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Face à la crise Riyad-Doha, la rébellion syrienne dans l'embarras

L’opposition syrienne a été minée par la rivalité entre Riyad et Doha et affaiblie par le soutien militaire de la Russie à Assad
Des combattants rebelles, qui font partie de l’alliance soutenue par la Turquie « bouclier de l’Euphrate », près de la ville d’al-Bab, le 20 février (AFP)
Par AFP

par Sammy Ketz

La discorde entre l'Arabie saoudite et le Qatar embarrasse la rébellion en Syrie, déjà fortement affaiblie par la rivalité entre ses deux parrains et leur désengagement progressif du conflit, estiment les experts.

Les deux monarchies sunnites du Golfe ont pris fait et cause pour les insurgés largement sunnites dès le début de la révolte armée contre le régime de Bachar al-Assad, issu de la minorité alaouite et appuyé par l'Iran chiite, grand rival de l'Arabie saoudite.

Mais six ans plus tard, la situation a changé.

Minée par les rivalités entre Doha et Riyad – qui soutiennent des groupes rebelles différents –, et affaiblie par l'entrée en action en 2015 de l'allié russe du régime Assad, la rébellion a subi revers après revers, en perdant notamment Alep en décembre 2016.

« La rupture actuelle met l'opposition dans une situation embarrassante car personne ne veut prendre parti publiquement et s'aliéner l'autre côté », relève Yezid Sayigh, chercheur principal au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, basé à Beyrouth.

« Orage passager »?

« Le Qatar, l'Arabie saoudite, la Turquie, la Jordanie et les Émirats arabes unis ont soutenu la révolution du peuple syrien et sont solidaires depuis des années de sa tragédie », affirme à l'AFP un responsable rebelle dans la Ghouta orientale près de Damas.

« On espère que ces différends ne sont qu'un orage passager », a-t-il ajouté sous couvert de l’anonymat.

Signe de la gêne que provoque la crise du Golfe, plusieurs groupes rebelles sollicités par l'AFP se sont refusés à tout commentaire, affirmant qu'il s'agissait d'une question « sensible ».

Malgré cet embarras, Yezid Sayigh estime que le bras de fer aura un impact limité sur le conflit syrien où, de toute façon, « le Qatar comme l'Arabie saoudite ne s'investissent plus comme ils l'ont fait dans le passé », Riyad réduisant « considérablement son financement à partir de 2015 en raison de son intervention au Yémen ».

De plus, il n'y aura probablement pas d'incidence majeure au niveau financier et militaire, « depuis que les États-Unis et la Turquie ont accru leur appui à des factions auparavant proches du Qatar et de l'Arabie saoudite ».

« Animosité »

Extrêmement fracturée, la rébellion – qui ne contrôle plus que 11 % du territoire syrien – est soutenue par les Saoudiens, les Qatariotes, les Turcs et les Jordaniens ainsi que les Américains.

Dans le nord, ce sont surtout les groupes pro-Doha et pro-Ankara qui dominent avec le groupe salafiste Ahrar al-Sham. Dans la région de Damas, ce sont les pro-saoudiens avec Jaish al-Islam et dans le sud, des mouvements entraînés par Amman et Washington.

Autre acteur de poids allié à l'insurrection syrienne : l'ex-branche syrienne d'Al-Qaïda – désormais connue sous le nom Tahrir al-Sham – et qui, selon les analystes et des factions sur le terrain, a des liens avec le Qatar, ce que le pays dément officiellement.

Doha a mené la plupart des médiations dans la libération d'otages en Syrie impliquant ce groupe qui s'appelait autrefois le Front al-Nosra.

D'ailleurs, lorsque Riyad et plusieurs de ses alliés ont rompu leurs liens le 5 juin avec le Qatar, ils ont accusé ce pays de soutenir des groupes « terroristes » dans la région, dont Al-Qaïda.

L'amoindrissement du rôle de Riyad et du Qatar est patent notamment dans la Ghouta orientale, fief rebelle près de Damas.

Dans cette région où cohabitent des groupes pro-saoudiens et pro-qataris, des affrontements entre les deux bords ont fait des centaines de morts avant même l'éclatement de la crise diplomatique, affaiblissant ce front face au régime.

Le risque est que « cette fois, les conséquences pourraient être bien plus sanglantes dans la Ghouta, où les deux pays soutiennent des factions déjà remplies d’animosité », estime Raphaël Lefèvre, chercheur à l'Université d'Oxford.

Mais pour Thomas Pierret, expert de l'islam en Syrie, « les jeux des alliances sont plus déterminés par des équilibres locaux que par des patronages extérieurs » dans la Ghouta.

D'après lui, dans la province d'Idleb (nord-ouest), Ahrar al-Sham risque de « souffrir financièrement d'une réorientation de la politique du Qatar », mais le groupe reste très important pour la Turquie qui joue le médiateur entre Doha et Riyad.

Même l'opposition politique en exil est dispersée dans deux pays : le Haut comité des négociations a son siège à Riyad tandis que la Coalition nationale de l'opposition et les principaux groupes armés sont basés à Istanbul.

Pour Yezid Sayigh, la dispute entre Ryad et Doha « ne devrait pas avoir d'impact d'autant que l'opposition dans son ensemble est devenue un acteur de second rôle ».

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