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Les États du Golfe seront parmi les plus grands perdants en cas de défaite de Trump cet automne

Alors que la côte de popularité du président américain s’effondre à l’approche des élections de novembre, ses alliés dans le Golfe ont de quoi s’inquiéter
Le président américain Donald Trump serre la main du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à l’occasion du sommet du G20 2019 à Osaka, au Japon (palais royal saoudien/Bandar al-Jaloud/AFP)
Le président américain Donald Trump serre la main du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à l’occasion du sommet du G20 2019 à Osaka, au Japon (palais royal saoudien/Bandar al-Jaloud/AFP)

Les États-Unis sont à quelques mois d’une élection qui donnera au peuple américain l’occasion de réélire le président Donald Trump ou de faire de lui l’un des rares présidents dans l’histoire du pays à n’avoir effectué qu’un seul mandat en élisant son opposant démocrate, Joe Biden. 

Beaucoup de choses peuvent encore se passer d’ici novembre, mais la réélection de Trump est loin d’être acquise. Touché par les conséquences dévastatrices sur la santé publique et l’économie de la pandémie de coronavirus, ainsi que les vagues de manifestations en réaction aux violences policières à l’encontre des Afro-Américains après le meurtre honteux de George Floyd, la campagne de Trump se trouve en grande difficulté et les récents sondages montrent que Biden mène d’une dizaine de points. 

Biden a des chances de gagner

Bien que théoriquement, Trump puisse être réélu même en perdant le vote populaire, ce qui s’est déjà produit lorsqu’il a vaincu Hillary Clinton en 2016, Biden mènerait dans les États stratégiques, notamment le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, que Trump avait remportés avec des marges infimes en 2016 et qui l’ont mené à la victoire au collège électoral. 

En un mot, à moins qu’un événement dramatique ne modifie l’environnement politique, Biden a de grandes chances de l’emporter largement sur Trump lors des élections de cet automne – sans compter que les démocrates ont de bonnes chances de reprendre le Sénat, leur donnant le contrôle sur les trois branches du gouvernement. 

Trump s’est montré disposé à couvrir les dirigeants arabes du Golfe afin qu’ils poursuivent les politiques qu’ils jugent nécessaires pour leur propre sécurité, sans égard pour les questions de droits de l’homme ou de démocratie

Dans l’esprit de ses détracteurs, Trump constitue une combinaison unique d’arrogance, de narcissisme, de cruauté, d’incompétence, d’avidité et de racisme. Il divise la politique américaine dans une mesure sans précédent et tous ceux qui sont associés à son ascension se retrouveraient face à la perspective d’un dramatique revers de fortune si lui et ses alliés républicains perdaient les élections à venir.

Les années Trump ont étrangement recalibré les relations entre les Américains et les Arabes, sous le couvert de l’« accord du siècle ». Les contours généraux de l’accord impliquent que les États arabes, et particulièrement les États du Golfe, abandonnent toute résistance face aux ambitions israéliennes en Palestine, en échange d’un soutien total des Américains et des Israéliens à l’égard des États du Golfe dans leur conflit avec l’Iran.

Cette relation recalibrée se manifeste également par le « pas de question » des États-Unis concernant les ventes d’armes aux États du Golfe, associé au fait de fermer les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme commises par les alliés arabes du Golfe. 

Ventes d’armes

L’insistance de l’administration Trump à vendre des armes offensives à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis s’est avérée particulièrement controversée face à l’opposition du Congrès américain en raison de la grande souffrance humanitaire que ces deux pays ont infligé au peuple yéménite depuis leur intervention dans la guerre civile au Yémen en mars 2015. 

Le meurtre horrible du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018 a dévoilé les contradictions entre l’approche transactionnelle de Trump vis-à-vis des relations étrangères – il a déclaré qu’il ne mettrait pas en danger les lucratifs contrats d’armements avec les Saoudiens en faisant pression pour obtenir véritablement justice – et le Congrès américain, qui a réclamé que l’Arabie saoudite soit tenue pour responsable de cet acte criminel éhonté.  

Trump s’est montré disposé à couvrir les dirigeants arabes du Golfe afin qu’ils poursuivent les politiques qu’ils jugent nécessaires pour leur propre sécurité, sans égard pour les questions de droits de l’homme ou de démocratie – tant qu’ils donnent carte blanche à Israël en Palestine, qu’ils continuent à acheter des quantités astronomiques d’armes américaines et qu’ils sont prêts à résister à l’Iran. 

Le candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden (Reuters)
Le candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden (Reuters)

Toutes choses égales par ailleurs, il ne serait pas inconcevable qu’une administration démocrate soutienne ces mêmes politiques – mais tout ce que fait Trump divise. Pour de nombreux démocrates, le soutien de Trump aux autocrates arabes, dont le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, n’est pas vu comme une stratégie astucieuse pour faire avancer les intérêts américains mais plutôt comme le soutien à un autre autocrate – un compagnon dans la communauté mondiale qui agit avec un mépris flagrant pour la légalité internationale. 

En résumé, même si les États du Golfe ont en Trump un allié de choix à la Maison-Blanche, que ce soit pour leur conflit externe avec l’Iran ou leur conflit interne avec les réformistes, ils semblent avoir sous-estimé à quel point les Américains les considéraient désormais comme d’incorrigibles trumpistes, ce qui fait d’eux pratiquement des parias pour plus de la moitié de la population américaine qui méprise Trump.  

Refonte des relations entre les États-Unis et le Golfe

Il y a une forte chance qu’en cas de victoire démocrate cet automne, l’administration Biden et les dirigeants démocrates du Congrès chercheront à remettre totalement à plat les relations entre les États-Unis et le Golfe. 

Adopter une ligne radicale contre ces régimes coûterait relativement peu aux États-Unis sur le plan international, mais rapporterait beaucoup vis-à-vis de l’opinion publique américaine. La coalition remplaçant Trump serait multi-ethnique, multi-religieuse et de la classe ouvrière, sensible aux problèmes d’inégalités de salaires et de richesse, et de respect pour les droits de l’homme.

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Ils n’auraient pas une grande sympathie pour les États du Golfe au vu de leur immense richesse (imméritée), des énormes inégalités de salaires et de richesse qu’ils entretiennent, et de leur mépris pour les droits de l’homme et la démocratie. Ces États pourraient devenir facilement les têtes de Turc de la nouvelle administration Biden. 

Bernie Sanders, bien qu’il n’ait pas remporté la nomination démocrate, reste une personnalité remarquablement populaire au sein de la base du parti et il ne fait aucun doute que cette base se rapproche de ses idées. Ses condamnations publiques de l’Arabie saoudite par exemple sont sans aucun doute représentatives des opinions de la grande majorité des électeurs et des activistes du Parti démocrate. 

À l’heure où les besoins de l’économie mondiale en pétrole du Golfe déclinent en raison de l’essor des énergies alternatives et de la découverte de gisements pétroliers considérables en Amérique du Nord, l’importance mondiale des États du Golfe a décliné et continuera ainsi. L’effondrement des cours du pétrole dans le sillage de la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accélérer cette tendance. 

La nature des régimes du Golfe les a rendus encore plus dépendants à un soutien externe pour survivre. Or, les Américains ont de moins en moins envie d’apporter ce soutien, en particulier si cela signifie d’encourir des pertes substantielles, telles que celles qui s’ensuivraient en cas de nouvelle guerre avec l’Iran. 

Questions existentielles

Cela s’avérera plus particulièrement si Biden l’emporte sur Trump et que le peuple américain observe les États du Golfe uniquement par le prisme de leur relation précédente avec un président méprisé et vaincu. Dans le même temps, il est peu probable que d’autres puissances extérieures, telles que la Russie ou la Chine, soient en mesure de remplacer les États-Unis en tant que garants de la sécurité des États du Golfe.  

Après avoir autant misé sur Trump, les États du Golfe ont peu de chances d’obtenir un bénéfice substantiel avant la fin de son premier mandat

Ces derniers sont de plus en plus confrontés à des questions existentielles : ils peuvent soit chercher à renforcer leur sécurité en refondant leurs États sur des bases démocratiques, et en cherchant la paix, l’intégration et le développement de la région – ce qui nécessiterait une redistribution radicale (mais bien plus équitable) du pouvoir économique et politique –, soit ils officialisent leur soutien à Israël et deviennent ses États clients. 

S’ils refusent d’entreprendre des réformes politiques fondamentales, à la fois sur le plan national et dans leur politique régionale, ils découvriront qu’Israël, qui a un vif intérêt à entretenir les troubles dans la région arabe, est le seul État capable d’assurer le statu quo de manière fiable. 

Cependant, un soutien ouvert à Israël, malgré les tentatives de plus en plus claires de poser les bases en vue d’une normalisation des relations, comporte des risques substantiels pour les États du Golfe, en particulier alors que cet État procède à l’annexion des territoires palestiniens occupés et à un apartheid de jure. Après avoir autant misé sur Trump, les États du Golfe ont peu de chances d’obtenir un bénéfice substantiel avant la fin de son premier mandat – et ironiquement, ils seront parmi les plus grands perdants si lui et les républicains perdent largement cet automne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohammad H. Fadel est professeur de droit à l’Université de Toronto. Il a publié de nombreux articles sur l’histoire juridique islamique, la théologie et l’islam ainsi que le libéralisme.
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