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« La moins mauvaise option » : les réfugiés de Turquie partagés au sujet de la victoire d’Erdoğan

Alors que certains candidats prônaient une ligne hostile aux réfugiés, de nombreux demandeurs d’asile – mais pas tous – saluent le succès électoral du président turc
Selon les estimations, 3,9 millions de réfugiés vivent actuellement en Turquie (AFP)

Tandis que les citoyens turcs se rendaient aux urnes en grand nombre ce dimanche à l’occasion des élections présidentielles et législatives, plusieurs millions de réfugiés vivant dans le pays retenaient leur souffle dans l’attente des résultats.

Dans un pays où la population de réfugiés est estimée à 3,9 millions de personnes – la plus grande au monde –, beaucoup estimaient que leur sort était en suspens. Certains, qui ont reçu la citoyenneté turque, ont pu voter lors de ces élections.

Qu’ils fussent syriens, irakiens, afghans ou même égyptiens, les réfugiés savaient que les résultats des élections pouvaient avoir un effet direct sur leur séjour en Turquie. 

Un accueil chaleureux

Le président Recep Tayyip Erdoğan, qui a été réélu avec une part des suffrages estimée à 52,55 %, est perçu comme étant largement favorable aux réfugiés dans le pays, ce qui a incité beaucoup d’entre eux à le soutenir.

« Je soutiens pleinement Erdoğan parce qu’il considère tous les pays islamiques comme des frères »

– Mohammed Hamdan, réfugié irakien

« Je soutiens pleinement Erdoğan parce qu’il considère tous les pays islamiques comme des frères », a affirmé à Middle East Eye Mohammed Hamdan, un réfugié irakien de 24 ans qui a fui Mossoul en 2016.

« J’ai longtemps souffert de l’horreur de la guerre dans mon pays et je n’ai pas trouvé de meilleur endroit que la Turquie pour reprendre ma vie normale et paisible en tant qu’être humain.

« J’étudie aujourd’hui grâce à une bourse gouvernementale qui couvre mes dépenses, ils m’enseignent le turc gratuitement […] Ils ont fait preuve d’une générosité que je n’ai trouvée dans aucun autre pays où j’ai essayé de voyager », a-t-il ajouté.

Des partisans de l’AKP célèbrent la victoire de Recep Tayyip Erdoğan devant le siège du parti à Istanbul (AFP)

D’autres ont souligné les positions politiques d’Erdoğan sur leur pays respectif comme étant leur principal motif de soutien au dirigeant turc.

« Mon épouse et moi avons voté pour l’AKP et Erdoğan. Notre choix est la préférence logique pour tout réfugié égyptien », a expliqué Ali*, un ressortissant égyptien qui a fui son pays en 2013 suite au coup d’État d’Abdel Fattah al-Sissi et qui s’est vu accorder la nationalité turque.

« Le parti au pouvoir a constamment exprimé son opposition au régime de Sissi et la Turquie est le seul pays qui nous a accueillis en tant que réfugiés et qui nous a donné le droit de travailler. »

Humiliation, répression et politisation

Cependant, la victoire d’Erdoğan n’a pas été saluée unanimement par les réfugiés.

Osama Domane*, l’un des 3,5 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie, se souvient d’avoir été « terriblement humilié » par les forces de sécurité turques en arrivant dans le pays ; il s’est montré cynique quant au soutien déclaré d’Erdoğan en faveur de l’opposition syrienne.

« Je méprise Erdoğan parce qu’il se sert des Syriens pour faire sa propre propagande, a-t-il déclaré à MEE. « Il est contraire à l’éthique qu’un politicien prétende être totalement allié à l’opposition [syrienne] tout en œuvrant pour son propre profit, quels que soient les dégâts qu’il cause au peuple syrien. »

Muharrem İnce, candidat du parti d’opposition CHP, donne une conférence de presse à Ankara le 25 juin 2018 (Reuters)

Sanaa*, une Égyptienne d’une trentaine d’années, a également exprimé sa méfiance à l’égard d’Erdoğan et de son Parti de la justice et du développement (AKP), affirmant que l’attitude répressive du président turc vis-à-vis de l’opposition la touchait personnellement : elle a fui avec sa famille pour la Turquie en 2016 après que son mari a été menacé d’arrestation en raison de son opposition à Sissi.

« Il y a beaucoup de choses que je n’aime pas à propos d’Erdoğan, a-t-elle confié. Il est très intolérant envers l’opposition et je n’approuve pas cela. Je connais des gens qui ont été traités injustement à cause de ses décisions inconsidérées. »

L’obstacle Assad

Néanmoins, malgré les critiques de nombreux réfugiés à l’encontre d’Erdoğan, les programmes électoraux de plusieurs partis d’opposition turcs, considérés comme hostiles aux réfugiés – y compris l’engagement pris par le candidat du Parti républicain du peuple (CHP), Muharrem İnce, de rétablir les relations avec le président syrien Bachar al-Assad –, les ont incités à craindre tout changement du statu quo politique dans leur pays d’accueil.

« Bien qu’il ait commis beaucoup d’erreurs, nous avons salué la victoire [d’Erdoğan] parce que l’alternative aurait été catastrophique pour les réfugiés »

– Sanaa, réfugiée égyptienne

« Bien qu’il ait commis beaucoup d’erreurs, nous avons salué la victoire [d’Erdoğan] parce que l’alternative aurait été catastrophique pour les réfugiés », a déclaré Sanaa. 

« Nous nous préparions à une victoire éventuelle d’un candidat de l’opposition, et la première chose que nous aurions faite aurait été de quitter immédiatement la Turquie.

« Nous ne nous serions plus sentis en sécurité en Turquie. La rhétorique d’İnce est très hostile aux réfugiés et il aurait encouragé ses partisans turcs à se retourner contre les réfugiés », a-t-elle ajouté. 

« Nous avons quitté l’Égypte à cause de l’injustice ; nous ne pouvons pas vivre dans un autre pays dans la crainte de cette même injustice. »

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Alaa al-Mashadane, un Syrien de 29 ans originaire d’Alep qui vit dans le territoire sous contrôle turc de la province d’Idleb, a affirmé pour sa part : « Si vous me demandez qui je voudrais voir au pouvoir en Turquie, je dirais que je n’en ai aucune idée.

« Les autres candidats sont pires qu’Erdoğan. Mais s’il souhaite avoir le soutien des Syriens, il doit cesser de nous manipuler avec ses discours et il doit faire ce qu’il dit. »

Le président syrien Bachar al-Assad (à droite) serre la main du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan lors d'une réunion à Alep le 6 février 2011 (SANA)

Osama Domane a partagé cet avis.

« C’est compliqué pour nous, nous n’avons pas d’autre choix, car les autres candidats avaient promis à leur peuple de renvoyer les réfugiés syriens chez eux et d’ouvrir des relations avec le dictateur syrien [Assad] », a-t-il expliqué.

« Erdoğan est la moins mauvaise option pour que nous puissions conserver une certaine dignité. Est-ce la meilleure ? Absolument pas, et ce ne sera jamais le cas. Mais nous ne pouvons qu’accepter et vivre avec. »

* Les noms ont été changés.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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