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EXCLUSIF : Le coup d’État en Turquie aurait été préparé bien à l’avance, selon un document

Une liste vue par MEE indique quels officiers et responsables militaires devaient occuper des postes clés en cas de réussite du putsch
La liste indique les noms, intentionnellement floutés, des officiels turcs qui devaient obtenir des postes clés dans un gouvernement post-coup d’État (MEE)

ISTANBUL, Turquie – Une liste qui aurait été retrouvée dans la poche d’un colonel suggère que la tentative de coup d’État manquée qui a eu lieu en Turquie dans la nuit de vendredi à samedi avait été planifiée dans le détail.

La longue liste, vue par Middle East Eye, désigne les officiers de l’armée censés assumer des responsabilités critiques après le coup d’État.

Les fonctions mentionnées dans la liste incluent celles de sous-secrétaire au Trésor, PDG de Turkish Airlines, dirigeants des deux aéroports d’Istanbul, dirigeants de la radio et télévision d’État TRT et de l’agence de presse Anadolu, maire d’Ankara, chef de la police et ministre de l’Intérieur, entre autres.

La majorité des personnes choisies pour ces postes sont issues de l’armée de l’air et de la gendarmerie. Il s’agit des deux forces les plus impliquées dans la tentative de coup.

La liste inclut également des changements de poste au sein de l’armée.

Des représentants du gouvernement ont déclaré que les partisans de Fethullah Gülen, un prédicateur musulman vivant en exil auto-imposé aux États-Unis, sont derrière cette tentative de coup d’État.

Gülen, ancien allié du président turc Recep Tayyip Erdoğan et de son parti de la Justice et du Développement (AKP), est devenu l’ennemi public numéro 1 du gouvernement lorsque lui et ses partisans ont essayé d’impliquer Erdoğan et son cercle intime dans des affaires de corruption.

L’un des noms figurant sur la liste, Mikail Güllü, attaché militaire à l’ambassade de Turquie au Koweït, a été arrêté dimanche à l’aéroport de Damman en Arabie saoudite suite à une demande d’Ankara et devrait être déporté rapidement.

Güllü apparaît sur la liste en tant que PDG désigné pour l’usine de développement et production d’armes détenue par l’État.

Parmi d’autres noms connus figure celui de Sercan Gürcan, un colonel et commandant de la gendarmerie de la province d’Istanbul.

La fille de Gürcan a vigoureusement clamé l’innocence de son père sur Twitter et a même soutenu qu’il avait été la cible d’éléments pro-Gülen et avait été impliqué dans un complot de putsch ultra-nationaliste en 2009 connu sous le nom d’Ergenekon.

À l’époque, Gülen et ses partisans étaient alliés au AKP au pouvoir, et l’on pense que des gülenistes occupant des fonctions clés dans la police et la magistrature avaient activement cherché à faire condamner les personnes accusées dans l’affaire Ergenekon.

En avril 2016, 275 personnes jugées dans ce cadre avaient vu leurs condamnations infirmées par la Haute cour d’appel de Turquie, qui avait indiqué qu’elle ne pouvait prouver qu’un tel complot existait bel et bien. 

Murat Yeşiltaş, directeur des études sur la sécurité au think tank pro-gouvernemental SETA, insiste sur le fait que la liste trouvée sur le colonel Köse est authentique et que toute différence apparente est due au fait que de multiples groupes sont impliqués dans la tentative de coup.

« Le principal cercle des meneurs de la tentative de coup est composé de personnes liées à Gülen. Mais il y avait aussi d’autres cliques impliquées dans une certaine mesure. Donc il est normal de voir des noms qui pourraient ne pas être nécessairement liés à Gülen », a-t-il indiqué à Middle East Eye.

Les sceptiques ont exprimé des doutes quant à cette apparition extrêmement rapide de preuves compromettant les putschistes et ont mis en cause la légalité et la sagesse de l’arrestation de plus de 6 000 personnes depuis vendredi.

Un membre du gouvernement a déclaré que l’arrestation d’un aussi grand nombre de personnes n’était pas surprenante dans la mesure où des individus ayant des liens avec le mouvement Gülen et des activités illégales étaient sous surveillance depuis bien longtemps.

« Le gouvernement savait que quelque chose se tramait mais pensait que l’idée d’une tentative de putsch était tirée par les cheveux. Nous avons désigné le mouvement Gülen comme terroriste il y a des années et nous suivons [ses membres] de près », a-t-il ajouté.

Hikmet Çiçek, un journaliste de la publication de gauche Aydinlik qui a purgé une peine de cinq ans de prison pour des accusations de participation à l’organisation d’un coup d’État dans le cadre de l’affaire Ergenekon, a affirmé qu’il pensait que la liste était authentique.

« Certains éléments de cette histoire semblent irréalistes, par exemple un colonel qui conserve une telle liste dans sa poche, mais ça ne signifie pas que c’est monté de toutes pièces. Cela veut juste dire que le plan du coup d’État a été mal exécuté », a-t-il dit à MEE.

Il a ajouté que le mouvement Gülen avait un passif d’échecs provoqués par des réactions de panique et la réalisation anticipée de complots.

Il a évoqué les événements des 17 et 25 décembre 2013, quand le gouvernement de l’AKP a fait face à une opération planifiée en lien avec des affaires de corruption, pour illustrer la façon dont les manœuvres liées à Gülen pouvaient mal finir.

Selon lui, à l’époque aussi, le plan prévoyait de mener l’opération avant les élections locales du 30 mars 2014 mais son exécution avait été anticipée.

« Les gens sont sceptiques à cause de la soudaineté et l’arrestation de tant de monde – mais je n’y crois pas. »

Suite à ces arrestations et opérations à grande échelle, il y a très peu de chances qu’une autre tentative de renversement du gouvernement par l’armée se produise dans les jours et les semaines à venir, a prédit Yeşiltaş.

Toutes les personnes ou presque désignées sur la liste des affectations post-coup sont désormais derrière les barreaux, ont indiqué des sources officielles.

Traduit de l’anglais (original).

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