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La guerre en Syrie est loin d’être terminée

Les dynamiques locales, régionales et internationales en jeu font craindre la poursuite du conflit au-delà de 2018

2017 fut une bonne année pour le président syrien Bachar al-Assad. Le « califat » de l’État islamique (EI) a été en grande partie détruit – écrasé par les forces syriennes, russes et iraniennes d’un côté et, de l’autre, par les forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes et soutenues par les Américains.

Les principaux opposants rebelles d’Assad ont été en grande partie abandonnés par leurs soutiens extérieurs et écrasés par ses alliés, qui les ont laissés isolés, divisés et politiquement marginalisés dans leurs poches de résistance.

Sa position sera probablement encore renforcée par le prochain « congrès de la paix », organisé fin janvier par la Russie à Sotchi, où Moscou espère négocier un accord impliquant certains éléments kurdes et de l’opposition, tout en laissant finalement Assad aux commandes.

Cependant, même si la Russie parvient à un accord viable, de nombreux groupes d’opposition risquent de rester exclus. De plus, Moscou, Téhéran et Damas ont été loin de se montrer conciliants au cours des six dernières années de guerre et il serait peu surprenant de voir l’accord finalement vidé de son sens ou carrément ignoré.

Quoi qu’il arrive à Sotchi ce mois-ci, le dictateur syrien a toutes les chances de conserver la présidence

Loin d’être finie

En effet, quoi qu’il arrive à Sotchi, la guerre en Syrie est probablement loin d’être terminée. Les dynamiques locales, régionales et internationales en jeu font craindre la poursuite du conflit au-delà de 2018, même si la position d’Assad est assurée.

Premièrement, Assad et ses alliés semblent déterminés à vaincre militairement les quelques rebelles qui résistent encore. Ces rebelles, dont beaucoup appartiennent à Hayat Tahrir al-Cham, détiennent actuellement quatre territoires principaux : la province d’Idleb, Rastan (près de Homs), quelques banlieues autour de Damas (notamment la Ghouta-Est) et une zone le long de la frontière jordanienne et israélienne, au sud.

Bien que déclarées « zones de désescalade » dans des accords signés à Moscou l’année dernière, Assad, l’Iran et la Russie ont en réalité souvent rompu ces cessez-le-feu. Ces trêves ont permis aux forces loyales à Assad de jouir d’un répit suffisant pour, tandis que l’EI s’effondrait, tourner leurs forces vers l’est et récupérer l’ancien territoire du « califat » et en refuser l’accès aux FDS alignées sur les États-Unis.

Tant que les États-Unis patrouillent dans leur ciel, appuyés par 3 000 forces spéciales américaines et de dix bases au sol, les FDS se sentiront relativement à l’abri d’Assad, dont le but déclaré est de récupérer « chaque centimètre » de la Syrie...

Maintenant que l’EI est en grande partie décimé, Assad et ses alliés concentrent désormais leurs troupes d’élite contre les rebelles.

Déjà, janvier a commencé avec l’offensive du gouvernement syrien à Idleb, l’objectif apparent étant d’arracher aux rebelles la partie orientale, moins peuplée de la province autour d’Abou Douhour. Cela pourrait être le préambule d’une poussée gouvernementale sur la ville d’Idleb, mais cela dépendra en grande partie de la capacité de la Russie à obtenir l’accord tacite de la Turquie, qui pourrait probablement accueillir de nombreux réfugiés de cette province, dont la population est actuellement estimée à deux millions d’habitants.

Idleb étant tenue par Hayat Tahrir al-Cham – considéré comme groupe terroriste par la Russie, les États-Unis et la Turquie – et la plupart des autres groupes rebelles sur place étant réticents à s’impliquer à Sotchi – car ils y voient, avec raison, le signe d’une soumission à Assad – le conflit semble donc à tout moment inévitable.

Reprendre « chaque centimètre »

Un destin similaire attend probablement les autres poches rebelles. Certaines d’entre elles, comme Rastan, et peut-être aussi quelques régions du sud, pourraient être persuadées d’accepter des compromis avec Assad, soit via Sotchi, soit lors d’accords ultérieurs. Or Assad, sûr de sa force, lancera probablement son armée contre la Ghouta-Est à Damas, car c’est de ce quartier que sont partis les derniers tirs de roquettes sur la capitale.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) estime que 417 000 Syriens vivent toujours dans des zones assiégées, la plupart dans la région de la Ghouta. Toute campagne militaire à Idleb et dans la Ghouta serait alors probablement brutale, prélèverait un lourd tribut en vies humaines et jetterait encore plus de réfugiés sur les routes. 

À Idleb, des combattants appartenant à une coalition de forces islamistes piétinent le portrait du président syrien Bachar al-Assad (AFP)

Deuxièmement, au-delà de la poursuite du conflit avec les rebelles, les relations futures entre Assad et les Kurdes restent incertaines et pourraient dégénérer en violences. Actuellement, les forces des FDS et du gouvernement syrien s’affrontent sur les rives opposées de l’Euphrate et conservent chacune des poches isolées sur le territoire de l’autre.

Tant que les États-Unis patrouillent dans leur ciel, appuyés par 3 000 forces spéciales américaines et de dix bases au sol, les FDS se sentiront relativement à l’abri d’Assad, dont le but déclaré est de récupérer « chaque centimètre » de la Syrie...

Cependant, bien que le Pentagone promette une présence américaine prolongée, l’imprévisibilité du président Donald Trump et la récente réticence de Washington à empêcher la chute de Kirkouk, outre la tendance historique des États-Unis à trahir les intérêts kurdes, a conduit nombre de Kurdes syriens à craindre le pire.

Assad et les Kurdes

Par conséquent, certains s’attendent à ce que le PYD (la force kurde qui domine les FDS et participe officieusement à Sotchi) signe un accord avec Assad via la Russie. Voici l’une des options envisagées : cession des terres majoritairement arabes le long de l’Euphrate et, en échange, autonomie des zones à majorité kurde le long de la frontière turco-syrienne.

Selon ce scénario, les forces américaines se retireront probablement de toute la Syrie. Toutefois, même si Assad acceptait un tel accord, son engagement à long terme à cet égard resterait discutable, puisqu’il s’est déjà souvent montré par le passé très réticent à se conformer aux exigences russes.

Le PYD est un parti nationaliste kurde. Il incarne donc la menace idéologique qui pourrait empêcher Assad de prospérer au nord de la Syrie.

Le gouvernement syrien cherchera très probablement à saper l’autonomie kurde, soit par des machinations politiques, soit par une reconquête violente (éventuellement avec l’assentiment de la Turquie), une fois que les bailleurs de fonds extérieurs du PYD se seront désengagés.

À LIRE : Sotchi, l’envie n’y est pas

Enfin, parallèlement à la violence à l’intérieur de la Syrie, une autre violence menace de l’extérieur. Certes, le califat de l’EI a été vaincu, mais ses partisans, anciens et nouveaux, restent en Irak et en Syrie. Ils pourraient encore lancer des attaques de faible envergure, voire même reprendre leur croisade.

La Turquie reste sceptique quant à la présence du PYD, car il est affilié aux séparatistes kurdes turcs du PKK, le long de sa frontière, et pourrait encore attaquer des redoutes excentrées, comme Afrin, au nord de la Syrie.

De même, à cause de la guerre, Israël craint le Hezbollah libanais et la présence iranienne en Syrie. En 2017, Tel-Aviv a déjà intensifié ses attaques contre les convois militaires. La prochaine étape du conflit entre Israël et le Hezbollah, attendu depuis longtemps, pourrait cette fois-ci se dérouler en Syrie et au Liban.

Assad a donc sans doute de bonnes raisons de se réjouir, puisqu’il a survécu à la guerre civile lancée pour le renverser. Quoi qu’il arrive à Sotchi ce mois-ci, le dictateur syrien a toutes les chances de conserver la présidence. Pourtant, les Syriens ne sont pas encore au bout de leurs peines, loin de là. Le conflit continuera donc et évoluera en 2018, voire plus longtemps encore.

Assad a sans doute gagné, mais la paix restera insaisissable sans doute encore longtemps.

- Christopher Phillips est maître de conférences à Queen Mary, Université de Londres, et chercheur associé à Chatham House. Son dernier livre, The Battle for Syria : International Rivalry in the new Middle East est en vente aux Presses Universitaires de Yale, sera disponible en édition de poche dans une version actualisée en février 2018.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Soldats turcs lors de la manifestation soutenant l’opération de l’armée turque à Idleb, à la frontière entre Turquie et Syrie, en octobre 2017, près de Reyhanlı (Hatay) (AFP).

Traduction de l’anglais (original) de Dominique Macabies.

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