palestiniens de leurs maisons. Pour Harris, Israël n’est pas seulement un allié, mais « l’un des meilleurs amis que nous pourrions avoir ».   

En 2019, alors que de nombreux démocrates étaient en lice pour l’investiture présidentielle de leur parti, on leur a posé des questions pointues sur Israël pendant les débats. Harris s’est démarquée comme l’un des candidats les plus prosionistes.

Dans le paysage politique américain des lobbies, où l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) est très « sioniste belliqueux » et où J Street se dit « sioniste progressiste-libéral », Harris est certainement « plus AIPAC que J Street ».

Réalisations progressistes

La Palestine n’est évidemment pas la seule question d’importance considérable dans la politique d’aujourd’hui, mais elle est représentative de nombreuses questions autour desquelles les communautés progressistes se rassemblent, de la militarisation de la police à l’incarcération de masse, en passant par le droit de manifester, l’égalité et bien plus encore. 

Ainsi, les progressistes ne se réjouissent pas de la nomination de Harris, parce que même si elle est une femme de couleur et fille d’immigrants, sa nomination ne représente pas un réel progrès. À l’ère de Black Lives Matter, elle est une fière « super flic ».

Mais les progressistes célèbrent d’autres développements politiques importants qui ont coïncidé avec l’annonce par Biden de sa colistière. Dans une élection dont le sujet principal était Israël, la représentante Ilhan Omar a battu cette semaine dans le Minnesota son challenger qui avait le soutien et le financement du lobby israélien.  

Dans le Michigan, Rashida Tlaib a également vogué vers une victoire à la primaire, tout comme Alexandria Ocasio-Cortez à New York, et Ayanna Pressley à Boston se présente sans opposant le mois prochain – démontrant que « The Squad » est intouchable.

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Dans le Bronx, le nouveau venu Jamaal Bowman a vaincu Eliot Engel, le président pro-israélien de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants. Dans le Missouri, Cori Bush a battu William Lacy Clay, en poste depuis longtemps, qui avait accusé son challenger de soutenir le BDS (le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions mené par les Palestiniens), ce que Bush a pleinement revendiqué, plutôt que nié. 

Dans tout le pays, aux élections locales, les démocrates de l’establishment sont évincés par des progressistes dont les premières expériences politiques n’ont pas eu lieu dans des salles de conférence, mais dans la rue, en évitant les gaz lacrymogènes et les matraques de la police. 

Dans tout le pays, aux élections locales, les démocrates de l’establishment sont évincés par des progressistes dont les premières expériences politiques n’ont pas eu lieu dans des salles de conférence, mais dans la rue, en évitant les gaz lacrymogènes et les matraques de la police

Mais tout ça pour dire que, avec Harris comme vice-présidente, Israël remporte l’establishment encore une fois – un establishment qui ne s’est jamais préoccupé de nos problèmes. Israël a remporté cette bataille plus tôt dans la campagne présidentielle 2020, lorsque Biden a évincé Bernie Sanders de la course à la primaire démocrate.  

Israël perd néanmoins la rue, où le changement continue de se propager.  

Nous allons donc continuer à descendre dans la rue. Le changement radical ne vient pas d’en haut, mais de la base. Le changement se produit partout au niveau local. Cette dérive vers une transformation radicale poussera les politiciens intelligents vers des positions plus progressistes, non seulement sur la Palestine, mais sur toutes les questions connexes que représente la Palestine.

Ou cela finira par les évincer, comme nous le constatons partout à travers le pays au niveau local, là où cela compte.  

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nada Elia teaches in the American Cultural Studies Programme at Western Washington University, and is currently completing a book on Palestinian diaspora activism.
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