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Il est temps de parler des violences faites aux femmes au Liban

Les réformes juridiques et politiques à elles seules ne suffisent pas pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, il faut aussi un changement général d’attitude

Un juge libanais a ordonné que l’accusé du meurtre de l’employée de l’ambassade britannique, Rebecca Dykes, soit jugé.

La mémoire de Becky, comme on l’appelait, a récemment été commémorée à Londres et à Beyrouth. Elle aurait été assassinée par un chauffeur de taxi en décembre. Une série de meurtres et d’actes de violence contre les femmes ces derniers mois ont incité l’association KAFA (Assez de la violence et de l’exploitation), basée à Beyrouth, à manifester sa solidarité avec les victimes.

Outre Becky, parmi les victimes figuraient une femme qui a été tuée par son ex-mari et une adolescente de 15 ans qui s’est suicidée à cause d’un mariage précoce.

Que le Liban ait un problème de violence et d’inégalité entre les sexes peut en surprendre certains ; on appelle sa capitale le « Paris du Moyen-Orient » et l’implication des femmes dans la vie publique est manifeste. Cependant, dans le système juridique, un peu plus soustrait au regard de la communauté internationale, la parité n’est pas aussi bien définie. 

Vue d’ensemble

Le Liban est un pays de contradictions apparentes. Il est relativement bien développé, mais arrive en troisième position pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) en ce qui concerne l’écart entre les sexes. Et tandis que les femmes jouissent de tous les droits économiques, des chiffres de 2009 suggèrent qu’à l’époque, seulement 23 % des femmes étaient économiquement actives.

Le Liban a été l’un des premiers pays du Moyen-Orient à accorder aux femmes l’égalité des droits pour participer à la vie politique. C’était en 1953, mais ce n’est que dans les années 1990 que cette réalité s’est concrétisée. Aujourd’hui, la situation n’est pas brillante car seulement 9 % des législateurs et des hauts fonctionnaires sont des femmes et ces dernières occupent 3 % des sièges parlementaires et 4 % des postes ministériels.

Une formation institutionnalisée parmi les professionnels, le renforcement des capacités des services sociaux et l’exploitation de l’influence des communautés religieuses pour éduquer le public contribueraient à un changement systémique

Le manque de représentation politique pourrait être attribué à des obstacles bien trop familiers, non seulement dans la région MENA mais aussi dans le reste du monde, tels que les inégalités culturelles et socioéconomiques. Toutefois, le système confessionnel libanais complique encore le paysage : dix-huit groupes religieux sont représentés dans le corps législatif au sein de onze catégories confessionnelles.

Aucun d’entre eux n’est considéré comme majoritaire, présentant le défi particulier de concilier les intérêts des différentes communautés.

En outre, ce système, qui est en vigueur depuis l’indépendance du Liban, a été dominé par des élites qui tendent à élire des hommes et à promouvoir les causes qui leur profitent plutôt que des problèmes de société tels que l’égalité des sexes. Le système confessionnel met également en lumière un autre problème lié à la lutte contre les violences faites aux femmes : le conflit entre le droit national et le droit religieux.

Le besoin de changement

Le peu de statistiques disponibles montrent que les violences faites aux femmes sont un sujet qui mérite d’être abordé. Une enquête menée en 2016 a révélé que 31 % des femmes au Liban ont été victimes de violences conjugales et que 24 % des hommes ont admis ces violences.

Le groupe de plaidoyer ABAAD affirme qu’une femme sur quatre au Liban est victime d’une agression sexuelle et que treize femmes signalent des agressions sexuelles à la police chaque mois en moyenne. En 2002, une étude appuyée par le Fonds des Nations unies pour la population a révélé que sur 1 415 femmes interrogées, 35 % avaient été victimes de violences domestiques.

Le besoin de changement est admis depuis longtemps et le pays a connu un certain nombre de changements grâce aux efforts concertés de la société civile locale et à la mise en œuvre de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Parmi ces changements figurait l’abrogation ou l’annulation de certains articles du code pénal libanais, qui témoignaient de la clémence pour les crimes d’honneur ou les violeurs qui épousaient leurs victimes, et en 2014, le Liban a adopté pour la première fois une loi sur les violences domestiques.

Une Libanaise dépose une rose à côté d’un portrait de l’employée de l’ambassade britannique assassinée, Rebecca Dykes, lors d’une veillée de sensibilisation aux violences contre les femmes à Beyrouth, en décembre 2017 (AFP)

Selon Kafa, d’autres réformes sont nécessaires, telles que des peines plus sévères pour les violences au sein du mariage et des mécanismes plus rapides pour obtenir une ordonnance restrictive.

Les groupes de défense des droits de l’homme font également valoir que la définition des violences domestiques est trop étroite, sans disposition concernant le viol conjugal. Alors que sa version originale en contenait une, elle a été retirée sous la pression des autorités religieuses. Les élites religieuses ont également veillé à ce que les lois sur le statut personnel du pays l’emportent sur la loi sur les violences domestiques.

Quinze lois distinctes régissent le statut personnel des membres des diverses confessions, traitant du mariage et d’autres questions familiales. Ce système a été critiqué pour plusieurs raisons : les citoyens ne sont pas traités de la même manière, les lois sont dominées par les valeurs patriarcales traditionnelles et les juges religieux n’ont pas la même formation ou ne font pas l’objet du même processus de sélection que les juges civils et n’ont pas à respecter les engagements en matière de droits de l’homme, auxquels ils peuvent être ou non sensibilisés.

Le mariage précoce ou des enfants a été identifié comme un problème découlant de ce système. L’âge minimum pour le mariage diffère selon les quinze lois différentes, allant de 9 à 18 ans. Les mariages d’enfants semblent se produire en masse aujourd’hui au Liban, à « une vitesse alarmante et sans effort » ; le problème a augmenté avec la crise des réfugiés syriens, car de nombreux parents préfèrent voir leurs enfants mariées plutôt que vulnérables dans des camps.

Changement de comportements

Comme à la maison, les femmes font l’objet de harcèlement dans la rue et sur leur lieu de travail, la plupart des femmes déclarant avoir été victimes de harcèlement sexuel dans des lieux publics. On ne peut ignorer l’impact de la vague de conflits dans la région : les réfugiés représentent désormais 25 % de la population du pays, ce qui augmente son taux de chômage déjà élevé et exacerbe les tensions et le stress.

À LIRE : La situation économique pousse de nombreux réfugiés syriens à marier les mineurs

Les réformes juridiques et politiques ne peuvent à elles seules faire le pas nécessaire pour lutter contre la violence à l’égard des femmes au Liban. Il doit y avoir un changement général d’attitude et une approche proactive. Une formation institutionnalisée parmi les professionnels, le renforcement des capacités des services sociaux et l’exploitation de l’influence des communautés religieuses pour éduquer le public contribueraient à un changement systémique.

Il en ira de même pour le travail et les programmes sur le terrain. Des efforts pour réhabiliter les survivantes et apporter des conseils aux hommes qui commettent des actes violents sont mis en œuvre par la société civile. Redoubler d’efforts là-dessus, ainsi qu’améliorer les conditions de vie de la population réfugiée, ne peut qu’aider.

Les donateurs, les ONG et la communauté internationale dans son ensemble peuvent tous contribuer. L’un des héritages que la famille de Becky a édifié sur cette tragédie est une fondation pour poursuivre le travail auquel elle croyait, en mettant l’accent sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

Tel un phénix renaissant des cendres de toute cette violence, nous devrions commencer à parler de ces maux sociétaux et impulser le changement.

- Sophia Akram est chercheuse et spécialiste en communication. Elle porte un intérêt particulier aux droits de l’homme, en particulier au Moyen-Orient et en Asie.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : silhouettes représentant des femmes tuées par des proches masculins au Liban, dont huit tuées au cours des 60 derniers jours, lors d’un rassemblement organisé par des militants de l’ONG KAFA, le 27 janvier 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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