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« Je compte les jours » : des mères réfugiées prises dans les limbes grecques

Des milliers de femmes et d’enfants réfugiés en Grèce attendent de retrouver leurs familles à travers l’Europe, affirme l’ONU
Une mère assise avec son enfant à proximité d’un camp de fortune près du village d’Idomeni, en Grèce (Reuters)

THESSALONIQUE, Grèce – Elles ont quitté des zones de guerre dans l’espoir de trouver un avenir meilleur pour leurs enfants, mais la vie des jeunes mères réfugiées en Grèce est loin de ce qu’elles avaient prévu.

« Je pensais trouver la paix et la sécurité ici, mais je compte les jours jusqu’à mon départ », a déclaré Ayah, réfugiée syrienne de 23 ans, à MEE.

Ayah a quitté Alep pour la Turquie avec son mari, son fils Yusuf âgé de quelques mois et sa fille aujourd’hui âgée de cinq ans Hayam en 2014. Elle a vécu en Turquie pendant deux ans avant de traverser la Méditerranée pour rejoindre la Grèce.

« Je pensais trouver la paix et la sécurité ici, mais je compte les jours jusqu’à mon départ »

– Ayah (23 ans), originaire d’Alep

« Ma vie en Syrie était belle mais après que mon oncle a été tué devant nos yeux et ma belle-sœur a été abattue par un sniper, je savais que pour l’amour de mes enfants, nous devions partir. »

Selon Ayah, rester plus longtemps à Alep aurait peut-être conduit à l’emprisonnement ou à la mort de son mari.

Des mères réfugiées avec leurs enfants au port du Pirée à Athènes en route vers les îles grecques de Lesbos et Chios en 2016 (AFP)

« Mon mari est recherché par le régime pour combattre aux côtés des forces d’Assad et parce qu’il est Kurde, il est également recherché par le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan qui combat l’État islamique]. S’ils étaient venus pour lui et qu’il avait résisté, cela aurait été la fin. »

Pour arriver en Grèce, Ayah et sa famille ont traversé clandestinement les frontières turques et la Méditerranée, où ils ont failli se noyer dans une frêle embarcation transportant 60 autres personnes.

« J’ai essayé de résister au moment de monter sur ce bateau, mais un des passeurs m’a frappé au visage et m’a forcée à embarquer », a raconté Ayah. « Je me demande comment nous nous en sommes sortis. »

« Vivre dans une prison »

Environ 60 000 réfugiés, principalement des Syriens, des Afghans et des Irakiens, sont bloqués en Grèce depuis plus d’un an après que la fermeture des frontières dans les Balkans a mis fin à la poursuite du voyage que beaucoup avaient prévu vers l’Europe centrale et occidentale.

Plus d’un quart sont des enfants et plus de la moitié des nouveaux arrivants sont des femmes et des enfants, selon les données de l’ONU.

Ayah vit aujourd’hui avec sa famille dans un entrepôt transformé en camp de réfugiés où des dizaines de familles de migrants vivent à la périphérie de la ville grecque de Thessalonique.

« Nous vivons dans une prison et nos compagnons sont des scorpions, des moustiques et des serpents »

– Ayah (23 ans), originaire d’Alep

Avec l’aide de plusieurs ONG internationales, les autorités grecques ont construit des chambres utilisant des cloisons pour abriter quelques-uns des millions de réfugiés arrivant en Grèce au plus fort de la crise des migrants en 2015.

Toutefois, les conditions dans le camp sont de plus en plus difficiles pour Ayah et ses enfants.

« Nous vivons dans une prison et nos compagnons sont des scorpions, des moustiques et des serpents », a déclaré Ayah.

La réfugiée syrienne Ayah tient la main de sa fille de cinq ans, Hayam, tandis qu’elles traversent un camp de réfugiés grec à Thessalonique (Jane Stokes/MEE)

« Nous devons tolérer une chaleur insupportable et chaque fois que nous nous plaignons [aux ONG qui dirigent le camp], nous sommes simplement ignorés. »

Pour Ayah, le pire est de ne pas savoir combien de temps elle et ses enfants devront attendre pour savoir où ils iront ensuite et quand.

Selon l’ONU, des milliers de femmes et d’enfants réfugiés vivent dans les limbes en Grèce, en attendant le jour où ils retrouveront leurs familles dans d’autres pays européens.

« Chaque jour, je demande où en sont nos papiers, mais ils [les ONG] me disent juste d’attendre », a déclaré Ayah qui espère rejoindre son frère aux Pays-Bas et devenir un jour chef professionnel cuisinant des plats traditionnels syriens.

« En attendant, les enfants errent dans le camp sans endroit sûr pour jouer et sans école où aller. »

Ayah désigne un seau qu’elle a rempli d’eau pour que ses enfants s’éclaboussent avec leurs amis au camp.

Effets psychologiques non traités

Comme Ayah, Zainab, une mère de deux enfants âgée de 20 ans et originaire de Bagdad, espérait reprendre une vie normale en Grèce avec ses enfants.

Cependant, elle vit dans la peur de se voir refuser d’aller en Allemagne, où elle espère retrouver ses parents et ses frères et sœurs, qui ont quitté l’Irak il y a quelques années.

« Je ne sais pas quand je partirai et si je pourrais rejoindre ma famille », a-t-elle déclaré à MEE.

« Cela me fait peur de penser qu’après avoir subi tant d’épreuves, je pourrais être abandonnée avec mes deux enfants. »

Une Syrienne pleure en tenant ses enfants après son arrivée sur un canot sur l’île de Lesbos, en Grèce en 2015 (Reuters)

Le regroupement familial peut prendre entre dix mois et deux ans, indique l’Unicef, ce qui rend la vie particulièrement difficile pour ceux qui restent.

L’incertitude a causé « une détresse psychologique et une anxiété importantes pour les enfants et leurs familles, en les retardant pour les années à venir », a déclaré Afshan Khan, directeur régional de l’Unicef.

« J’ai quitté l’Irak pour le bien de mes enfants – plus particulièrement ma fille »

Zainab (20 ans), originaire de Bagdad

Pour Zainab, qui a fui à la fois une zone de guerre et une relation abusive, quitter l’Irak était son seul espoir d’avenir meilleur pour ses enfants.

« J’ai quitté l’Irak pour le bien de mes enfants – plus particulièrement ma fille », a-t-elle déclaré.

Ayant abandonné l’école en CM2 et s’étant mariée à seulement 14 ans, elle voulait absolument offrir à sa fille les opportunités dont elle-même n’avait pu bénéficier.

« J’espère un jour la voir au collège devenant une jeune femme indépendante et éduquée », a-t-elle dit à propos de sa fille de cinq ans, Hayam.

Les horreurs de la guerre

Selon l’Unicef, les réfugiés et les migrants échoués en Grèce, en Bulgarie, en Hongrie et dans les Balkans occidentaux risquent de souffrir de « détresse psychologique » causée par un état de transit prolongé.

Pour Marwa (21 ans), réfugiée syrienne qui a quitté Idleb il y a quatre mois avec sa fille de trois ans Rima et son fils Ibrahim, âgé de 18 mois, venir en Grèce ne l’a pas aidée à surmonter les horreurs qu’elle a connues chez elle.

« Je ne veux pas que mes enfants revivent ces moments ou revoient ce dont ils ont été témoins »

Marwa (21 ans), originaire d’Idleb

« Je n’ai pas reçu de traitement psychologique depuis mon arrivée », a déclaré Marwa, qui vit maintenant avec son mari et ses enfants dans un camp de réfugiés grec en attendant d’être relogés dans des logements indépendants en Grèce ou ailleurs.

Elle rapporte que lorsqu’un hélicoptère ou un avion survole le camp, sa fille Rima s’enfuit de peur en se rappelant la zone de guerre qu’ils ont fuie.

« Quand je pose la tête sur l’oreiller au moment de dormir, je vois encore les morts », a déclaré Marwa à MEE en racontant avoir marché « sur les membres des morts » pour tenter de sortir des décombres d’un marché bombardé où elle et ses enfants avaient été piégés suite à une attaque aérienne.

« Je ne veux pas que mes enfants revivent ces moments ou revoient ce dont ils ont été témoins. »

Outre l’expérience de la guerre civile en Syrie, la détresse psychologique de Marwa a été accentuée par son voyage à travers la Méditerranée depuis la Turquie jusqu’à la Grèce.

Une mère réfugiée lave la vaisselle avec son fils à l’extérieur d’un camp de réfugiés grec à Thessalonique (Jane Stokes/MEE)

Selon Marwa, après sept vaines tentatives, les passeurs l’ont aidée à escalader un mur de séparation de trois mètres de haut à la frontière syro-turque avec ses deux enfants avant de réussir à les amener sur l’île grecque de Chios où son mari attendait.

Marwa se rappelle que la partie la plus difficile du voyage fut de franchir la patrouille turque qui tentait d’empêcher leur bateau d’environ 50 migrants de passer dans les eaux grecques.

« Je rêve d’avoir une maison où mes enfants pourront grandir dans la paix »

– Marwa (21 ans), originaire d’Idleb

Dans le cadre de l’accord européen sur les migrants conclu avec la Turquie le 18 mars 2016, les migrants qui arrivent en Grèce devraient être renvoyés en Turquie s’ils ne demandent pas l’asile.

Elle a indiqué que ce n’est que lorsque les passeurs ont accepté de ramener sept jeunes hommes du côté turc que leur bateau a pu poursuivre son trajet dans les eaux grecques.

« C’était tellement effrayant. Je savais que nous pouvions nous noyer, mais je devais essayer de réunir mes enfants et leur père. »

Des mères tentent de réchauffer leurs enfants après leur arrivée à l’île de Lesbos en juin 2015 (AFP)

Malgré les difficultés qu’elle a rencontrées, Marwa espère qu’un jour elle connaîtra une vie normale avec sa jeune famille.

« Je rêve d’avoir une maison où mes enfants pourront grandir dans la paix. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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