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Ben-Gvir prépare-t-il une guerre sainte contre les Palestiniens ?

En visitant al-Aqsa, le dirigeant de Force juive a montré qu’il avait le dessus – et il a sûrement d’autres provocations dans sa manche
Le politicien israélien d’extrême droite Itamar Ben-Gvir photographié au mur des Lamentations, dans la vieille ville de Jérusalem, après une visite sur l’esplanade des Mosquées, le 31 mars 2022 (AFP)
Le politicien israélien d’extrême droite Itamar Ben-Gvir photographié au mur des Lamentations, dans la vieille ville de Jérusalem, après une visite sur l’esplanade des Mosquées, le 31 mars 2022 (AFP)

Le nouveau ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, n’a pas perdu de temps pour montrer qui était le patron. Mardi, quelques jours après l’investiture du gouvernement du Premier ministre Benyamin Netanyahou, le politicien ultranationaliste a marché droit sur le complexe de la mosquée al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem-Est occupée – probablement le site le plus sensible du Moyen-Orient. 

Itamar Ben-Gvir l’a fait malgré les informations selon lesquelles il s’était mis d’accord avec Netanyahou pour remettre une telle visite à plus tard par crainte des conséquences potentiellement explosives. 

Mais qui lui demandera des comptes s’il joue avec le feu ? Le Premier ministre, qui a désespérément besoin du soutien de Ben-Gvir pour rester au pouvoir afin de légiférer sur la fin de son procès pour corruption et s’éviter la prison ? Ou les forces de police israéliennes sur lesquelles il exerce lui-même désormais un contrôle sans précédent ? 

Sa visite a également envoyé un autre message : Ben-Gvir semble prêt à provoquer une guerre religieuse 

Le dirigeant du parti fasciste Force juive a utilisé cette visite pour indiquer à la fois à ses partisans et à Netanyahou qu’il ne rendait de comptes à personne et qu’il ne ferait aucun compromis concernant son suprémacisme juif extrémiste. 

Sa visite a également envoyé un autre message : Ben-Gvir semble prêt à provoquer une guerre religieuse – une guerre qui démontrerait une fois pour toutes la capacité de ce type de fanatisme juif et de sa brutalité à soumettre toute opposition musulmane. Al-Aqsa pourrait être l’étincelle déclenchant un tel embrasement. 

La visite de Ben-Gvir a eu lieu sans retour de bâton significatif de la part des Palestiniens, du moins jusqu’à présent, bien que le Hamas ait prévenu qu’il ne « resterait pas les bras croisés », menaçant d’une « violence explosive ». 

Ben-Gvir prend la température. Il reviendra sûrement bientôt, encore plus provocant. Pendant et après la récente campagne électorale en Israël, il a demandé à ce que les juifs puissent prier dans ce lieu saint musulman et a déclaré qu’il exigerait que Netanyahou institue ce qu’il appelle l’« égalité des droits pour les juifs ». 

Contestation diplomatique

La crainte de ce que Ben-Gvir pourrait faire après, à moins qu’il ne soit recadré par Netanyahou, explique en partie pourquoi sa visite à suscité une telle tempête diplomatique. La Jordanie, gardienne officielle du lieu saint, a convoqué l’ambassadeur d’Israël pour lui passer un savon, tandis que les États-Unis, bailleurs de fonds d’Israël, se sont réveillés pour qualifier cette visite d’« inacceptable ». Les Émirats arabes unis ont quant à eux reporté une visite à venir de Netanyahou. 

Ben-Gvir se réjouira de ces réprimandes sans effets. Il s’est inspiré d’un précédent avec la visite à al-Aqsa en septembre 2000 du chef de l’opposition de l’époque, Ariel Sharon, avec l’appui d’un millier de membres des forces de sécurité israéliennes, malgré l’opposition de la police de Jérusalem.

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Cette incursion avait déclenché un soulèvement palestinien, la Seconde Intifada, justifiant des années de répression militaire israélienne brutale. Israël a utilisé des chars pour confiner le dirigeant palestinien de l’époque, Yasser Arafat, dans son siège de Ramallah tandis que l’armée israélienne a affaibli l’Autorité palestinienne (AP) en revenant sur la promesse implicite d’autonomie des accords d’Oslo. La société palestinienne a été progressivement privée de sa capacité et de sa volonté à entretenir un soulèvement qui a coûté des milliers de vies.

Ben-Gvir pourrait vouloir provoquer une confrontation similaire afin d’offrir un prétexte pour éliminer ce qu’il reste de l’AP. Mais il pourrait y avoir un bonus politique national également : Sharon a surfé sur la vague du nationalisme juif qu’il avait déclenchée jusqu’à devenir Premier ministre. L’opinion publique israélienne voulait un général inflexible et un patriote juif pour écraser le peuple palestinien jusqu’à la soumission. 

Déjà épaulé par une vague renouvelée de chauvinisme juif, ainsi que par la légitimité politique que Netanyahou lui a conférée en incluant son parti dans le gouvernement, Ben-Gvir pourrait vouloir espérer voir ce scénario se reproduire. 

Nationalismes rivaux

Les médias israéliens, les États arabes et les diplomates occidentaux ont tous présenté la visite de Ben-Gvir comme une menace pour le statu quo : une série de principes convenus au XIXe siècle, et renouvelés après l’occupation israélienne de Jérusalem en 1967, en vue d’entériner la souveraineté musulmane sur le complexe de la mosquée et le pouvoir des autorités musulmanes pour en réguler l’accès et le culte. 

En vérité cependant, Israël démantèle le statu quo plus vite que jamais depuis la visite de Sharon. C’est pourquoi l’incursion du général israélien a déclenché l’explosion des Palestiniens il y a vingt ans, ce qui n’est pas le cas – jusqu’à présent – de celle de Ben-Gvir. Les atteintes au statu quo par les politiciens israéliens extrémistes ne sortent plus vraiment de l’ordinaire.

Peut-être plus que tout autre dirigeant israélien de son époque, Sharon avait compris à quel point al-Aqsa était devenu le cœur symbolique d’un jeu de pouvoir entre les nationalismes israéliens et palestiniens rivaux. Encourageant la confusion entre le sentiment national et religieux, comme il l’a fait à al-Aqsa, a aidé à unifier une société israélienne profondément divisée par les questions de religion.  

Le complexe de la mosquée al-Aqsa photographié dans la vieille ville de Jérusalem, le 2 janvier 2023 (AFP)
Le complexe de la mosquée al-Aqsa photographié dans la vieille ville de Jérusalem, le 2 janvier 2023 (AFP)

La propriété du complexe de la mosquée – ou mont du Temple comme l’appellent les juifs israéliens, en référence aux deux antiques temples juifs qui se seraient tenus sous cette esplanade – était considérée comme le corollaire naturel, et la confirmation, du titre juif de cette terre. Ou comme l’avait formulé Ariel Sharon à l’époque : le lieu saint était « la base de l’existence du peuple juif, et je n’ai pas peur des émeutes des Palestiniens ».

C’est ainsi que l’ultranationaliste et le laïc Sharon a redéfini le conflit. Il a affirmé la souveraineté juive sur cette esplanade, un prérequis pour tout politicien israélien qui désire le pouvoir. Une fois devenu Premier ministre, et en plein milieu de la Seconde Intifada, Sharon a unilatéralement autorisé en 2003 l’accès des juifs et autres non-musulmans au site, malgré l’opposition du Waqf, l’autorité religieuse musulmane qui administre al-Aqsa. 

Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien du statu quo. Les forces d’occupation israéliennes déterminent exclusivement qui a accès al-Aqsa. Le culte musulman peut être limité dès qu’Israël le décide. Les Palestiniens de Gaza, piégés dans leur enclave par des barrières et des tours de guet, en sont exclus de façon permanente. 

Dans le même temps, les soldats israéliens en tenue de combat ainsi que les juifs et colons religieux y ont accès ; et ils utilisent souvent leurs visites pour prier – en saisissante opposition au statu quo. De plus en plus, les forces de sécurité israéliennes font irruption dans la mosquée dès qu’elles le désirent ; un incident de ce type en mai 2021 avait contribué à des semaines de violence à travers les territoires occupés et en Israël. 

Relation de servitude

Comme Sharon, Ben-Gvir considère al-Aqsa comme une cause nationaliste suprême. L’un de ses députés, Zvika Fogel, ancien commandant militaire israélien en charge de Gaza, a exposé l’objectif de Ben-Gvir, suggérant qu’il pourrait être atteint sans retour de bâton de la part des Palestiniens : « Nous ne devrions pas traiter cette visite comme quelque chose qui va mener à une escalade. Pourquoi ne pas la voir comme la concrétisation de notre souveraineté [juive] ? » 

Pour autant, face à un Netanyahou affaibli, Ben-Gvir doit espérer amener la politique de Sharon encore plus loin – affirmant non seulement un principe de propriété juive sur le lieu saint, mais inscrivant également la réalité physique d’un contrôle juif absolu. 

La colère palestinienne trouve souvent son exutoire à al-Aqsa en raison du rôle de ce lieu saint en tant que symbole religieux et nationaliste

Cela signifierait donner la priorité au culte juif, comme c’est le cas aujourd’hui à Hébron dans la mosquée d’Ibrahim. C’est un schéma que les colons qui soutiennent Ben-Gvir veulent reproduire à al-Aqsa et cela implique également la partition physique de l’esplanade des Mosquées, réfléchissant la réalité à Hébron. 

De telles ambitions reproduisent à al-Aqsa la relation de servitude qu’Israël a développée dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. En cas de contestation de la domination juive sur l’esplanade, le gouvernement israélien pourrait alors punir les musulmans et leur en interdire l’accès, et la police d’État – désormais sous le contrôle de Ben-Gvir – aurait le pouvoir d’entrer dans la mosquée ou dans tout autre site du complexe dès qu’elle le jugerait nécessaire.

Mais cela ne s’arrête pas là. Comme ses partisans, Ben-Gvir veut détruire le lieu saint musulman et le transformer en temple juif. Il l’a dit encore en mai dernier lorsqu’il a visité le complexe d’al-Aqsa, publiant une photo appelant à l’éradication de la mosquée pour « établir une synagogue sur le mont ». 

« La dernière guerre »

Pour l’instant, Ben-Gvir semble se servir des députés de son parti comme porte-paroles pour ne pas mettre en danger son accord de coalition avec Netanyahou. Après la visite de mardi dernier, Zvika Fogel s’est délecté de l’idée que le Hamas réplique par des tirs de roquettes depuis Gaza. Il a déclaré qu’une telle confrontation « en voudrait la peine parce que ce serait la dernière guerre – après nous pourrons nous asseoir et élever des colombes et tous les autres beaux oiseaux qui existent ».   

Ben-Gvir n’a pas besoin d’incendier directement al-Aqsa. Avec les forces de police d’Israël sous son commandement, et avec son allié politique Bezalel Smotrich chargé de la gestion de l’occupation, il a tout un stock de moyens, en particulier à Jérusalem, pour enrager la population palestinienne. 

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Les policiers à la gâchette facile qui tuent des civils, l’expansion des colonies, les démolitions de maisons et la construction d’un téléphérique à travers Jérusalem-Est occupée pour amener les touristes juifs au pied d’al-Aqsa ont ainsi le potentiel d’attiser les tensions. Ben-Gvir peut également compliquer davantage la vie des prisonniers de sécurité palestiniens, ainsi qu’il l’a promis lors des élections, provoquant des grèves de la faim. 

La colère palestinienne trouve souvent son exutoire à al-Aqsa en raison du rôle de ce lieu saint en tant que symbole religieux et nationaliste, en particulier pour un peuple privé de tout autre symbole montrant son statut de nation. 

Les alliés politiques les plus proches de Ben-Gvir dans le mouvement du mont du Temple lorgnent déjà sur Pessah en avril, qui coïncidera cette année avec le milieu du Ramadan. Ils en ont appelé à la police, comme ils le font chaque année, pour leur permettre de procéder à des rites provocants, tels que des sacrifices d’animaux, associés à la construction d’un temple juif à la place de la mosquée al-Aqsa. Chaque année, la police tente de les arrêter ; mais cette année, Ben-Gvir dictera la politique de la police. 

L’universitaire Tomer Persico, fin observateur des racines kahanistes de Ben-Gvir, fait remarquer que, dans une interview en 2019, le dirigeant de Force juive avait fait valoir que la « grande différence » entre lui et son mentor, le rabbin extrémiste Meir Kahane, c’était qu’« on nous tend un micro » tandis que Kahane avait été exclu de l’establishment politique israélien. 

C’était il y a trois ans. Ben-Gvir est rapidement devenu le nouveau courant dominant en Israël. Aujourd’hui, avec ses pouvoirs ministériels et une tribune nationale pour amplifier ses incitations à la haine, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il n’embrase la situation.

- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et le lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Son site web et son blog sont disponibles à l’adresse : www.jonathan-cook.net

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Jonathan Cook is the author of three books on the Israeli-Palestinian conflict, and a winner of the Martha Gellhorn Special Prize for Journalism. His website and blog can be found at www.jonathan-cook.net
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