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L’hypocrisie des médias occidentaux dans la couverture du militantisme kurde

Se servir des atrocités d’autrefois et d’aujourd’hui comme d’une excuse pour justifier ou ignorer le terrorisme kurde ne fait que mettre de l’huile sur le feu

Lorsqu’il s’agit des divers mouvements nationalistes et séparatistes kurdes, la majorité des grands médias et des hommes politiques occidentaux semblent adopter la devise des singes de la sagesse : « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ». La plupart des gens sont pleinement et parfaitement conscients de ce que les médias rapportent comme des « faits » à propos des déplacements forcés, des dépossessions et des meurtres de Kurdes perpétrés par les régimes arabes en Syrie et en Irak, en Turquie et, plus rarement, en Iran.

On dépeint souvent les barbares fascistes arabes et turcs s’acharnant sur un peuple innocent et sans défense et s’efforçant de les éliminer de la surface de la terre. En un sens, ce récit fait écho à l’histoire racontée par Israël sur la façon dont un bastion d’innocence risque d’être souillé par des hordes d’Arabes sauvages. Cependant, comme la plupart des choses que nous entendons et voyons dans les médias traditionnels, ces histoires ont, au mieux, un lien plutôt ténu avec la réalité.

À une époque obsédée par l’idée d’État-nation – incarnée d’abord par la Société des nations puis par son successeur, les Nations unies – qui préconise (de manière sélective) l’autodétermination nationale, ce récit est sans doute attrayant. Les Kurdes sont considérés comme un autre genre d’« Autre » pour les Arabes, lesquels sont souvent dépeints comme un peuple arriéré et misogyne alors que les Kurdes sont vus comme émancipant leurs femmes et s’opposant, comme une sorte de « bon sauvage », aux barbares arabisés du groupe État islamique (EI).

Cette image est presque toujours accolée aux crimes susmentionnés commis par les gouvernements dont dépendent les Kurdes. À la lumière de tous ces crimes et calamités infligés aux Kurdes, ainsi que de leur lutte « ultime » contre le groupe EI, qu’y-a-t-il de mal alors à ce que le peuple kurde s’unisse, se taille son propre territoire et se gouverne ?

En tant qu’Irakien d’ascendance arabe, kurde et turkmène, cette rhétorique ethno-nationaliste m’a toujours déconcerté. Après tout, si ces clivages ethniques étaient réels et non un élément de ces « communautés imaginaires » très contemporaines et forgées à partir du nationalisme européen exporté au Moyen-Orient, je ne serais pas là à écrire cet article aujourd’hui.

Cependant, ce qui me déconcerte encore davantage, c’est la façon dont les crimes arabes et turcs à l’encontre des Kurdes sont mis en avant, sans contexte rappelant la coexistence d’autrefois ou la façon dont ces crimes ont été encouragés par l’ordre établi par l’Occident après la Première Guerre mondiale. En outre, lorsque les Kurdes eux-mêmes commettent des actes de terrorisme, de nettoyage ethnique et de violence sexuelle à l’encontre des membres d’autres groupes ethniques, ils sont comme par hasard passés sous silence ou même justifiés comme une sorte de vengeance contre la brutalité des dictatures et maintenant du groupe EI.

Est-ce que le terrorisme du groupe EI justifie le terrorisme envers les Turcs, les Arabes et les autres ? Est-ce que la violence sexuelle à l’encontre des yézidies kurdes justifie l’enlèvement et les abus sexuels des femmes arabes ? Est-ce que le nettoyage ethnique des gouvernements et des régimes précédents justifie le nettoyage ethnique des Arabes et des Turkmènes dans leurs maisons et villages ancestraux ? Bien sûr que non, mais il serait difficile de trouver un article sur ce sujet précis dans la plupart des médias occidentaux.

En traitant l’information de manière irresponsable et en étant probablement même de connivence avec les gouvernements occidentaux et leurs divers plans et projets pour le Moyen-Orient (savoir si cette collusion est volontaire ou involontaire est une tout autre affaire), ces médias et spécialistes alimentent le sentiment selon lequel les populations arabes et turques locales sont en quelque sorte semblables au groupe EI et aux régimes brutaux du Moyen-Orient.

Il ne s’agit pas de prendre à la légère les crimes racistes que les régimes, pour la plupart soutenus par l’Occident, ont commis contre les Kurdes. La République turque a un long passif de discrimination à l’égard de la minorité ethnique kurde, interdisant à cette dernière d’utiliser sa propre langue et allant jusqu’à laisser le champ libre aux mouvements turcs ultra-nationalistes, tels que les « Loups gris » qui n’ont pas seulement tué des terroristes séparatistes, mais ont terrorisé les Kurdes qui n’avaient rien à voir avec eux.

En Syrie, le régime d’Assad a lui aussi interdit l’utilisation des différentes langues kurdes (on ignore généralement le manque d’homogénéité entre les Kurdes eux-mêmes), les a isolés économiquement, et leur a généralement rendu la vie difficile.

En Irak, le recours à la force aveugle a réduit au silence les séparatistes et ceux qui les soutenaient – ce qui n’a pas endigué le nationalisme extrémiste kurde, mais l’a renforcé. Cela dit, l’un des premiers dictateurs irakiens était le général Bakr Sidqi, un Kurde qui a pris le pouvoir en 1936, après avoir massacré des milliers de civils assyriens. Le fait qu’il était à la fois kurde et meurtrier de masse n’est généralement pas mentionné en Occident.

Actuellement, les guerres en Irak et en Syrie, qui ont été laissées de côté par les médias au profit de la lutte contre le groupe EI, ont permis aux séparatistes kurdes de faire de grands progrès. En Irak, dès que les combats contre les forces de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki ont commencé, les peshmergas kurdes se sont empressés d’engloutir par la force les terres qu’ils prétendent leur appartenir, sous couvert de les protéger du groupe EI.

Ils ont annexé Kirkouk de force à la région sous contrôle kurde, dont Massoud Barzani a toujours déclaré vouloir amputer l’Irak, tout en prétendant encore être « irakien », ironiquement. Lorsque le groupe EI a commencé à attaquer les peshmergas et les yézidis, mêlant ainsi les États-Unis au conflit, les miliciens de ces communautés ont été salués comme des héros alors qu’ils procédaient au nettoyage ethnique de villages tels que Makhmour et Buhanaya, éliminant leur population arabe et violant leurs femmes, et n’épargnant même pas les Turkmènes au passage.

Les terroristes de gauche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de ses organisations sœurs le PYD et les YPG en Syrie ont conclu une entente avec le régime d’Assad qui avait brutalisé les Kurdes pendant plusieurs dizaines d’années plutôt que de s’allier avec les rebelles modérés. Les forces d’Assad se sont retirées des régions de peuplement kurde et, en échange, les Kurdes ne se sont pas engagés dans l’Armée syrienne libre et d’autres groupes rebelles syriens multi-ethniques. Quand le groupe EI a fait son entrée sur scène et a commencé à attaquer Aïn al-Arab (Kobané), les journaux occidentaux regorgeaient d’histoires rapportant le courage des forces kurdes, tout en ignorant ou évoquant rapidement leurs atrocités contre les Arabes et les Turkmènes vivant dans le nord de la Syrie.

Il semble que la plupart des analystes s’acharnent à dénigrer les gouvernements régionaux plutôt qu’à rapporter avec précision les crimes des deux parties ou bien leurs actions de réconciliation. Bien que le gouvernement turc ait lancé un processus de paix avec les Kurdes qui a permis au HDP affilié au PKK de franchir le seuil parlementaire de 10 %, les médias diabolisent les Turcs et permettent aux séparatistes kurdes de continuer à jouer la carte de la victime.

La reprise du conflit entre le gouvernement turc et le PKK est désormais présentée comme un conflit politique, plutôt qu’un échec du processus de paix dû au refus des terroristes du PKK de déposer les armes. Le problème ne se cantonne pas aux médias : je n’ai pas encore entendu un seul haut responsable politique occidental condamner le nettoyage ethnique, les viols et les destructions gratuites perpétrés par les Kurdes.

Se servir des atrocités d’autrefois et maintenant de l’État islamique comme d’une excuse pour justifier ou ignorer le terrorisme kurde ne fait que mettre de l’huile sur le feu et favoriser la méfiance envers les intentions occidentales. Cela envoie aussi le message effrayant qu’il est acceptable qu’un groupe se livre à des activités terroristes, tant qu’il n’entre pas en conflit avec les intérêts occidentaux et n’est en aucune façon lié à l’islamisme.

En d’autres termes, l’ethno-nationalisme est bon, même s’il est impliqué dans le terrorisme, tandis que l’islamisme est mauvais, même s’il est modéré et pacifique, comme celui des Frères musulmans égyptiens. Nous savons tous ce qui leur est arrivé.

– Tallha Abdulrazaq est chercheur à l’Institut de sécurité et de stratégie de l’université d’Exeter. Il a été récompensé par le Young Researcher Award de la chaîne Al Jazeera. Vous pouvez consulter son blog à l’adresse thewarjournal.co.uk et le suivre sur Twitter (@thewarjournal).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un membre du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) bloque une route de Cizre, dans le sud de la Turquie, près de la frontière syrienne, le 27 décembre 2014 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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