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Pourquoi il faut créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient 

La tension qui ne cesse de monter entre les États-Unis et l’Iran pourrait avoir des répercussions dans toute la région
De la fumée s’élève d’un pétrolier attaqué dans le Golfe d’Oman, le 13 juin (AFP)

Cet article est le premier d’une série sur le thème : « Pourquoi il faut créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient »

La situation tendue dans le Golfe risque de dégénérer en conflit majeur. Du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien et sa politique de pression maximale, aux pétroliers arraisonnés et drones militaires abattus, les répercussions pourraient se faire sentir dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient.

Il y a un siècle, une dynamique similaire d’escalade et de stratégie de la corde raide faisait plonger l’Europe dans la Première Guerre mondiale. Comme aujourd’hui, personne ne prétendait vouloir la guerre. Tous étaient confiants dans leur capacité à gérer les tensions, mais un conflit désastreux s’en est néanmoins suivi. 

Comme l’a dit le philosophe Georg Hegel : « L’histoire et l’expérience enseignent que les peuples n’ont absolument rien appris de l’histoire. » À voir le calibre, le tempérament ou la sagesse de certains dirigeants, l’avenir qui s’ébauche semble sombre.

Confrontation plus large

La crise du Golfe est le point culminant d’une confrontation plus large qui englobe le Moyen-Orient depuis des décennies. Pourtant, il existe une théorie complètement fausse selon laquelle le comportement de l’Iran est « une source de friction constante dans la région » ou que « la stabilité et la sécurité ne seront pas véritablement possibles tant que l’Iran ne fera pas marche arrière ». 

En réalité, comme l’a brillamment fait remarquer un analyste, le principal allié des États-Unis dans le Golfe – l’Arabie saoudite – a lancé une guerre dévastatrice au Yémen, impose un embargo contre l’État voisin du Qatar, a « tenté d’extorquer la démission » du Premier ministre libanais, et a brutalement assassiné le journaliste dissident Jamal Khashoggi. Dans le même temps, Israël, le principal allié des États-Unis dans la région, se vante d’avoir tué des Iraniens en Syrie au cours des deux dernières années.

Comment les dirigeants iraniens peuvent-ils coopérer lorsque des messages aussi contradictoires sont émis par Washington ? 

Sommes-nous vraiment sûrs que l’Iran est le seul à devoir faire marche arrière ?

L’administration américaine poursuit maintenant trois politiques différentes à l’égard de l’Iran. D’abord, le président Donald Trump prétend vouloir renégocier l’accord sur le nucléaire tout en appliquant des sanctions dures qui pourraient friser l’acte de guerre

Deuxièmement, le secrétaire d’État Mike Pompeo a exprimé son intention de changer le comportement de l’Iran par le biais du plan en 12 points publié l’an dernier. 

Troisièmement, le conseiller à la sécurité nationale John Bolton appuie ces politiques seulement dans la mesure où elles aideront à atteindre son objectif ultime de changement de régime.

L’objectif de Trump pourrait être atteint par une politique différente, car l’Iran n’est pas seulement un négociateur habile et coriace. Il devient également moins conciliant lorsqu’il est mis sous pression. Le plan en douze points de Pompeo est irréaliste. En fin de compte, le comportement de l’Iran ne peut être modifié qu’en changeant son régime. Pourtant, pour atteindre l’objectif de Bolton les États-Unis seraient obligés de lancer leur troisième guerre au Moyen-Orient en moins de trente ans, après celles de 1991 et 2003 contre l’Irak. 

Politiques contradictoires

Le problème est qu’il n’y a plus de processus ordonné à Washington pour formuler et mettre en œuvre des politiques. Comme l’a magistralement résumé le doyen des experts américains sur l’Iran, Gary Sick, la politique américaine vis-à-vis de l’Iran donne le vertige. 

L’Iran a aidé les États-Unis à vaincre le régime taliban en 2001 après que ce dernier a abrité Oussama ben Laden et al-Qaïda avant et après le 11 septembre.

Aujourd’hui, le gouvernement américain prétend avoir l’autorisation de frapper l’Iran à volonté, car il a temporairement abrité certains membres d’al-Qaïda lors de l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Dans le même temps, les États-Unis sont en train de finaliser un accord avec les talibans.

Bien qu’une grande nation ayant des responsabilités mondiales, comme les États-Unis, puisse temporairement être contrainte d’adopter des politiques contradictoires, cette situation devient désormais un état de choses permanent et dangereux. Comment les dirigeants iraniens peuvent-ils coopérer lorsque des messages aussi contradictoires sont émis par Washington ? 

Le président américain Donald Trump et le président iranien Hassan Rohani (AFP)

L’Iran a jusqu’à présent adopté une politique stratégique de patience à l’égard de ce chaos américain (potentiellement délibéré), mais il a peut-être parié sur le mauvais cheval : l’Europe. Téhéran pensait naïvement que l’Europe allait lui permettre de continuer à profiter des avantages de l’accord sur le nucléaire malgré le retrait des États-Unis. Elle s’aperçoit désormais que l’UE, en raison de son processus décisionnel lent et complexe, a fait trop peu, trop tard avec son mécanisme INSTEX pour vaguement contourner les sanctions américaines.  

Alors que les tensions montent, il n’est pas certain que l’Europe continue de maintenir une position différente de celle des États-Unis. Y compris avant l’arrivée de Boris Johnson au 10 Downing Street, l’arraisonnement par les Britanniques d’un pétrolier iranien au large de Gibraltar signalait le changement de position de Londres, tout comme le fait que le Royaume-Uni exhortait ses partenaires de l’UE à se joindre à une dangereuse mission navale pour escorter des pétroliers dans le Golfe.

Aujourd’hui, le Royaume-Uni est devenu le premier pays européen à annoncer publiquement son intention de rejoindre ce qui est présenté comme une « mission internationale de sécurité maritime » potentiellement dangereuse menée par les États-Unis dans la région.

Une épreuve de force se profile

En attendant, Téhéran semble être à court de patience. L’Iran a assoupli son respect de certaines limites concernant l’enrichissement de l’uranium fixées par l’accord nucléaire, et a l’intention de redémarrer les activités au réacteur nucléaire à eau lourde d’Arak. La politique de pression maximale des États-Unis semble avoir atteint l’exact opposé de ses objectifs déclarés.

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Une épreuve de force majeure se profile à l’horizon, mais elle peut être évitée.

Il est temps de créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient pour faire face aux principaux griefs sur la table.

Un tel système devrait être bâti sur le principe de réalisme et des véritables intérêts des pays de la région, plutôt que sur les hardet soft powersdéclinants des puissances mondiales, qui présentent des problèmes croissants quand il s’agit pour eux d’agir en tant que médiateurs honnêtes. 

Téhéran a fait une proposition de ce type au printemps 2003, mais Washington l’a ignorée.

Il est peut-être temps de la reconsidérer. Ce n’est pas la première fois que des propositions aussi ambitieuses sont présentées : la Russie vient intelligemment d’en proposer une, bien que limitée au Golfe.

Compte tenu de l’ampleur de la menace, il est nécessaire d’avoir de vastes ambitions.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a fait partie du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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