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La guerre de l’eau : Wadi Barada et la toute nouvelle arme d’Assad

Contre les rebelles dans la vallée assiégée et ses partisans à Damas, le président syrien se sert de la pénurie d’eau pour renforcer ses pouvoirs avant les pourparlers

Abu Khaled al-Hennawi, un plombier à la retraite, était en train de réparer un puits dans la vallée de Wadi Barada lorsqu’un missile de l’armée l’a abattu jeudi dernier. Plus tard dans la journée, Ahmad Muhyiddin, 7 ans, a été abattu chez lui par un sniper de l’armée. Le même jour, quelques heures après avoir été refoulé à un poste de contrôle de l’armée alors qu’il était en route vers un hôpital de Damas pour recevoir un traitement médical, Taj al-Din al-Shuairi, 3 ans, est mort d’une hépatite.

En plus de bombarder et de priver les habitants de Wadi Barada, Assad utilise l’offensive pour priver ses partisans à Damas et espère que leur colère – et leur déshydratation – se traduiront par un soutien encore plus important

Tout cela n’est qu’une nouvelle journée « normale » dans la région assiégée de Wadi Barada, au nord-ouest de Damas.

Juste après la reprise d’Alep, l’armée du régime syrien et le Hezbollah ont lancé sans avertissement préalable un assaut le 23 décembre pour récupérer cette vallée stratégique. Le régime visait initialement les médias, les télécommunications et les établissements de santé.

Aujourd’hui, la vallée, partiellement assiégée depuis 2011, est sans d’électricité ni télécommunications. Environ 100 000 civils dans la région – dont des dizaines de milliers de civils venus d’autres communautés assiégées – souffrent de pénuries de nourriture, d’eau et de gaz de chauffage.

« Les civils sont pris au piège chez eux et attendent que le monde les sauve », a expliqué le journaliste local Abu Mohammad dans un message vocal diffusé sur WhatsApp depuis le village d’Aïn al-Fijah.

« Nous sommes non seulement dans l’incapacité de transmettre notre voix au monde, mais nous ne pouvons même pas joindre d’autres villages ne serait-ce que pour compter les victimes et les morts. Nous ne pouvons pas donner le nombre de personnes mortes jusqu’à présent. De nombreuses familles sont mortes sous les décombres. »

Des civils qui vivent dans les villages de la région sous contrôle rebelle de Wadi Barada attendent que des représentants du gouvernement vérifient leurs documents avant d’être autorisés à quitter la zone (AFP)

Attendez-vous à plus de morts dans les prochains jours. Comme tant de communautés avant elle – Deraa, Homs, Alep –, Wadi Barada est devenue un point de pression alors que Bachar al-Assad se rapproche de négociations prévues pour la fin du mois et avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.

Mais cette guerre de l’eau comporte deux volets : en plus de bombarder et de priver les habitants de Wadi Barada, Assad utilise l’offensive pour priver ses partisans à Damas en espérant que leur colère – et leur déshydratation – se traduiront par un soutien encore plus important alors qu’il se dirige vers Astana.

Un assaut brutal

Malgré le cessez-le-feu négocié par la Turquie et la Russie qui est entré en vigueur en Syrie le 30 décembre, l’armée du régime et le Hezbollah ciblent la région avec des bombes barils chargées de chlorine et de napalm, des roquettes, des snipers et des tirs de mortier depuis le sommet des collines environnantes.

Le nombre de personnes tuées ou blessées est inconnu alors que les snipers de l’armée ciblent même les civils qui sortent de chez eux.

À LIRE : L'impact de la guerre sur l'eau syrienne est si vaste que vous pouvez le voir depuis l'espace

Comme pour les autres villes et villages que le régime a évacués à travers le pays, y compris Alep et les communautés autour de Damas, ce dernier a proposé de transporter les rebelles et leurs familles de la vallée vers Idleb, dans le nord de la Syrie. Les rebelles ont refusé la proposition.

Quelques jours après le début de l’assaut, le régime a accusé les « terroristes » de polluer au diesel la source d’Aïn al-Fijah qui, avec la source de Barada, fournit à au moins quatre millions de personnes à Damas 80 % de leur eau potable.

Le régime a ensuite déclaré que la vallée était un refuge pour terroristes. Puis l’histoire a changé à nouveau et les terroristes ont été accusés d’avoir fait sauter la source d’Aïn al-Fijah.

Aucune de ces allégations n’a été étayée par des preuves, même si sur les collines où l’armée du régime est actuellement positionnée, elle peut observer la source d’Aïn al-Fijah et la filmer vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Et après tout cela, plusieurs vidéos et photos des rebelles publiées ces derniers jours semblent montrer que des avions du régime ont bombardé la source.

Le régime a proposé aux rebelles une seconde « réconciliation » stipulant qu’ils devaient se rendre et être transportés à Idleb. Cependant, les rebelles ont de nouveau refusé l’offre et, à la place, ont demandé à des techniciens de réparer la source. Lorsque le régime a envoyé les techniciens, le Hezbollah les a empêchés d’entrer dans la vallée. Les Russes sont donc intervenus.

Le 7 janvier, un comité militaire russe a menacé le comité de négociation local de la vallée de « raser la vallée avec des avions russes » si les rebelles ne livraient pas la source.

Le même jour, des représentants de la vallée ont appelé les Nations unies et la communauté internationale à intervenir et à forcer le régime et le Hezbollah à respecter le cessez-le-feu. Ils ont également appelé un comité international à enquêter sur les bombardements de la source d’Aïn al-Fijah et à permettre aux techniciens d’y accéder sous la supervision de l’ONU.

Damas, un « enfer »

À Damas, beaucoup souffrent au même titre que les habitants de Wadi Barada, ne pouvant satisfaire leurs besoins essentiels tels que ceux en eau, en gaz de cuisson et en électricité. Les prix sont élevés, les revenus sont faibles et le chômage qui gangrenait le pays avant la guerre n’a fait qu’empirer.

Ce ne sont pas des copains du régime qui vont en boîte de nuit ou qui mènent une vie « normale » dans la capitale malgré la guerre : ce sont les habitants les plus pauvres de la capitale qui n’ont pas pu s’échapper

Ce sont des Damascènes oubliés qui regardent depuis plusieurs années des dizaines de milliers de leurs voisins s’enfuir pour éviter de servir dans l’armée ou pour rechercher de meilleures conditions de vie. Ce ne sont pas des copains du régime qui vont en boîte de nuit ou qui mènent une vie « normale » dans la capitale malgré la guerre : ce sont les habitants les plus pauvres de la capitale qui n’ont pas pu s’échapper.

Le 4 janvier, le docteur Akeed Ali, de l’hôpital public Ibn al-Nafis, a déclaré que jusqu’à quinze personnes empoisonnées par de l’eau venant de sources inconnues arrivaient tous les jours à l’hôpital. En temps normal, a-t-il expliqué, le nombre de cas s’élève à deux ou trois par jour. Dans ces cas-là, les responsables ne donnent pas les chiffres corrects pour ne pas effrayer les gens.

Des passants marchent au bord du Barada, à Damas, le 3 janvier 2017 (AFP)

Amjad, un ingénieur informatique de 27 ans qui a perdu sa maison pendant le conflit armé dans la ville de Qudsaya, à 7 kilomètres à l’ouest de Damas, a décrit la vie à Damas comme un enfer.

« Je dors chez mes amis, a expliqué Amjad. Chaque fois que je souhaite prendre une douche, je dois soit aller à la salle de sport, soit payer 1 800 livres syriennes [environ 8 euros] dans un hammam public. »

Suleiman, un bibliothécaire de 33 ans qui vit dans le quartier d’al-Midan à Damas, a affirmé que son appartement au quatrième étage n’était pas approvisionné en eau depuis dix-huit jours.

La seule fois où il y a eu de l’eau dans le robinet, il a été difficile de la pomper jusqu’à son appartement puisqu’il n’y avait pas d’électricité, coupée depuis cinq jours consécutifs.

La montée en flèche du prix de l’eau

Suleiman ressent la pression de l’eau sur ses revenus limités. Il gagne 40 000 livres syriennes (environ 175 euros) par mois. Mais les prix sont trop élevés. Il a expliqué qu’il effectuait les wudu (ablutions) – les rituels de lavage que les musulmans réalisent cinq fois par jour avant de prier – avec une bouteille d’eau d’1,5 litre qui coûte 800 livres syriennes (environ 3,5 euros). Une bouteille de ce type se vendait 110 livres syriennes (environ 50 centimes) la veille du bombardement de la source.

Assad est prêt à mener son peuple – à Wadi Barada et à Damas – au bord du précipice pour laisser sa trace

Pourtant, les médias du régime n’évoquent jamais l’incapacité du gouvernement à fournir Damas. À la place, l’accent a été mis sur la mobilisation contre les habitants de Wadi Barada, qualifiés de « terroristes », de « porcs » et de « juifs », tandis que l’armée a été appelée à « les frapper durement ».

Le 4 janvier, Mohammad Sawan, pompier et secouriste des Casques blancs de 32 ans, a été tué dans un double bombardement à Wadi Barada. Son ami Riyad al-Dalati, un infirmier qui n’avait pas encore 30 ans, a été tué le 7 janvier. Tous deux ont été qualifiés de terroristes dans les médias pro-régime et d’État.

À Damas, des Syriens remplissent des bidons en plastique avec de l’eau, le 10 janvier 2017 (AFP)

Les médias du régime ont diffusé des chansons en l’honneur de l’armée et de son héroïsme. Les journaux louent les « sacrifices des martyrs de l’armée » qui sont morts en « combattant le terrorisme ».

Il est clair que Wadi Barada a apporté à Assad un outil utile pour faire valoir qu’il doit bénéficier d’un soutien total pour « combattre les terroristes », mais aussi qu’il est prêt à mener son peuple – à Wadi Barada et à Damas – au bord du précipice pour laisser sa trace.

Is’aaf, une veuve de 39 ans originaire de Mezzeh, a expliqué que depuis que la source a été bombardée, elle remplit un bidon d’un peu moins de quatre litres à un robinet public sur l’autoroute de Mezzeh, où se forme une file de milliers de personnes attendant debout, avec leur parapluie dans une main et un bidon dans l’autre.

« Au moins, nous avons toujours M. le Président pour diriger cette jungle ! », a-t-elle lancé d’un ton moqueur.

Muhammed Fares est un chercheur et journaliste syrien.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des Syriens remplissent des bidons en plastique avec de l’eau fournie par le Croissant-Rouge arabe syrien, dans la capitale Damas, le 10 janvier 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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