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Palmyre et propagande : le dernier jeu d’Assad

À l’heure où Assad reçoit de nombreuses félicitations au sujet de Palmyre, n’oublions pas les dégâts causés par son armée à des sites du patrimoine dans toute la Syrie, et le rôle qu’il a joué dans la formation de l’EI

Les régimes brutaux aiment les gants de velours. L’Égypte a des plages, des dromadaires et des pyramides. La Chine, des pandas. La Russie, des femmes séduisantes emmitouflées de fourrures. Voilà ce que les dictateurs aiment voir sur nos écrans de télévision pour détourner l’attention de leur iniquité.

Palmyre fait partie de la machine de propagande du président Bachar al-Assad. Il a soigneusement orchestré la reconquête du site antique inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO pour nous donner l’impression qu’il s’intéresse sincèrement à l’histoire de la Syrie.

Les actualités syriennes officielles sont actuellement monopolisées par des comptes rendus de conversations entre ministres qui se félicitent de la reprise victorieuse de la « Perle du désert ».

On nous a montré des photos des dégâts dans le musée local qui seraient dus au groupe militant État islamique (EI) – une invitation à vitupérer contre les méchants et à saluer à la cantonade la victoire d’Assad. Un site d’informations russe a déjà annoncé que le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg aiderait à restaurer Palmyre.

Assad lui-même aurait déclaré que « Palmyre sera restaurée de nouveau afin qu’elle demeure un héritage et un trésor culturel pour le monde entier. »

Alors nous nous exclamons et nous applaudissons, en compagnie de personnalités comme le maire de Londres, Boris Johnson, qui est manifestement attaché à Palmyre – et à juste titre. Il a félicité Assad pour sa victoire contre l’EI. Le président en costume, avec ses chaussures bien cirées, a triomphé des barbus armés jusqu’aux dents du nord de la Syrie où règne l’anarchie.

Il est indubitable qu’une partie du personnel de la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie se préoccupe profondément du site et de l’héritage vieux de plusieurs millénaires qui repose dans cette partie du Croissant fertile. Les riches collections des musées syriens ont été mises en caisses pour les abriter des bombes barils de l’armée qui font pleuvoir du ciel des débris mortels. Dans la citadelle d’Alep qui date du XIIIe siècle et qui est sous contrôle de l’armée, les bas-reliefs ont été protégés par des sacs de sable pour éviter qu’ils ne se fissurent sous les tirs des rebelles.

Khaled Assaad, l’archéologue respecté, est mort pour la cause. L’EI l’a décapité alors qu’il avait refusé de révéler où les œuvres d’art de Palmyre avaient été cachées.

Mais la Perle du désert n’est réellement qu’un pion de plus dans le jeu d’Assad. Lui et ses soldats s’en moquent.

Pourquoi s’en soucieraient-ils, alors qu’ils ont eux aussi contribué à la destruction de Palmyre, ainsi que d’autres sites classés par l’UNESCO ? Pourquoi, alors qu’ils ont bombardé les caravansérails de la Syrie, ses souks, ses hammams et ses maisons datant de l’époque ottomane, restaurées avec tant de soin avant le conflit ?

Des sociétés archéologiques avaient signalé des dégâts considérables à Palmyre avant mai 2015, date à laquelle les soldats de l’EI s’y étaient installés.

Un rapport de l'ONU de 2014 constatait que des bermes, des talus et des routes militaires avaient été édifiés sur le site, avec de la terre entassée pour protéger les tanks et l’artillerie lourde.

Il existe de nombreuses preuves que le musée et les ruines ont été pillés pendant qu’ils étaient sous le contrôle des troupes du régime syrien, avant que l’EI ait pris la relève : des archéologues et des activistes locaux ont mentionné des bustes volés et des chambres vidées.

Un archéologue syrien a déclaré cette semaine que Palmyre courait toujours un grand danger sous Assad, à cause des risques de pillage par l’armée syrienne. Les dégâts qu’ils ont occasionnés durant leur occupation ont entraîné la perte d’œuvres d’art et d’informations au moins aussi importants que la perte du temple de Baal sous l’EI.

C’est l’opinion que partage un autre Syrien de l’opposition que j’ai contacté cette semaine : « La destruction du patrimoine syrien par le régime est comparable à celle de Daech » (l’EI). Seulement, ils ne la filment pas.

À Alep, l’une des plus vieilles villes du monde, les bombardements aériens et les fusillades ont complètement dévasté plusieurs sites du patrimoine.

Le même rapport de l’ONU concluait qu’un cinquième des sites du patrimoine pouvant être identifiés sur des photos aériennes avaient été entièrement détruits. Des séquences vidéo ont montré des hammams et des mosquées vieux de plusieurs siècles réduits en poussière. De nombreuses personnes accusent les tanks du régime de la destruction du minaret de la Grande Mosquée de la ville, qui s’est écroulé au cours d’un combat en 2013.

Les groupes rebelles sont évidemment en partie coupables des dommages subis par le patrimoine : personne n’est innocent dans la guerre, et à Alep les observateurs rendent les deux partis responsables d’une part des dégâts. Cela ne supprime pas le rôle joué par Assad. Il se pose en défenseur du patrimoine de la Syrie pour le futur, mais ses affirmations se réduisent à néant comme la ville d’Alep, brisée et blessée dans le sillage de son armée.

Le régime du parti Baas syrien n’a pas la réputation de montrer beaucoup d’intérêt pour la conservation historique. En dépit des vaillants efforts du Département des antiquités et des musées, les revenus du ministère du Tourisme n’ont pas été consacrés à améliorer l’infrastructure des sites archéologiques, mais à des futilités comme des spectacles de danse promotionnels.

De nombreux Syriens m’ont confié en privé que la famille Assad ne s’intéressait pas à l’histoire de la Syrie. Ils se sont plaints du manque d’entretien et d’investissement dans le domaine des attractions culturelles.

Un journaliste syrien bien informé m'a déclaré un jour : « Le régime ne se préoccupe pas de l’histoire de la Syrie. Ils ne s’en sont jamais préoccupés. »

Assad est donc en train d’exploiter le respect tacite pour la splendide, ancienne Palmyre en vue d’obtenir un appui pour sa campagne militaire et de persuader l’Occident qu’il incarne le moyen de vaincre l’EI. D’ailleurs, Assad a inséré dans sa triomphante déclaration de victoire une pointe de sarcasme envers la coalition dirigée par les États-Unis et son « manque de sérieux dans la lutte contre le terrorisme ».

N’oublions pas le rôle que le régime du parti Baas a joué en contribuant à la formation de l’EI.

Le livre de Michael Weiss et Hassan, EI : Au cœur de l’armée de la terreur documente bien ces liens – mentionnant notamment les futurs dirigeants du mouvement qu’Assad a libérés de la prison de Sednaya au tout début du soulèvement populaire. Sa stratégie consistait à relâcher des terroristes pour donner l’impression que les adolescents, les enfants, les vieilles femmes et les travailleurs qui descendaient dans les rues pour demander la démocratie faisaient en fait partie d’une insurrection islamiste et qu’il fallait les tabasser et leur tirer dessus pour les maîtriser.

Et ça n’est pas tout : la semaine dernière, un tribunal américain a statué que le régime syrien avait favorisé la montée en Irak d’Al-Qaïda, le précurseur de l’EI, et contribué au triple attentat à la bombe dans des hôtels d’Amman en 2005 au cours duquel 57 personnes furent tuées. Les États-Unis ont également pris des sanctions à l’égard de l’homme d’affaire Georges Haswani, accusé de servir d’intermédiaire entre le régime syrien et l’EI pour conclure des accords pétroliers.

Tout au long des cinq années de conflit, les frappes aériennes des forces d’Assad et de ses alliés ont laissé l’EI remarquablement, étonnamment intact. Monsieur le Président ne s’emploie pas à sauver la Syrie et ses sites antiques. Il les détruit à petit feu, et alimente l’EI.

Tout bien pesé, Palmyre gagne probablement au change avec le régime : maintenant au moins, les conservateurs du site peuvent revenir. Mais gardons-nous de voir dans ce changement un signe de la volonté d’Assad de sauvegarder l’histoire et les sites archéologiques de la Syrie, ou de sa puissance militaire. Il compte sur la Russie pour fournir des armes et des avions. Et le patrimoine ? Il a été terriblement utile à Assad pour manipuler l’opinion publique. C’est comme les pandas et les pyramides : gant de velours et propagande.

Photo : une photo d’ensemble prise le 27 mars 2016 montre le théâtre de l’antique ville syrienne de Palmyre (AFP).

- Lizzie Porter est une journaliste freelance spécialisée dans l’actualité à l’étranger, en particulier le Moyen-Orient et l’Afrique. Elle s’intéresse particulièrement au patrimoine culturel, aux populations déplacées, aux femmes et aux problèmes sociaux. On peut la suivre sur Twitter: @lcmporter

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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