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Élections israéliennes : le triomphe du kahanisme

Aucun dirigeant israélien n’avait auparavant promu un parti explicitement kahaniste, héritier d’une formation interdite dans les années 1980 pour terrorisme, et encore moins accepté de l’inclure dans une coalition gouvernementale comme le fait aujourd’hui Benyamin Netanyahou
Un Israélien passe à côté d’un panneau électoral représentant le Premier ministre Benyamin Netanyahou et des politiciens d’extrême droite, dont Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, à Jérusalem en 2019 (AFP)

Les grands vainqueurs des élections israéliennes de mardi semblent être le Premier ministre Benyamin Netanyahou et le Parti sioniste religieux. Derrière ce nom timoré se cache une alliance de certains des éléments kahanistes les plus extrêmes de la politique israélienne.

Selon les résultats annoncés jusqu’à présent, le match nul prédit entre les partis centristes et de droite pourrait offrir à Netanyahou une étroite marge de manœuvre pour un nouveau mandat de Premier ministre. Les partis d’extrême droite et religieux, probables partenaires de coalition de Netanyahou, sortent victorieux de ces élections.

Au moment de la publication, on ignore encore si cette coalition pourra s’assurer la majorité de 61 sièges dont elle a besoin.

La question qui se pose est la suivante : est-ce que la suspicion et l’hostilité envers Netanyahou de certains de ces dirigeants de partis, comme Guideon Saar et Naftali Bennett, seront plus fortes que leur appétit de pouvoir politique ? Si l’on se fie à ce que nous enseigne le passé, ils mettront de côté leurs rancœurs personnelles et joueront le jeu politique.

Commence désormais le marchandage, au cours duquel les potentiels partenaires vont se faire désirer, arrachant le maximum de portefeuilles ministériels et autres prérequis avant d’apporter leur soutien à la coalition.

Effondrement de Bleu Blanc

Le taux de participation à cette quatrième élection en deux ans est de 67 %, en baisse par rapport aux précédentes et le taux le plus faible depuis 2013. Les résultats préliminaires suggèrent que beaucoup de ceux qui ont choisi de ne pas voter avaient précédemment soutenu les partis modérés qui avaient obtenu de meilleurs résultats aux dernières élections.

Deux facteurs critiques ont abouti à ces résultats. D’abord, il y a le quasi-effondrement de la coalition de centre-droit Bleu Blanc, qui avait remporté 33 sièges à la dernière Knesset. La décision prise par son dirigeant de l’époque, Benny Gantz, d’abandonner ses partenaires et d’entrer dans une coalition avec Netanyahou a conduit à un déclin drastique de son électorat. 

Avec près de 90 % des voix décomptées, Bleu Blanc ne remporte que huit sièges, alors que Yesh Atid, parti centriste de Yaïr Lapid qui s’est séparé de Bleu Blanc l’année dernière, en a obtenu 17.

En raison de cette fracture, le centre-droit n’est plus une alternative viable à la coalition d’extrême droite dirigée par le Likoud de Netanyahou.

Même si Netanyahou démissionnait, ses rivaux qui attendent en coulisses ne sont pas moins extrêmes dans leurs opinions nationalistes, et le pays ne ferait qu’échanger un autocrate suprémaciste juif contre un autre

Les électeurs qui se sont détournés de Gantz ne se sont pas nécessairement rapprochés de ses anciens partenaires de Yesh Atid, qui représente une opinion modérée, ni du Likoud, qui a perdu plusieurs sièges par rapport aux dernières élections. Ils étaient probablement mécontents de Netanyahou et des multiples inculpations pour corruption dont il fait l’objet, alors ils se sont tournés vers de nouveaux partis, généralement encore plus à droite.

Cependant, en se tournant vers les partis susceptibles de rejoindre une coalition de gouvernement avec le Likoud, ils pourraient avoir concouru à un résultat qu’ils n’avaient pas prévu.

Ajourné jusqu’à après les élections, le procès pour corruption de Netanyahou devrait reprendre début avril, et des sources au sein du Likoud suggèrent que les résultats des législatives pourraient lui accorder l’immunité pendant son mandat, notamment l’adoption de la « loi française ».

Une méthode plus draconienne et controversée consisterait pour le nouveau ministre de la Justice à virer l’actuel procureur général et à désigner à sa place une personne qui acquitterait Netanyahou, éliminant ainsi la plus grande menace à sa carrière de dirigeant.

Opinions nationalistes extrêmes

S’il y a régulièrement des manifestations contre la corruption de Netanyahou, lesquelles se multiplieraient probablement si les charges étaient abandonnées, il est peu vraisemblable qu’elles atteignent un point de rupture et amènent Netanyahou à démissionner.

Même s’il démissionnait, ses rivaux qui attendent en coulisses ne sont pas moins extrêmes dans leurs opinions nationalistes, et le pays ne ferait qu’échanger un autocrate suprémaciste juif contre un autre.

Les électeurs qui se sont détournés de Bleu Blanc semblent avoir privilégié des partis de la droite modérée, tels que le parti Nouvel espoir de Guideon Saar, et certains un peu plus à droite que le Likoud, notamment le parti Yamina de Bennett et le Parti sioniste religieux kahaniste dirigé par Bezalel Smotrich.   

Le dirigeant du parti israélien Pouvoir juif (Otzma Yehudit) Itamar Ben-Gvir (à droite) s’exprime devant ses partisans au marché de Mahane Yehuda à Jérusalem, le 19 mars (AFP)
Le dirigeant du parti israélien Pouvoir juif (Otzma Yehudit) Itamar Ben-Gvir (à droite) s’exprime devant ses partisans au marché de Mahane Yehuda à Jérusalem, le 19 mars (AFP)

Smotrich fut autrefois appréhendé par le Shin Bet sur des allégations de complot en vue d’un attentat terroriste pour protester contre le retrait israélien à Gaza, bien que les accusations n’aient jamais été portées devant un tribunal. Il a un jour audacieusement affirmé que les juifs ne pouvaient être des terroristes : en d’autres termes, ce qui fait des uns des terroristes fait des autres des combattants de la liberté.

En 2006, en signe de protestation contre la parade de la Gay Pride, il a organisé une « parade des bêtes », faisant défiler des chèvres et des ânes dans les rues de Jérusalem. Il se qualifie lui-même de « fier homophobe ». Il a été élu à la Knesset avec l’alliance Yamina et a été ministre des Transports.

Smotrich est allié à Itamar Ben-Gvir, connu pour avoir épousé les théories du rabbin d’extrême droite Meir Kahane. Selon un article de Haaretz, « Ben-Gvir a d’abord rejoint le mouvement de la jeunesse affilié au Moledet, un parti politique de droite qui plaide pour le “transfert” des Arabes israéliens hors du pays. Mais il s’est avéré que cela ne lui suffisait pas. Donc peu après, il a fait défection en faveur de Kach, le parti raciste qui a fini par être interdit et qui fut fondé par le rabbin d’origine américaine Meir Kahane. “J’ai trouvé dans ce mouvement beaucoup d’amour pour le peuple juif, beaucoup de vérité et beaucoup de justice”, affirme Ben-Gvir ».

Rupture avec les précédents

Adolescent, Ben-Gvir a gagné en notoriété en 1995 lorsqu’il a vandalisé le véhicule du Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, et a brandi la mascotte de sa Cadillac en se vantant : « Nous avons eu la voiture. Nous aurons Rabin également. » Yitzhak Rabin a été assassiné quelques semaines plus tard par un autre kahaniste.

Ben-Gvir est désormais l’avocat à la mode pour les colons accusés d’attentats terroristes contre des Palestiniens. Il est l’équivalent israélien de l’avocat et homme politique américain Rudy Giuliani, sauf qu’au lieu de représenter des escrocs miteux, il représente de présumés meurtriers de masse. Il vit à Hébron, au sein de la plus violente enclave de colons, où juifs et Palestiniens sont séparés par des barbelés, des portes de métal verrouillées et des milliers de soldats israéliens qui protègent les colons de l’ire de la population indigène.

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Malgré plusieurs tentatives, Ben-Gvir n’a jamais été élu à la Knesset. Cette fois, son alliance a connu le succès pour une seule raison : Netanyahou a clairement fait savoir aux électeurs d’extrême droite que s’ils ne votaient pas pour le Likoud, il préférait qu’ils votent pour les sionistes religieux. Il a également dit que le parti serait un partenaire de coalition dans son prochain gouvernement, une rupture nette avec les précédents établis.

En 1988, le parti Kach était si éloigné de la politique grand public que le gouvernement l’avait interdit et qu’Israël et les États-Unis l’avaient désigné comme organisation terroriste. Aucun dirigeant israélien n’avait auparavant promu un parti explicitement kahaniste, et encore moins accepté de l’inclure dans une coalition de gouvernement – ce qui signifie qu’il est probable que les sionistes religieux obtiendront au moins un portefeuille ministériel représentant les intérêts de leur électorat colon. Cela leur offre un accès sans précédent aux protocoles et au pouvoir israéliens.

Cela ne surprendra pas quiconque connaît l’histoire du mouvement sioniste. Au moins deux anciens Premiers ministres israéliens, Menahem Begin et Yitzhak Shamir, étaient des terroristes présumés, liés à l’attentat à la bombe à l’hôtel King David, le massacre de Deir Yassin et l’assassinat du comte Folke Bernadotte, médiateur de l’ONU, entre autres choses.

Flirt avec les terroristes

Il existe un puissant moyen d’action par lequel le monde pourrait réagir au flirt de Netanyahou avec les partisans du terrorisme juif : le gouvernement américain, l’ONU et l’Union européenne pourraient déclarer son gouvernement persona non grata et refuser de traiter avec lui. Ce serait une version diplomatique du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Israël est uni dans sa détermination à poursuivre ses politiques racistes et relevant de l’apartheid. Le monde ne fait pas front uni pour s’y opposer

Les personnalités juives de la diaspora pourraient décréter que Netanyahou est allé trop loin et refuser de lever des fonds pour Israël ou de participer à des réunions avec des responsables du gouvernement israélien.

Contrairement à ce que pensent certains, la pression internationale fonctionne. Même si Israël se plaindrait probablement d’une partialité à son encontre, cette pression, si véritablement exercée, pourrait modifier le gouvernement israélien – bien que généralement pas de manière significative, car Israël ne fait que le minimum syndical pour éviter la censure internationale.

Quoiqu’il en soit, un front uni des gouvernements démocratiques occidentaux et des responsables juifs de la diaspora serait un message puissant, définissant une limite franchie par Israël. Et pourtant, la probabilité que cela se produise est quasi nulle. Israël est uni dans sa détermination à poursuivre ses politiques racistes et relevant de l’apartheid. Le monde ne fait pas front uni pour s’y opposer. Il se tâte tandis que Rome brûle.

- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso), et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Richard Silverstein writes the Tikun Olam blog, devoted to exposing the excesses of the Israeli national security state. His work has appeared in Haaretz, the Forward, the Seattle Times and the Los Angeles Times. He contributed to the essay collection devoted to the 2006 Lebanon war, A Time to Speak Out (Verso) and has another essay in the collection, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield) Photo of RS by: (Erika Schultz/Seattle Times)
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