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Guerre Israël-Palestine : le monde ne peut pas regarder ce massacre les bras ballants

Deux millions de Palestiniens sans défense à Gaza n’ont nulle part où fuir, nulle part où se cacher et aucun moyen de sauver leurs enfants
Un enfant reçoit des soins médicaux après avoir été touché par une frappe aérienne israélienne à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza, le 14 octobre 2023 (Reuters)

Au moment de l’écriture de ces lignes, Israël a prévenu l’ONU que plus d’un million de Palestiniens dans le nord de la bande de Gaza, dont les habitants de la ville de Gaza, devaient évacuer leur maison. Il n’y a nulle part où aller à Gaza, pas pour 10 000 personnes, pas pour 100 000 et certainement pas pour un million.

Évacuer un million d’êtres humains en 24 heures est impossible, illégal, inhumain et irréalisable.

En d’autres termes, Israël menace de commettre un crime de guerre, comme nous n’en avions plus vu depuis la Nakba de 1948

Ce qui reste hautement sujet à caution, c’est si Israël tirera la plus essentielle des leçons de cette histoire : que le pays ne peut continuer indéfiniment à vivre par l’épée, comptant uniquement sur sa puissance militaire

Il est très probable que tout cela ne soit que des paroles en l’air et des menaces ; Israël pourrait au final ne pas envahir Gaza, et un million de personnes pourraient ne pas être chassées de chez elles. Quoi qu’il en soit, près d’un demi-million de personnes sont désormais sans abri après les bombardements sans précédent des quartiers de Gaza par l’armée de l’air israélienne.

C’est une période sombre. Sombre pour les Israéliens, qui se sont réveillés le samedi 7 octobre dans une réalité qui a chamboulé la conception qu’ils s’étaient faite de leur monde des années durant. 

Les Israéliens pensaient que leur armée était omnipotente, la plus forte au monde ; qu’injecter 3,5 milliards de shekels (835 millions d’euros) dans une barrière autour de Gaza suffirait à assurer la sécurité des habitants du sud d’Israël. 

Ils pensaient qu’ils avaient le système de renseignement le plus sophistiqué au monde : un système qui sait, entend et voit tout. Israël est doté d’une technologie miraculeuse qu’il vend à la moitié du monde, se vente de ses ressources humaines d’élite, telles que la réputée unité 8200 de l’armée, des génies que personne ne pouvait assurément surprendre. 

Une nouvelle réalité

Puis, un tracteur obsolète a brisé la barrière autour de Gaza et tout le concept s’est effondré. Il s’avère que les renseignements israéliens ne savaient rien à propos d’une énorme opération qui a été planifiée depuis plus d’un an ; l’armée est arrivée très tard sur les sites des incursions du Hamas.

Israël n’est pas si puissant ou omnipotent après tout. Sa force militaire n’est pas suffisante pour garantir la sécurité de ses habitants. Ce qui reste hautement sujet à caution, c’est si Israël tirera la plus essentielle des leçons de cette histoire : que le pays ne peut continuer indéfiniment à vivre par l’épée, comptant uniquement sur sa puissance militaire.

La moitié de l’armée israélienne surveille actuellement les colons en Cisjordanie occupée et tous leurs caprices. Pour la fête de Souccot plusieurs bataillons ont été transférés de la frontière de Gaza à Huwara, près de Naplouse, pour protéger une fête de vengeance, à l’initiative d’un membre extrémiste du Parlement israélien. 

La Nakba qu’Israël a déclenchée se retournera contre lui
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Les images dans les médias de fidèles juifs assis sur une route au milieu d’une ville palestinienne, se balançant d’un côté à l’autre comme autant de feuilles de palmier rituelles, figurent parmi les plus grotesques de ces derniers temps. Cette farce n’a pas tardé à laisser la place à la catastrophe : à cause de cette provocation criminelle des colons, les habitants du sud d’Israël n’avaient personne pour les protéger lorsque le Hamas les a envahis.

Le 7 octobre, Israël s’est réveillé dans une nouvelle réalité. Une réalité qui devrait finalement mettre un terme à l’arrogance et à la suffisance du pays. Cela doit démontrer, une fois pour toutes, l’impossibilité d’échapper aux conséquences de l’emprisonnement indéfini de plus de deux millions de personnes dans une cage géante, avec trois millions d’autres vivant indéfiniment sous la tyrannie militaire. 

Il y avait un prix à payer après tout. Le 7 octobre, Israël s’est réveillé face à l’horreur.  

Israël a été choqué et a cherché à se venger. Ce souhait est désormais exaucé. À l’heure où j’écris ceci, tous les habitants de Gaza sont devenus les victimes potentielles d’une violence que même eux, bien qu’ils connaissent déjà l’horreur et la souffrance, n’ont encore jamais connue. 

Le traumatisme de la Nakba

Des milliers et peut-être des dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza n’en n’ont plus pour longtemps. Leurs maisons, leurs vies et leur univers seront totalement anéantis. 

Ceux qui sont contraints d’évacuer se souviendront certainement de la façon dont leurs parents et grands-parents ont été contraints d’évacuer des centaines de villages dans leur patrie en 1948, sans possibilité de retour. Le traumatisme de la Nakba sera ravivé dans toute son intensité à Gaza.

Israël ne doit pas mal interpréter la compassion et la solidarité qu’une grande partie du monde extérieur lui témoigne actuellement.

Il doit être clair que, nonobstant la compassion humaine amicale et compréhensible qui a été exprimée, la réponse d’Israël doit avoir ses limites

La communauté internationale ne laissera pas Israël faire n’importe quoi à Gaza aux dépens de deux millions de personnes sans défense qui n’ont nulle part où fuir, nulle part où se cacher et aucun moyen de sauver leurs enfants.

Il n’y a pas d’hôpitaux pour soigner les malades ; nul endroit pour s’occuper de leurs âmes brisées. Le fait que le Hamas n’ait pas pris garde à tout cela n’absout pas Israël de sa responsabilité. 

Une grande part de responsabilité incombe désormais à la communauté internationale. Les visites des dirigeants américains et européens et le discours particulièrement compatissant du président américain Joe Biden envers Israël ne doivent pas nous induire en erreur.

Il doit être clair que, nonobstant la compassion humaine amicale et compréhensible qui a été exprimée, la réponse d’Israël doit avoir ses limites.

Au moment où j’écrivais ces lignes, un habitant de Rafah dans le sud de la bande de Gaza m’a appelé, me demandant d’envoyer un article à Haaretz, le quotidien pour lequel j’écris. « Je ne sais pas si je serai toujours en vie dans quelques heures », m’a-t-il dit. « Là maintenant, personne à Gaza ne sait s’il sera en vie l’heure d’après – mais, s’il vous plaît, publiez l’article même si je me fais tuer. »

Un moment donné, il faudra mettre un terme à ces atrocités – et ce moment approche à grands pas.

- Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur, notamment, de The Punishment of Gaza (Verso, 2010).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Gideon Levy is a Haaretz columnist and a member of the newspaper's editorial board. Levy joined Haaretz in 1982, and spent four years as the newspaper's deputy editor. He was the recipient of the Euro-Med Journalist Prize for 2008; the Leipzig Freedom Prize in 2001; the Israeli Journalists’ Union Prize in 1997; and The Association of Human Rights in Israel Award for 1996. His new book, The Punishment of Gaza, has just been published by Verso.
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