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Les plans de bataille pour Gaza montrent que l’armée israélienne s’enfonce dans l’immoralité

Le nouveau chef d’état-major de l’armée israélienne semble disposé à céder aux desiderata de l’opinion publique de droite
Le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, s’entretient avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou à Tel Aviv, le 15 janvier 2019, lors de sa prise de fonction (AFP)

Les plans de bataille pour une éventuelle invasion de Gaza ont été partiellement révélés : l’armée israélienne a élaboré une stratégie consistant à mener une campagne militaire de haute intensité visant à endommager les infrastructures civiles de la bande côtière et affaiblir le Hamas, sans toutefois l’empêcher de gouverner.

Alors que Gadi EizenkoT, le prédécesseur de l’actuel chef d’état-major de l’armée israélienne Aviv Kochavi, qui a présidé à l’assassinat de près de 200 manifestants palestiniens lors de la Grande marche du retour à Gaza, a été critiqué pour son attitude jugée trop gauchiste, il est clair que ce ne sera pas le cas de son successeur.

Eizenkot avait appelé à sanctionner le soldat Elor Azaria pour avoir exécuté un Palestinien blessé à Hébron, averti le gouvernement qu’une crise humanitaire à Gaza menacerait les intérêts israéliens et insisté sur le fait que les troupes israéliennes devaient user du minimum de force nécessaire pour empêcher les Palestiniens d’atteindre la barrière entre Gaza et Israël.

Kochavi, en revanche, semble disposé à céder aux desiderata des Israéliens de droite plutôt qu’à entretenir le mythe selon lequel l’armée israélienne serait « l’armée la plus morale au monde ».

Les nouveaux plans pour Gaza sont les derniers d’une série de mesures et de déclarations qui indiquent que le nouveau chef d’état-major guidera l’institution militaire israélienne sur la voie d’une plus grande violence.

« Tondre la pelouse »

Le premier élément en ce sens a été son discours inaugural, durant lequel il a déclaré qu’il renforcerait une armée « meurtrière ». Le second remonte à juin, quand il a été annoncé que Kochavi s’attendait chaque jour à des centaines de morts et de blessés dans les rangs de l’ennemi ainsi qu’à « une élimination physique agressive ». Et d’ajouter : « Une unité militaire sera nécessaire pour démontrer la destruction de plus de 50 % de la force ennemie : ceci est vrai tant pour le Liban que pour Gaza. »

En juillet, le nouveau chef d’état-major a nommé le brigadier général Ofer Winter à la tête de la 98e « Division de feu » de l’armée, que Kochavi a lui-même commandée par le passé.

Transformer Gaza en un champ de la mort sert également les intérêts des compagnies d’armement israéliennes, qui peuvent ainsi tester leurs armes, en plus de permettre aux soldats d’étancher leur soif de sang et de reprendre confiance en eux

Ofer Winter a une triste réputation. Snobé par Eizenkot pendant des années en raison de son agressivité excessive à l’égard des civils, il a présenté l’invasion de Gaza en 2014 comme une guerre de religion contre des Palestiniens « impies ». Winter était également en charge d’une attaque sur Rafah appelée « Black Friday ».

Ce n’est pas un hasard si la colère d’Aviv Kochavi semble se concentrer sur Gaza. Les généraux israéliens affectionnent l’expression « tondre la pelouse » quand il s’agit d’évoquer les attaques périodiques qu’ils mènent contre l’enclave, comme s’il s’agissait d’une mauvaise herbe qu’il fallait éradiquer (au prix de milliers de vies) pour éviter qu’elle ne devienne une menace pour la sécurité d’Israël.

Cela dit, transformer Gaza en un champ de la mort sert également les intérêts des compagnies d’armement israéliennes, qui peuvent ainsi tester leurs armes, en plus de permettre aux soldats israéliens d’étancher leur soif de sang et de reprendre confiance en eux.

Remonter le moral des troupes

En 2006, après l’invasion ratée du Liban, le moral des troupes israéliennes était au plus bas. En décembre 2008, Israël a lancé une attaque d’une durée de trois semaines contre Gaza, tuant plus de 1 400 Palestiniens. Alors que s’approchaient les élections législatives de février 2009, le gouvernement israélien voulait une victoire facile avec un minimum de pertes côté israélien.

Aujourd’hui, le moral de l’armée est à nouveau en berne, la résistance palestinienne non violente ayant forcé les troupes israéliennes à faire preuve de retenue. Les taux de recrutement sont tombés en deçà des 50 % ces dernières années, ce qui suggère que si le service militaire demeure obligatoire, les exemptions sont faciles à obtenir. Les recrues souhaitent un service « gratifiant », la possibilité de « se sentir hommes » et d’utiliser des armes mortelles.

Un Palestinien joue dans les décombres de sa maison, détruite par les forces israéliennes à Gaza pendant la guerre de décembre 2008 – janvier 2009 (AFP)
Un Palestinien joue dans les décombres de sa maison, détruite par les forces israéliennes à Gaza pendant la guerre de décembre 2008 – janvier 2009 (AFP)

Alors que les médias de droite présentent les soldats qui s’abstiennent d’ouvrir le feu sur des civils comme subissant une « humiliation », de nombreux soldats ont exprimé leur solidarité avec Elor Azaria, lequel a désobéi aux ordres et tué un homme sans défense, tout en affichant du mépris pour Eizenkot, qui a refusé de le disculper. Certains soldats ont fait état de leur frustration sur les réseaux sociaux après avoir reçu l’ordre de ne pas utiliser la force mortelle contre des manifestants palestiniens.

Avihai Stollar, chercheur dans les domaines de l’armée et des droits de l’homme, a mis en lumière les terribles blessures infligées aux Palestiniens le long de la barrière de Gaza, causant de lourds handicaps, si ce n’est la mort.

Il explique que les tireurs d’élite israéliens sont équipés de deux types de fusils et qu’en choisissant d’utiliser une arme de longue portée depuis une courte distance, ils pouvaient volontairement engendrer des blessures et une douleur excessives aux manifestants non armés.

En manque d’action

Chaque commandant militaire apprend que victoire et défaite sont des termes relatifs, mesurés à l’aune des objectifs stratégiques fixés au début du conflit. Il est donc remarquable que les plans de bataille de Kochavi manquent d’objectifs stratégiques. Il n’y a là aucune volonté de rétablir un contrôle direct sur Gaza ou de renverser le Hamas. Ces plans visent une incursion rapide, qui sème la mort et détruit tout sur son passage, suivie d’un retrait tout aussi rapide.

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Je soupçonne deux objectifs non déclarés : tester de nouvelles armes et restaurer la discipline au sein de l’armée.

Chaque attaque contre Gaza sert en effet de vitrine pour les entreprises d’armement israéliennes qui mettent ainsi en valeur leurs technologies. De fait, Aviv Kochavi a déclaré aux médias qu’une partie de ses nouveaux plans de bataille pour Gaza incluait l’achat de nouvelles armes.

Plus important encore, donner aux jeunes recrues l’occasion de participer à une opération militaire sanglante – même si elle est unilatérale – est crucial pour maintenir l’ordre au sein d’une armée indisciplinée et en manque d’action telle que l’est l’armée israélienne.

- Shir Hever est membre du conseil d’administration de Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Shir Hever is a board member of the Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East.
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