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Pourquoi la nomination de Barham Saleh à la présidence est une bonne nouvelle pour l’Irak

Le nouveau président irakien est un politicien raffiné et expérimenté qui ne connaît que trop bien les complexités et les lacunes de l’Irak

Le 2 octobre, le Parlement irakien a nommé Barham Saleh, un homme politique kurde, en tant que nouveau président de la république. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le pays et pour la région.

Saleh est un politicien raffiné et expérimenté qui s’implique sans relâche dans la promotion du dialogue et de la coexistence. Il connaît les complexités et les lacunes de son pays, les intérêts composites de ses voisins et sait comment s’adresser à la communauté internationale pour préserver son soutien à l’Irak.

La formation du tandem entre le nouveau président et le nouveau Premier ministre pourrait être l’un des événements porteurs d’espoir que l’Irak attend depuis trop d’années

Bien que les dispositions de la Constitution irakienne limitent ses pouvoirs, le nouveau président, par son autorité, renforcera sans l’ombre d’un doute la légitimité de la présidence dans la politique irakienne. Il convient également d’espérer qu’il sera en mesure d’atténuer les difficultés inhérentes à son système politique.

Une approche nuancée

Barham Saleh est apprécié à Washington mais aussi à Téhéran. Il a toujours maintenu des canaux de communication efficaces avec les deux capitales ainsi qu’avec les autres grandes villes européennes et arabes. Son expérience mais aussi son approche et sa vision nuancées seront utiles dans les temps difficiles qui se profilent, dominés par la tension croissante entre les États-Unis et l’Iran.

À condition de trouver quelqu’un qui soit disposé à l’écouter, Saleh pourrait jouer un rôle important en empêchant Washington de commettre de nouvelles erreurs fatales dans la région ; de même, il pourrait également adoucir certains « instincts primaires » provenant de certains cercles politiques à Téhéran.

Saleh pourrait jouer un rôle important en empêchant Washington de commettre de nouvelles erreurs fatales dans la région

Assumant son nouveau rôle, Saleh s’est comporté différemment de tout autre responsable politique arrivant à un poste aussi haut placé. Seulement deux heures après avoir prêté serment, il a officiellement demandé à Adel Abdel-Mehdi de former un nouveau gouvernement. Quelqu’un d’autre aurait attendu des jours, voire des semaines, uniquement pour célébrer ses nouveaux pouvoirs et s’adjuger le mérite de l’accord politique à l’origine de la sélection d’Abdel-Mehdi.

La formation du tandem entre le nouveau président et le nouveau Premier ministre pourrait être l’un des événements porteurs d’espoir que l’Irak attend depuis trop d’années.

Une longue liste

Les défis qui attendent les nouveaux dirigeants irakiens ont de quoi intimider. Il sera impératif d’offrir au peuple irakien une gouvernance décente afin que l’énorme sacrifice consenti dans la lutte contre le groupe État islamique ne soit pas vain. Deux priorités viennent en tête de la longue liste des choses à faire.

La première est de restaurer les services de base pour la population, en particulier dans deux régions critiques : celle qui a été libérée de l’État islamique et le sud de l’Irak, délaissé de manière criminelle depuis plusieurs décennies et désormais au bord d’une catastrophe environnementale.

L’Irak prend ses distances avec son sectarisme religieux et ethnique antérieur. Les blocs politiques ont adopté une configuration plus interconfessionnelle et interethnique

La seconde concerne la lutte contre la corruption, à laquelle s’ajoutent la rationalisation des procédures bureaucratiques pour attirer les investissements, la relance de l’économie et la reconstruction post-guerre.

Ces deux problématiques sont des bombes à retardement sociales que les nouveaux dirigeants irakiens doivent immédiatement désamorcer. La guerre contre Daech a été remportée, mais cela ne signifie pas pour autant que la sécurité a été rétablie dans le pays. 

Des sources irakiennes haut placées et fiables font état d’au moins 20 000 djihadistes toujours en liberté dans le pays, non seulement dans l’ouest, mais également dans le nord et l’ouest de Bagdad, dans l’ouest de Mossoul et à Kirkouk. C’est là que réside la troisième priorité du nouveau gouvernement irakien : la guerre a été gagnée, mais pour gagner la paix, un effort efficace de contre-espionnage et de maintien de l’ordre sera nécessaire pour éradiquer complètement Daech.

Néanmoins, les récents développements politiques apportent une bouffée d’oxygène. L’Irak prend ses distances avec son sectarisme religieux et ethnique antérieur. Les blocs politiques ont adopté une configuration plus interconfessionnelle et interethnique.

Une maturité politique

L’un des signes évidents de la croissance d’une maturité politique en Irak est que les Unités de mobilisation populaire (UMP) – cette milice en majorité chiite soutenue par l’Iran qui a joué un rôle majeur dans la victoire contre l’État islamique – cherchent à se porter à l’écoute des sunnites mécontents. Les sunnites d’Irak ont été affectés par le changement d’équilibre des pouvoirs dans le pays, la cruauté de Daech et les destructions causées par le conflit au cours des quatre dernières années.

Un Irakien lit les gros titres dans un kiosque à journaux de la capitale Bagdad, le 29 août 2018 (AFP)

En nommant Saleh au poste de président, les députés irakiens ont également pris une décision indépendante et contraire à la volonté du principal parti politique kurde, le PDK.

En dépit de ces développements encourageants, les analyses et la couverture médiatique portées à l’Irak continueront de suivre la logique à somme nulle fondée sur la mentalité binaire qui observe toute évolution dans ce pays à travers le prisme d’un jeu de pouvoir entre les États-Unis, l’Iran et leurs alliés régionaux respectifs.

Les derniers résultats politiques à Bagdad n’ont pas échappé à ce genre de caractérisation et cette tendance se poursuivra probablement.

En dépit de ces développements encourageants, les analyses et la couverture médiatique portées à l’Irak continueront de suivre la logique à somme nulle fondée sur la mentalité binaire qui observe toute évolution dans ce pays à travers le prisme d’un jeu de pouvoir entre les États-Unis, l’Iran et leurs alliés régionaux respectifs

Des rumeurs sérieuses renvoient à l’idée que la nomination d’Adel Abdel-Mehdi au poste de Premier ministre serait le fruit d’un accord tripartite entre les principaux pôles de pouvoir chiites de la région : le commandant Qassem Soleimani du CGRI iranien, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah et le leader irakien Moqtada al-Sadr. Ainsi, si l’Irak était un match de boxe, Suleimani aurait triomphé de Brett McGurk, l’envoyé spécial du président américain pour la coalition mondiale contre l’État islamique.

D’importantes sommes en espèces auraient également été versées par le Golfe à Bagdad afin d’influencer les derniers résultats politiques irakiens de manière à porter préjudice aux intérêts de l’Iran. Téhéran a été accusé de pratiques similaires par le secrétaire américain à la Défense James Mattis lors de la campagne électorale du printemps dernier.

Un plan iranien ?

La seule certitude à ce jour est que le premier choix de Washington à la tête du gouvernement, le Premier ministre sortant Haïder al-Abadi, a été écarté. Malgré ses mérites dans le succès du conflit contre l’État islamique, les quelques réserves émises à son sujet à Téhéran et le mépris affiché par la Marja’iyya de Nadjaf, la plus haute autorité religieuse chiite d’Irak, se sont révélés insurmontables.

Tous deux ont la réputation, la crédibilité, l’expérience et l’audace nécessaires pour atteindre cet objectif ainsi qu’un autre objectif bien plus important : répondre aux exigences du peuple irakien

En mettant de côté les exercices spéculatifs, ce serait une grave erreur d’inclure sommairement les nouveaux dirigeants irakiens dans le camp pro-iranien. Néanmoins, ce serait une erreur encore plus grave de croire qu’ils seraient prêts à adhérer au discours anti-iranien élaboré aux États-Unis, en Israël et en Arabie saoudite et à engager l’Irak dans la coalition anti-iranienne formée par ces trois pays.

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Malheureusement, dans certaines capitales occidentales et arabes, le discours anti-iranien frise parfois l’obsession. Par conséquent, Saleh et Abdel-Mehdi, comme s’ils n’avaient rien de plus important à faire, seront obligés de dissiper les soupçons selon lesquels un plan orchestré par l’Iran serait à l’origine de la nouvelle configuration institutionnelle irakienne.

Tous deux ont la réputation, la crédibilité, l’expérience et l’audace nécessaires pour atteindre cet objectif ainsi qu’un autre objectif bien plus important : répondre aux exigences du peuple irakien.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le nouveau président irakien Barham Saleh prononce un discours au Parlement à Bagdad, le 2 octobre 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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