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La première batteuse de la bande de Gaza : « Je n’abandonnerai jamais mon rêve »

Nana Ashour poursuit sa passion pour la batterie dans une communauté pas toujours chaleureuse avec les musiciennes
Nana Ashour, première batteuse de l’école Sayed Darwich à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

BANDE DE GAZA – Il ne fait aucun doute que la jeune femme croit en son talent. Alors qu’elle se dirige en toute confiance vers la salle de batterie de l’école de musique Sayed Darwich à Gaza, Nana Ashour, première batteuse de la bande de Gaza, dégage les boucles devant ses yeux. Avant que ses baguettes entament les premières mesures avec l’aide de son professeur, l’adolescente de 16 ans salue poliment tout le monde autour d’elle.

« Jouer de la batterie en concert est mon rêve », a déclaré Nana. « J’imagine sans cesse le moment où je monterai sur scène et verrai la réaction des gens lorsqu’ils regarderont une fille jouer de la batterie. »


Nana se prépare pour son premier concert qui se tiendra au centre culturel al-Mishal dans la ville de Gaza. L’événement organisé par son école de musique mettra également en valeur les talents musicaux du « Sol band » local, dont son professeur, Fares Anbar (22 ans), est également membre.

Nana finira le lycée l’année prochaine et rêve d’avoir plus d’occasions de se produire devant un public qui respecte et apprécie son talent. Jouer de la batterie dans une communauté conservatrice n’a pas toujours été facile pour elle. Bien qu’elle ait bénéficié de beaucoup de soutien, Nana a également fait face à de nombreuses critiques.

« J’imagine sans cesse le moment où je monterai sur scène et verrai la réaction des gens lorsqu’ils regarderont une fille jouer de la batterie. » – Nana Ashour, première batteuse de Gaza

L’un de ces défis venait de son propre cercle d’amis qui l’a accusée de manquer de respect à la culture et aux traditions.

« Certains d’entre eux ne m’adressent plus la parole », a-t-elle expliqué.

Ses pairs et leurs parents l’ont également critiquée, certains refusant même de croire que cela se passait à Gaza. « Est-ce à Gaza ? Cette fille devrait [étudier] à l’école », s’est plaint l’un deux. D’autres ont prétendu qu’il était haram pour les filles d’apprendre la musique dans l’islam. « Ce n’est pas acceptable dans l’islam », tandis qu’un autre insistait : « Pourquoi joue-t-elle de la musique ? Elle ne porte pas le hijab ! »

Pour certains, le seul fait de vivre sous le siège israélien depuis 2007 signifie que tout plaisir doit être évité. « Nous vivons dans le malheur, alors que ces enfants jouent de la musique et dansent ? », s’étonnait quelqu’un.

Heureusement, les parents et la famille de Nana l’ont bien soutenue et l’ont encouragée à se servir de son talent. Aînée de quatre sœurs, elle est consciente de l’ouverture d’esprit de sa famille. Sa mère, journaliste, l’encourage particulièrement.

« Il est inhabituel pour les parents à Gaza de permettre à leur fille d’apprendre à jouer de la batterie, ou de se rendre seule dans une école de musique » – Nana Ashour

« J’ai beaucoup de chance d’être entourée de gens qui croient en mon talent, a-t-elle estimé. « Il est inhabituel pour les parents à Gaza de permettre à leur fille d’apprendre à jouer de la batterie, ou de se rendre seule dans une école de musique ; mais mes parents me font confiance et j’apprécie leur façon unique de m’élever. »

Fares Anbar a expliqué que même les parents qui sont prêts à autoriser leurs filles à apprendre et à pratiquer la musique refusent souvent toute forme de publication de vidéos ou de photos et ne permettent pas à leurs filles de jouer lors de concerts.

« Certains parents savent que leurs filles sont douées, mais ils préfèrent ne pas affronter la société », a-t-il expliqué. « Cela affecte les jeunes filles et les décourage parce qu’elles estiment que leur talent est un tabou ou un acte inacceptable. »

Ibrahim al-Najjar (70 ans), directeur du Conservatoire national de musique Edward Said de Gaza (ESNCM), a souligné que les jeunes filles de Gaza préfèrent généralement jouer des instruments tels que le piano, la guitare ou le violon. Selon lui, Nana est unique pour avoir choisi la batterie.

Comment tout a commencé

Avant de retourner à Gaza en 2015, la famille Ashour a vécu en Égypte pendant cinq ans. Pendant cette période, Nana a pu améliorer ses talents musicaux tout en participant à des concerts scolaires et des activités caritatives.

« Ce n’est pas acceptable dans l’islam »…
« Pourquoi joue-t-elle de la musique ? Elle ne porte pas le hijab ! »

Remarques de parents à Gaza

« Quand j’avais neuf ans, je suis allée en Égypte avec ma famille. Pendant que nous marchions dans al-Hussein, un vieux quartier regorgeant d’instruments de musique et d’antiquités, je tenais un tabla, un tambour oriental, et j’ai commencé à jouer dessus », a-t-elle raconté à MEE. « Le propriétaire de la boutique a apprécié ma performance et m’a donné un petit tabla en cadeau. C’était mon premier instrument de musique », a-t-elle précisé.

Contrairement à Gaza, en Égypte, Nana avait beaucoup d’amis qui jouaient des instruments de musique et l’ont encouragée à développer son talent. Toutefois, elle était toujours la seule fille du groupe scolaire à jouer du tabla.

Nana Ashour pratiquant la batterie à l’école de musique Sayed Darwich à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

C’est en octobre dernier que Nana a décidé de franchir une étape importante pour réaliser son rêve musical d’être batteuse professionnelle et elle a commencé ses cours à l’école de musique Sayed Darwich.

Un talent spécial malgré les défis

En raison du coût élevé de la batterie, Nana n’en a pas actuellement chez elle. En outre, les nuisances sonores sont parfois un problème pour les voisins. Pourtant, cela ne l’a pas empêchée de pratiquer chez elle, car sa créativité a apporté de l’innovation à son jeu de batterie.

Les véritables tambours prennent la forme d’ustensiles ménagers alternatifs tels que des récipients en plastique ou en acier et des casseroles, et de grandes cuillères en bois se transforment en baguettes maison.

« Bien que cela air l’air drôle, j’aime beaucoup pratiquer et je me sens m’améliorer », a déclaré Nana.

La qualité des instruments de musique est une autre difficulté pour les musiciens de la bande de Gaza, car ils sont difficiles à trouver. Il n’y a qu’une batterie à l’école Sayed Darwich, qui est « vieille et médiocre », selon Fares ; mais pour l’instant ils doivent se contenter de ce qu’ils ont.

L’exception à cette règle se présente chaque fois que les vidéos doivent être enregistrées, et l’emprunt d’une meilleure batterie à d’autres batteurs de Gaza constitue leur meilleure option.

« Je ferai de mon mieux pour la rendre fière et inspirer les autres filles qui ont des rêves, mais ont l’impression qu’elles ne peuvent les concrétiser » – Nana Ashour

Fares peut comprendre Nana puisqu’il était aussi enfant lorsqu’il a commencé à jouer de la batterie à l’âge de six ans.

« J’ai été stupéfait par sa volonté d’apprendre. J’ai enseigné la batterie pendant deux ans, mais c’était la première fois que je rencontrais une fille avec un tel talent », a affirmé Fares.

« J’ai l’impression de jouer avec un étudiant. C’est une bonne musicienne et un futur prometteur l’attend », a-t-il ajouté.

En février, une vidéo d’une minute de Fares et Nana jouant de la batterie est devenue virale sur Facebook et sur les réseaux sociaux. Les réactions ont été si positives que plus de quinze filles se sont inscrites à des cours à l’école Sayed Darwich, dont quatre ont choisi d’apprendre la batterie.

« Dans notre première vidéo, nous nous sommes concentrés sur les percussions et les rythmes orientaux, car ils sont plus faciles pour Nana, en tant que débutante, et plus familiers pour l’auditeur lambda de Gaza », a déclaré Fares.

Une nouvelle génération de musiciens palestiniens

Selon Ibrahim Najjar, l’amour des filles pour la musique est un « instinct émotionnel naturel ».

« Je travaille dans ce domaine depuis 46 ans, selon mon expérience, les filles ont tendance à apprendre la musique plus que les garçons. Dans notre école de Gaza, nous comptons 180 étudiants, dont 120 filles âgées de 12 à 17 ans », a-t-il indiqué.

L’ESNCM est une institution sans but lucratif qui possède des écoles à Jérusalem, Ramallah, Bethléem, Naplouse et Gaza. Les étudiants ne paient que de petites cotisations annuelles, de sorte que le conservatoire dépend de projets financés par des donateurs locaux et internationaux.

« Dans quelques années, les actuels étudiants seront diplômés et ils créeront une véritable révolution musicale dans la société de Gaza » – Ibrahim al-Najjar, directeur de l’ESNCM

Chaque année, l’ESNCM organise des festivals de musique qui donnent aux musiciens et aux groupes locaux la possibilité de jouer sur les scènes de Gaza et de Cisjordanie.

Pour Najjar, les institutions musicales ont planté une graine dans la société palestinienne en enseignant la musique à des dizaines d’enfants.

« Dans quelques années, les actuels étudiants seront diplômés et ils créeront une véritable révolution musicale dans la société de Gaza », a déclaré Najjar.

Il ne craint pas de se vanter de la qualité des musiciens de Gaza, ni de leur potentiel.

« Nous parlons de musiciens professionnels et hautement qualifiés qui représenteront la Palestine et Gaza dans les événements locaux et internationaux. Ces jeunes musiciens, en particulier les filles, toucheront directement ou indirectement les autres, provoquant un phénomène musical particulier », a ajouté Najjar.

Gaza est « plein de dangers »

Aujourd’hui, Nana et Fares se préparent pour leur deuxième vidéo qui comprendra des techniques avancées et des rythmes occidentaux.

Nana Ashour, la première batteuse à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

Malgré son amour pour la musique, Nana s’inquiète de son avenir dans un endroit « plein de dangers » comme Gaza, mais elle a toujours quelqu’un à ses côtés : sa mère.

Nana n’hésite pas à chanter les louanges de sa mère journaliste, qui est son modèle. « Je ferai de mon mieux pour la rendre fière et inspirer les autres filles qui ont des rêves, mais ont l’impression qu’elles ne peuvent les concrétiser », a-t-elle déclaré.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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