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L’exceptionnalisme américain n’est plus acceptable

La menace de sanctions contre les enquêteurs de la Cour pénale internationale ne fera qu’affaiblir davantage le soft power américain
Le président américain Donald Trump s’exprime à Washington, le 17 juin (AFP)
Le président américain Donald Trump s’exprime à Washington, le 17 juin (AFP)

L’Iran a émis un mandat d’arrêt à l’encontre du président américain Donald Trump et de plusieurs dizaines de personnes soupçonnées d’être impliquées dans la frappe de drone qui a tué le général iranien Qassem Soleimani au mois de janvier. 

Selon des propos attribués au procureur iranien, l’Iran aurait demandé qu’une « notice rouge » soit émise par Interpol à l’encontre de Trump et de 36 personnes. Il s’agit du plus haut niveau de demande d’arrestation diffusée par Interpol.

Cette initiative sera sans aucun doute ignorée à Washington, en dépit du fait que les actes perpétrés en janvier par les Américains sur le sol irakien ressemblaient à tous égards à un assassinat extrajudiciaire d’un haut responsable gouvernemental.

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Au cours de l’histoire, il y a eu des nations et des peuples exceptionnels. La Suisse n’a jamais importuné une autre nation, ni sermonné quiconque sur les politiques à suivre. Elle s’est toujours occupée de ses affaires, créant une société très admirée et enviée.

Au vu des désastres infligés à l’humanité par d’autres nations, la Suisse mérite pleinement ce titre de nation exceptionnelle. Pourtant, ce n’est pas la Suisse qui est perçue mondialement comme telle, mais les États-Unis d’Amérique. 

Au cours du XXe siècle, les États-Unis sont devenus le guide du monde libre, apportant une formidable contribution à la victoire contre le totalitarisme fasciste et nazi ainsi qu’une contribution indispensable dans l’effondrement du régime communiste soviétique. Ils ont créé et imposé les règles de l’ordre international actuel, offrant un séduisant modèle de société libre et ouverte façonnée par l’économie de marché, visant la croissance et le progrès. 

Il y a à peine trente ans, après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, le succès américain semblait tel qu’un théoricien politique a été jusqu’à suggérer que « l’histoire était terminée ». Mais malheureusement, depuis la fin de la guerre froide, le soft power américain – sa capacité à être source d’inspiration par l’exemple – a beaucoup perdu de son attrait originel. 

Les manifestations qui font désormais rage après le meurtre de George Floyd montrent que – malgré la guerre civile – ce pays n’a pas totalement pris en compte l’un de ses péchés originels : la discrimination raciale

Sous Bill Clinton, déjà le déclin

Le déclin avait déjà débuté sous l’ancien président Bill Clinton, qui avait souscrit à un multilatéralisme sélectif dirigé unilatéralement par Washington, comme l’ont montré la sanglante crise des Balkans, l’échec du processus de paix au Moyen-Orient, le génocide au Rwanda et la guerre illégale au Kosovo.

Clinton a également encouragé la dérégulation financière, ce qui a provoqué par la suite un désastre économique et la généralisation des inégalités. 

L’ancien président George W. Bush a adopté une approche encore plus unilatérale, reposant sur une politique « avec nous ou contre nous » suite au 11 septembre, ouvrant la voie à des guerres sanglantes et sans fin dans tout le Moyen-Orient. Sous sa garde, le modèle néolibéral américain tant vanté s’est effondré avec la crise financière de 2008. 

Son successeur, Barack Obama, a essayé d’arrondir les angles, de récupérer un peu de soft power perdu – mais la politique américaine a davantage évolué en parole plutôt qu’en actes, et les guerres sans fin se sont poursuivies, ajoutant le désastre libyen aux désastres en Irak et en Afghanistan.

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L’administration Obama a signé l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, mais allant à l’encontre de l’ONU, n’a pas aboli les sanctions, handicapant cet accord historique dès le départ. 

Depuis 2017, le président américain Donald Trump poursuit les politiques de Bush en les dopant aux stéroïdes, mettant les États-Unis en décalage avec le reste de la communauté internationale et l’ordre du monde reposant sur des règles établies.

Tandis qu’il s’efforçait de « rendre sa grandeur à l’Amérique », les contradictions internes, le modèle économique non réformé et les polarisations culturelles ont explosé, en grande partie – mais pas uniquement – à cause d’une pandémie de coronavirus gérée d’une manière désastreuse.  

Les manifestations qui font désormais rage après le meurtre de George Floyd montrent que – malgré la guerre civile et le mouvement pour les droits civiques – ce pays n’a pas totalement pris en compte l’un de ses péchés originels : la discrimination raciale.

L’impression générale est que les États-Unis ne sont plus la plus grande nation au monde, et il n’est pas certain que son « exceptionnalisme » soit toujours justifié.

L’administration Trump ne semble quant à elle ne pas douter le moins du monde d’être toujours supérieure à toutes les autres nations.

Le raisonnement politique qui a conduit le guide du monde libre à considérer un tribunal international comme une menace pour sa sécurité nationale est au-delà de toute compréhension rationnelle

La Cour pénale internationale (CPI) a récemment ouvert une enquête sur les allégations de crimes de guerre commis en Afghanistan depuis 2003.

Les États-Unis ont réagi par un décret présidentiel, publié le 11 juin, stipulant que toute tentative de la part de la CPI de poursuivre du personnel américain sans le consentement des États-Unis, ou le personnel de pays alliés (vraisemblablement Israël), « constitue une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis ». Ce décret prévoit des sanctions contre tout individu impliqué dans l’enquête de la CPI. 

L’accusation américaine selon laquelle l’enquête de la CPI est motivée par des considérations politiques et l’assertion selon laquelle, n’étant pas membre de la CPI, les États-Unis ne peuvent être soumis à sa juridiction, sont des arguments faibles. L’enquête ne vise pas seulement la mauvaise conduite des troupes américaines mais également celle des talibans et des forces de sécurité afghanes. 

De plus, le statut de la CPI permet d’engager des poursuites pour les crimes commis par des citoyens d’États non signataires s’ils se produisent sur le territoire d’un État qui reconnaît la juridiction de la cour. 

Le raisonnement politique qui a conduit le guide du monde libre, de la démocratie et de l’État de droit à considérer un tribunal international chargé d’enquêter sur des crimes terribles comme une menace pour sa sécurité nationale est au-delà de toute compréhension rationnelle.

Leadership moral

Le plus triste, c’est que ce point de vue bénéficie d’un incroyable consensus bipartite à Washington – une attitude comparable à un match de foot où seule l’une des deux équipes doit se plier aux décisions de l’arbitre.

Avec des centaines de milliers de soldats déployés à travers le monde, l’argument américain pourrait sembler plus compréhensible si le gouvernement américain ne faisait pas deux poids, deux mesures, demandant que sa juridiction s’applique universellement. 

Washington prétend que ses sanctions unilatérales contre l’Iran doivent être respectées par le monde entier, et à cette fin, impose des sanctions secondaires à quiconque enfreint cette exigence – une position incompatible avec le droit international.

L’un des exemples les plus frappants est l’arrestation au Canada en 2018 de la ressortissante chinoise Meng Wanzhou, fille du fondateur de Huawei, soupçonnée de violer les sanctions américaines de l’Iran. 

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Si les États-Unis n’aiment pas l’Iran et ses politiques, ils ont le droit de prendre des mesures à leur encontre, mais ils ne peuvent pas imposer que tous les autres États suivent leur ligne politique sous peine de s’exposer à des sanctions.

Le statut de la CPI a été ratifié par 123 États, les deux tiers de la communauté internationale. La cour a l’intention louable, mandatée par l’ONU, d’engager des poursuites contre les horreurs telles que les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. 

Les États-Unis sont-ils tellement exceptionnels, tellement infaillibles, qu’ils ne peuvent tolérer la moindre critique de leur conduite et de leurs politiques ?

Il est difficile de comprendre pourquoi une grande démocratie comme les États-Unis s’inquiéteraient de l’activité de la cour et déciderait de la sanctionner. Quand les élites politiques américaines comprendront-elles qu’un tel comportement ne peut que nuire un peu plus à leur soft power déclinant et alimenter le ressentiment vis-à-vis de leur nation ?

Les États-Unis sont-ils tellement exceptionnels, tellement infaillibles, qu’ils ne peuvent tolérer la moindre critique de leur conduite et de leurs politiques ? Toute nation qui prétend détenir le leadership moral, et a confiance en elle, ne doit pas menacer ses alliés et partenaires pour obtenir leur soutien.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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