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Blair a ignoré totalement les conseils concernant la guerre en Irak, selon un ancien conseiller

George Joffe a déclaré à MEE que ses mises en garde ne signifiaient rien pour Blair, qui avait une « compréhension très limitée des affaires internationales »
George Joffe a affirmé que Blair avait envoyé des troupes au combat sans pleinement écouter un expert qui l’avait mis en garde contre cette guerre (AFP)

Un universitaire britannique qui a conseillé Tony Blair dans la perspective de la guerre en Irak affirme que l’ancien Premier ministre a agi en « ignorant totalement » les conseils, négligeant les mises en garde contre le chaos que provoquerait l’invasion.

Dans une interview accordée à Middle East Eye quelques jours avant la publication du tant attendu rapport Chilcot, George Joffe, professeur et éminent spécialiste de l’Irak à l’Université de Cambridge, a déclaré qu’il avait averti Blair que « le simple renversement de Saddam » n’apporterait pas la paix et la prospérité en Irak et que la situation était beaucoup plus complexe.

Joffe, qui s’est fréquemment rendu en Irak, était l’un des six experts réunis en novembre 2002 par Sir Lawrence Freedman, un conseiller de Blair.

Ces hommes ont été convoqués dans la salle du Cabinet au 10 Downing Street pour décrire le pire scénario en cas d’invasion de l’Irak par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Cette réunion aurait pu changer le cours de l’histoire, annonçant une meilleure planification de la suite de l’invasion et sauvant d’innombrables vies, mais Joffe a rapporté que ces hommes n’ont eu aucun « impact visible » sur Blair.

« Blair, Jack Straw et d’autres conseillers, dont Jonathan Powell, se trouvaient dans la pièce. Personne n’a commenté quoi que ce soit, excepté Blair, et on nous a dit que nous ne pouvions pas discuter de la légalité de la guerre, uniquement de ses conséquences », a-t-il confié à Middle East Eye.

Il a déclaré : « Je fis un exposé de cinq minutes soulignant à Blair qu’aucun acteur particulier n’était tout-puissant en Irak et que Saddam était captif de la structure du régime, limité dans ce qu’il pouvait et ne pouvait pas faire. Je lui ai dit que cela devait être pris en compte puisque l’Irak était un État extrêmement complexe et renverser simplement Saddam ne résoudrait pas le problème. »

Joffe a précisé que Blair avait « écouté attentivement » avant de répondre que Saddam était « un homme mauvais » qu’il fallait éliminer.

« Je pensais que cela était un commentaire particulièrement hors de propos », a estimé Joffe. « À ce stade, nous avons réalisé que cela [nos conseils] ne signifiait rien pour lui et qu’il avait une compréhension très limitée des affaires internationales. Il voulait de la simplicité. »

Le Dr Toby Dodge, de l’Université Queen Mary à l’époque, assistait également à la réunion. Dodge, qui a depuis donné des preuves à la commission d’enquête Chilcot, a prévenu de la catastrophe et dit à Blair que les Irakiens se battraient pour leur pays.

« Ils s’attendaient à une campagne facile, efficace et courte et à ce que les Irakiens soient reconnaissants », a-t-il déclaré à The Independent on Sunday en janvier 2015. « Mon but était de les informer autant que je le pouvais, de sorte qu’aucune excuse ne soit possible et que personne ne dise : ‘’Je ne savais pas’’ ».

Le professeur Joffe a précisé que, au fur et à mesure de la discussion, les autres universitaires dans la salle « se sont tus tandis qu’ils réalisaient qu’il était inutile » de discuter avec l’ancien Premier ministre.

Il a poursuivi : « À la toute fin, j’ai expliqué que l’Irak ne signifierait rien à moins qu’il ne fasse quelque chose à propos de la situation palestinienne. Il m’a regardé un peu irrité et m’a répondu : ‘’Oui, nous devons faire quelque chose pour les Palestiniens’’. »

Était également présent Sir Lawrence Freedman, un autre grand historien britannique, avec des opinions passées on ne peut moins neutres sur l’Irak. Sir Lawrence a grandement contribué à un discours célèbre que Blair a prononcé à Chicago en 1999 et qui énonce les arguments en faveur d’une action militaire contre les gouvernements répressifs et dangereux.

Sir Lawrence, qui a écrit à plusieurs reprises des articles bellicistes sur la menace stratégique posée par Saddam Hussein, est désormais membre de la commission d’enquête sur l’Irak. Il a refusé de parler à MEE et a déclaré qu’il garderait le silence après la publication du rapport mercredi. « [Le] rapport doit parler pour lui-même », selon lui.

La commission d’enquête Chilcot, officiellement connue sous le nom de commission d’enquête sur l’engagement britannique en Irak, a été mise en place par Gordon Brown, le successeur de Blair, en juin 2009 pour « tirer les leçons » de la guerre en Irak.

Au début de l’enquête, Sir John Chilcot a promis d’aller au « cœur des événements » et a affirmé qu’il ne se priverait pas de critiquer directement des personnes si cela était justifié.

Parlant à MEE quelques jours avant la publication du rapport, Joffe a indiqué que ses sources au Foreign Office lui avaient dit qu’ils ne prévoyaient pas de « feu d’artifice » dans ce rapport, mais que celui-ci « condamnerait vertement Blair ».

« Ils précisent également que les familles seront mécontentes », a-t-il ajouté.

Beaucoup de spéculations ont circulé pour savoir à quel point Sir John se concentrera sur la période allant jusqu’en 2002, lorsque le gouvernement britannique avait insisté sur le fait que le problème posé par Saddam et le désarmement pourraient être résolus par la voie diplomatique.

Les détracteurs de l’intervention en Irak ont fait remarquer que, à cette époque, le département de la Défense des États-Unis était en plein dans les préparatifs de guerre, tandis que le ministère de la Défense à Londres avait évité de s’impliquer dans la logistique de l’organisation d’une force d’invasion.

L’ancien secrétaire à la Défense, Geoff Hoon, allègue que Blair a refusé d’autoriser une préparation active à la guerre pour encourager le processus diplomatique. MEE a contacté le bureau de Tony Blair à ce sujet, mais n’a pas obtenu de réponse.

Joffe a ajouté que le fait que les gouvernements britannique et américain n’aient pas communiqué avec les responsables irakiens dans la période précédant le conflit n’avait pas aidé.

« J’avais des contacts. » Il a indiqué avoir contacté le Foreign Office lorsque des responsables irakiens lui ont dit qu’ils voulaient négocier, mais ne pas avoir obtenu de réponse.

« Nous n’avons eu aucun contact avec les Irakiens alors que tous les autres grands pays européens avaient effectivement des ambassades à part entière dans le pays. C’était quelque peu le bazar. »

Joffe a admis que cette réunion jouerait un « rôle marginal » dans les délibérations de la commission Chilcot mais a ajouté qu’il avait écrit à la commission d’enquête avec les détails la concernant car, selon lui, elle montre l’« état d’esprit » au sein du gouvernement avant l’invasion.

« Cela montre le processus de prise de décision et montre l’ignorance des ministères sur la situation en Irak. Cela montre la façon dont le gouvernement agit en ignorant totalement les avis qui lui sont donnés. »

 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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