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Au cœur de l’Amérique arabe, les électeurs s’inquiètent d’une nouvelle victoire de Trump

Dans le Michigan, les Arabes américains craignent de voir Donald Trump remporter à nouveau l’élection présidentielle ou ses partisans causer des troubles en cas de victoire pour Biden
Killoud Dabaja (au centre) de Dearborn tente de créer un « espace heureux » pour la communauté de son café (MEE/Ali Harb)
Killoud Dabaja (au centre) de Dearborn tente de créer un « espace heureux » pour la communauté de son café (MEE/Ali Harb)
Par Ali Harb à DEARBORN, Michigan

Nivine Eldayeh, 20 ans, redoute qu’en cas de victoire de Donald Trump, sa communauté arabe soit davantage discriminée par la Maison-Blanche. S’il perd, elle redoute que sa ville natale de Dearborn (Michigan) devienne une cible pour ses partisans mécontents. 

Debout dans le froid pour voter tôt à la mairie lundi, Nivine se dit enthousiaste de voter pour la première fois, en dépit du malaise au sujet de l’élection.

« Il faut toujours voter », assure-t-elle à MEE. « Nous vivons aux États-Unis, il faut voter pour être représenté. Et si aucun des deux candidats ne vous convient, il suffit de choisir celui que vous pensez être le meilleur. »

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Vêtue d’un sweat à capuche gris couvrant son hijab noir, Nivine confie qu’elle votera pour le candidat démocrate Joe Biden parce que les Arabes américains et musulmans ont subi la diabolisation et la haine sous Trump.

« C’est triste de vivre en craignant son propre président. »

Dans la perspective de l’élection, Trump a intensifié sa campagne pour remporter le Michigan, qui abrite de grandes communautés arabes et musulmanes, se rendant dans cet État-charnière quatre fois ces six derniers jours et organisant de grands rassemblements malgré l’aggravation de l’épidémie de COVID-19.

Lors de ses apparitions, Trump continue d’asséner un message xénophobe anti-immigrés, répétant que le Michigan a un problème avec les réfugiés.

Immigration mise à part, les Arabes américains se disent préoccupés par les questions qui touchent tous les Américains – dont le plus urgent, le coronavirus.

Mohammad Qazzaz, un trentenaire qui possède une entreprise de café à Dearborn, a contracté le virus fin mars. Depuis huit mois, il souffre de ses effets sur sa santé et ses affaires.

Un dirigeant « sympathique »

« Je suis nerveux, inquiet », témoigne Mohammad à MEE. « J’espère que Biden va gagner, juste pour que nous puissions avoir un peu d’ordre dans le pays parce que tout ce que Trump fait, c’est le désordre. »

Se tenant du haut de ses 1, 90 m dans le café, Mohammad, une photo de l’horizon de la vieille ville de Jérusalem au-dessus de la tête, ce commerçant palestino-américain déplore que Trump n’ait pas montré d’empathie pour les victimes de la pandémie. 

« En ce moment, je pense que nous avons besoin d’un dirigeant qui ne se contenterait pas de diriger, mais serait sympathique », estime-t-il en préparant des sachets de café à remplir portant le symbole du mélange signature de sa famille, Abu Dawood. 

« Des gens meurent. Des gens sont infectés. Il y a plus de neuf millions de personnes qui ont contracté ce virus et qui ont des problèmes. »

« Cette élection affectera notre communauté arabe et nos enfants pour les années à venir »

- Asad Alfatlawi, électeur irako-américain

Il souligne qu’il ne faut pas s’arrêter aux 231 000 décès dus à la pandémie. Les survivants sont toujours confrontés à des problèmes de santé liés à la maladie. S’il a éliminé le virus depuis quelques mois, Mohammad – qui n’avait pas de problèmes de santé préexistants – souffre désormais de problèmes cardiaques.

Il a tiré sa chemise vers le bas pour montrer un dispositif attaché à sa poitrine qui surveille son rythme cardiaque pour repérer une éventuelle tachycardie.

Après s’être remis du COVID-19 lui-même, Trump a exhorté les Américains à ne pas s’inquiéter du virus. En campagne électorale, le président américain cite souvent sa propre expérience avec le COVID-19 pour minimiser son impact, ce qui, pour Mohammad, démontre son incapacité à reconnaître la souffrance des autres.

Cet Palestino-américain de 36 ans raconte avoir reçu un appel téléphonique de Biden en avril. L’équipe de campagne de l’ancien vice-président l’a contacté au hasard en joignant des victimes du coronavirus. Il devait s’entretenir brièvement au téléphone avec Biden, mais la conversation a duré une vingtaine de minutes. 

Lors de cet appel, rapporte Mohammad, Biden l’a réconforté de ne pas être en mesure d’interagir avec ses enfants pendant la quarantaine. L’ancien vice-président a partagé sa propre expérience, lui qui a perdu sa femme et sa fille dans un accident de voiture 1972 et son fils Beau d’un cancer en 2015. 

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Pour Mohammad, cette conversation l’a définitivement convaincu que Biden est le candidat pour lequel il devait voter. 

Même avec une présidence Biden, Mohammad reste inquiet « quant à l’avenir du pays » si Trump rejette les résultats de l’élection et encourage ses partisans à semer le chaos.

« Je suis très inquiet. J’ai une pancarte Biden sur ma maison et sur ma voiture. Ma mère m’a dit : “Retire-les ! Nous ne savons pas ce qui va se passer” », se souvient Mohammad. 

« J’ai rétorqué que si on avait déménagé ici, c’était pour la liberté d’expression et la liberté de religion. C’est de cela qu’il s’agit. Pourquoi les enlever ? Parce que j’ai peur des partisans de Trump ? »

« Nous sommes tous inquiets »

Dearborn, banlieue de Détroit de 94 000 habitants, est connue comme la capitale de l’Amérique arabe, en raison de sa grande concentration de population arabe qui a rempli la ville de restaurants, cafés, salons de coiffure et d’autres entreprises du Moyen-Orient, arborant souvent des caractères arabes sur leurs vitrines.

De retour à la mairie de la ville, des bénévoles distribuaient des pizzas et du café aux électeurs. Des rafales de vent glacial ajoutaient à l’inconfort de la météo de cette fin d’automne. 

« Nous sommes tous inquiets pour l’avenir », confie à MEE Asad Alfatlawi, un Irako-américain de 48 ans, père de cinq enfants, tandis qu’il patiente. « Cette élection affectera notre communauté arabe et nos enfants pour les années à venir. »

Il assure que les Arabes américains sont « fatigués » de la présidence de Trump. « Le pays ne va pas bien. L’économie va mal. La maladie se propage mais nous ne pouvons qu’espérer un avenir meilleur. »

Pour Mohamed Qasim, 25 ans, les quatre dernières années ont été une période d’« absence de normalité », en particulier pour les Arabes et les musulmans.

Les habitants font la queue pour voter tôt à la mairie de Dearborn (Michigan), le 2 novembre (MEE/Ali Harb)
Les habitants font la queue pour voter tôt à la mairie de Dearborn (Michigan), le 2 novembre (MEE/Ali Harb)

En 2017, dans l’un de ses premiers décrets en tant que président, Trump a interdit l’accès du territoire américain aux ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane, un décret qui, selon les militants, a non seulement nui à des familles qui tentent de garder le contact avec leurs proches à l’étranger, mais aussi encouragé l’intolérance aux États-Unis.

Mohamed estime Trump a rendu plus acceptable la haine. « Nous avons connu quatre ans de chaos, de haine, de racisme, d’intolérance. » Le chaos politique, selon lui, a fait des ravages chez les gens sur le plan psychologique. « J’ai hâte que le jour des élections s’achève. »

Après qu’un grand magasin de Dearborn a barricadé son magasin la semaine dernière, l’inquiétude est devenue de plus en plus forte au sein de la communauté qui anticipe des troubles civils. Cela a incité le chef de police Ronald Haddad à assurer aux habitants qu’il n’y a « aucune menace spécifique concernant l’élection de mardi ».

« Soyez assurés que le département de police de Dearborn continuera à travailler avec toutes les autorités locales, étatiques, régionales et fédérales pour surveiller et réagir à toute menace éventuelle », annonçait samedi la police dans un communiqué.

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Le phénomène ne se limite pas à Dearborn : des magasins à travers tout le pays ont couvert leurs façades de verre à l’aide des planches de bois – et plus particulièrement à Washington, la capitale du pays.

« Je me sens un peu anxieux à propos de tout cela. Je suis à cran dans l’attente de ce qui va se passer, à la fois en ce qui concerne les résultats de l’élection présidentielle mais aussi sur ce qui pourrait se passer dans les jours suivants », confie à MEE, Danny Hajjar, activiste Libano-américain vivant à Washington.

« Il est inquiétant de voir de nombreux endroits ici à Washington, et dans de nombreuses autres villes du pays, se barricader et anticiper la violence. Je m’inquiète de cette éventualité et de ce qui pourrait arriver. Tout est émotionnellement épuisant en ce moment. »

Hajjar souligne la nécessité de s’aider soi-même et de tendre la main à ses proches sans porter de jugement sur l’état psychologique des autres.

« Il serait malhonnête de ma part de dire aux gens, en particulier à ceux d’entre nous de la communauté arabo-américaine, de “respirer” ou de “rester calmes” parce que ces angoisses et ces émotions sont réelles », assure-t-il. 

« Nous devons le reconnaître et respecter le fait que les gens ont différentes façons de faire face à leurs émotions. Ce que nous pouvons faire, c’est nous assurer que nous sommes dans un endroit où nous nous sentons en paix, où nous avons l’impression d’avoir assez d’énergie pour passer la journée, et ensuite prendre des nouvelles de nos connaissances de temps en temps. »

« Nous avons résisté aux quatre dernières années »

À Dearborn, ACCESS, une organisation communautaire à but non lucratif qui propose des services de santé comportementale, exhorte également les gens à chercher de l’aide s’ils en ont besoin.

« Alors que nous participons collectivement à cette élection historique au beau milieu d’une pandémie mondiale, prendre soin de soi, de sa santé mentale et de son bien-être est plus important que jamais », souligne ACCESS à MEE.

Killoud Dabaja, qui exploite un café à Dearborn, tente de créer un « espace heureux » pour la communauté. 

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Les chaises qui accueillaient autrefois les clients du café avant la pandémie sont dorénavant occupées par des ours en peluche respectant la distanciation et des morceaux de papier qui disent : « Votez ».

Dabaja distribuera gratuitement du café et du thé aux électeurs le jour de l’élection. « Je suis très confiant qu’en tant que commerçante, nous serons présents pour la communauté, et nous allons les contribuer à les soutenir, et nous allons essayer d’en faire un endroit très heureux. »

Tout en reconnaissant les difficultés du climat politique, Killoud assure à MEE qu’elle tente de « rester positive à tout prix ».

« Nous avons résisté aux quatre dernières années, nous résisterons aux cent prochaines », prédit-elle. « Nous allons résister à tout ce qui se dresse sur notre chemin, quoi que cela puisse être. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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