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La prochaine guerre entre Israël et le Hezbollah : sensationnalisme médiatique ?

Les journalistes étrangers ont une étonnante capacité à trouver des combattants du Hezbollah prêts à s’exprimer anonymement. Mais peut-on prendre au sérieux ces déclarations guerrières ?

Les médias sont étranges. Les bonnes nouvelles ne constituent pas des informations, selon eux, et la mort fait vendre. Pas étonnant que les journalistes médiocres adorent leurs guerres. À tel point que chaque fois qu’il n’y a pas de guerre réelle à couvrir, ils ont tendance à faire l’article de la prochaine.

C’est assurément le cas du conflit qui couve entre Israël et le Hezbollah. Bien que la dernière recrudescence grave remonte à 2006 et que la frontière sud du Liban ait été relativement calme depuis, il y a eu une dizaine d’articles dernièrement suggérant que la prochaine série de combats arrive à grands pas.

Il semble que les journalistes étrangers ne rencontrent aucun problème pour dénicher des combattants du Hezbollah prêts à s’exprimer… Le Hezbollah semble être une organisation-passoire

Le Jerusalem Post a récemment cité l’ancien général et ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, prédisant que « chaque Libanais souffrira de la prochaine guerre parce que toutes les infrastructures seront détruites ». On se demande en quoi c’est nouveau, puisque c’est exactement ce qu’Israël a fait en 2006.

Le lendemain, ce même journal a fait un reportage sur l’armée israélienne obligée de prendre des mesures militaires contre le Hezbollah (et l’Iran) à la suite de l’impasse actuelle en Syrie.

Du point de vue opposé, le 3 juillet, Newsweek a titré en une « La nouvelle guerre au Moyen-Orient ? » avec un sous-titre osé : « Le Hezbollah risque tout avec un combat en règle contre Israël ».

Écrit par Sulome Anderson, dont le père journaliste, Terry, avait été pris en otage par des miliciens chiites pendant la guerre civile libanaise, cet article n’est guère le premier à tenter d’esquisser le conflit potentiel du point de vue du Hezbollah. Anderson, comme ses prédécesseurs, suit un modèle familier avec des défauts non moins familiers.

Le problème avec le Hezbollah est qu’il s’agit d’une organisation très hiérarchique et secrète, surtout en ce qui concerne son aile armée. Cela ne devrait guère surprendre, compte tenu du fait que de nombreux pays considèrent le Hezbollah, ou une partie de celui-ci, comme une organisation terroriste.

Fanfarons anonymes

Chose étonnante, cependant, il semble que les journalistes étrangers ne rencontrent aucun problème pour dénicher des combattants du Hezbollah prêts à s’exprimer. Sans exception, ces derniers commencent par confier qu’ils ne sont pas autorisés à parler à la presse, mais sont prêts à le faire sous un pseudonyme ou sous le couvert de l’anonymat.

L’instant d’après, ils dissertent joyeusement sur tout ce dont ils ne sont pas censés parler. Le Hezbollah semble être une organisation-passoire.

Dans son article pour Newsweek, Sulome Anderson présente deux combattants du Hezbollah, deux commandants, un chef de division et un responsable qui, anonymement, professent les revendications les plus extraordinaires.

« Ce que le monde a vu du Hezbollah en 2006 représente 3 % de ce que nous sommes aujourd’hui », explique « Mustafa », un combattant. « Le Hezbollah dispose maintenant d’armes dont nous n’avions jamais osé rêver », affirme un « commandant » dans le sud de Beyrouth.

Les représentants du Hezbollah dans l’article sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? Et, s’ils le sont, que valent leurs affirmations ? Ne font-ils pas que fanfaronner ?

« Imaginez : en une heure, nous pouvons tirer 4 000 missiles », affirme son collègue, ajoutant que le Hezbollah peut toucher les infrastructures gazières d’Israël et possède des drones et des motos armés, ainsi que des missiles antiaériens.

Notez que dans la version originale de l’article, Anderson a confondu les missiles Burkan 1 avec les missiles Burkan Dwarf, plus modestes. C’était l’une des nombreuses erreurs signalées par Ali Kourani, qui a contraint Newsweek à publier un fastidieux rectificatif.

Pourtant, certaines des plus scandaleuses déclarations sont toujours là. « Tout le monde se battra, les femmes et les enfants prendront des couteaux », affirme l’un des « commandants ». Ceci est d’ailleurs répété par un « responsable du Hezbollah » disant : « Il est dans notre culture d’enseigner à nos enfants et aux enfants de nos enfants à se battre ».

Tout cela fait commodément le jeu du stéréotype israélien de l’Arabe sanguinaire qui sacrifie joyeusement ses propres enfants pour la bonne cause. Pourtant, le Hezbollah n’est pas connu pour envoyer des enfants en première ligne. En fait, ce genre de propos ne ressemble même pas au Hezbollah.

Le spectre des citations haut en couleur de Newsweek concernant les armes secrètes, les femmes, les enfants et les couteaux soulève plus de questions qu’il n’en résout. Les représentants du Hezbollah dans l’article sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ? Et, s’ils le sont, que valent leurs affirmations ? Ne font-ils pas que fanfaronner ? Est-il possible que les « commandants » cités ne commandent et ne savent que très peu de choses ?

Comme je l’ai dit, Sulome Anderson n’est guère la seule journaliste occidentale à ne rencontrer aucune difficulté pour trouver des « commandants » du Hezbollah prêts à s’exprimer. Par exemple, le 23 mars, The Nation s’est demandé : « Le Hezbollah et Israël se préparent-ils à la guerre ? »

« Nous disposons de gros missiles à longue portée, obtenus directement auprès des Russes, qui peuvent frapper n’importe où en Israël »

– Un commandant du Hezbollah cité dans The Nation

Dans l’article, nous faisons la connaissance de Samir, commandant du Hezbollah, « qui refuse de donner sa véritable identité parce qu’il n’est pas autorisé à parler à la presse ». Pourtant, il est heureux de déclarer que : « Nous disposons de gros missiles à longue portée, obtenus directement auprès des Russes, qui peuvent frapper n’importe où en Israël. »

Samir a refusé de montrer ces armes, « évoquant des questions de sécurité ». Selon lui, la guerre avec Israël n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais il est convaincu qu’il y aura une autre série de conflits à un moment donné.

Néanmoins, la guerre surviendra

Maintenant, ne vous méprenez pas. Je suis d’accord. Je ne pense pas que quiconque doté de bon sens ignore que de nouvelles hostilités surviendront entre Israël et le Hezbollah à un moment donné.

Pour plusieurs raisons. D’abord, Israël a sans doute l’impression qu’il n’en a pas fini avec son adversaire à la frontière nord. Ensuite, l’impasse actuelle en Syrie a attiré l’Iran trop près des frontières d’Israël. Et enfin, si jamais un assaut américain venait à être mené contre l’Iran, le Hezbollah devrait d’abord être neutralisé.

Des jeunes passent à côté de fausses roquettes du mouvement chiite Hezbollah, dans l’ancienne prison israélienne de Khiam qui a été détruite lors de la guerre de 2006, le 12 juillet 2016 dans le village de Khiam, dans le sud du Liban (AFP)

Je me demande simplement, surtout en ce qui concerne les armes du Hezbollah et la date de début possible de la guerre, si une analyse bancale basée sur des citations anonymes telles que celles de Newsweek ou The Nation apporte plus qu’un titre juteux.

Selon le responsable – anonyme – du Hezbollah cité dans Newsweek, la guerre commencera avant la fin de l’été. Eh bien, peut-être que oui, ou peut-être que non. Espérons que non. Mais, en guise d’avertissement, permettez-moi de vous rappeler la période précédant la guerre de 2006.

À l’époque, comme aujourd’hui, la plupart des gens des deux côtés de la frontière savaient que la guerre adviendrait à un moment ou à un autre. Israël avait mis fin à son occupation militaire du sud du Liban, mais il restait quelques problèmes en suspens avec le Hezbollah.

Et, comme aujourd’hui, la menace de l’aventurisme américain en Iran planait en arrière-plan.

Triplé pour la Coupe du monde ?

Pourtant, le déclenchement de la guerre a pris tout le monde par surprise. Le Liban en était encore à se remettre d’un mois de frénésie footballistique.

Le 9 juillet, l’Italie avait battu la France lors de la finale de la Coupe du monde. Trois jours plus tard, suite à un raid du Hezbollah à la frontière, la guerre totale avait commencé.

En ce qui concerne les capacités militaires du Hezbollah, la guerre avait également offert des surprises. La plupart des gens savaient que le Hezbollah s’était retranché dans des tunnels souterrains mais ont été étonnés par l’étendue des capacités défensives de ces tunnels. Peu de gens, et surtout les Israéliens, avaient prévu que le Hezbollah possédaient des missiles antichars et antinavires fortement améliorés.

Cette guerre brutale a duré 33 jours. Israël n’a pas réussi à briser la résistance du Hezbollah. Mais la « victoire » a coûté très cher. Plus de 1 500 personnes ont été tuées, dont 121 soldats israéliens, environ 500 combattants du Hezbollah et près de 1 200 civils libanais, tandis que les infrastructures du Liban en sont ressorties en ruines.

En 2006, la blague voulait que l’Italie fût à blâmer. Après tout, chaque fois que l’Italie est devenue championne du monde, Israël a envahi le Liban. Cela s’est produit en 1982. Et c’est arrivé en 2006.

Bien que personne ne sache si la prochaine série de combats entre Israël et le Hezbollah débutera avant la fin de l’été, une chose est sûre : le Liban deviendra très nerveux si l’Italie est couronnée championne du monde de la FIFA en Russie en 2018.

- Peter Speetjens est un journaliste néerlandais qui a vécu plus de vingt ans au Liban, voyage régulièrement en Inde et s’intéresse plus particulièrement au rôle qu’ont joué les auteurs du XIXe siècle dans la conception actuelle du monde.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des volutes de fumée s’élèvent le 6 août 2006 suite aux bombardements israéliens dans la banlieue sud de Beyrouth, un bastion du Hezbollah (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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