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La situation économique pousse de nombreux réfugiés syriens à marier les mineurs

Avec la poursuite du conflit en Syrie, le nombre de réfugiés syriens qui ont recours au mariage des enfants pour faire face à la situation économique est en hausse
Aaliya et sa mère devant la maison qu’elles louent dans la région du Chouf, au Liban, après avoir été contraintes à quitter Alep (MEE/Oriol Andrés Gallart)

Quand les docteurs ont annoncé à Noor qu’elle avait fait une fausse couche à cause des mauvais traitements infligés par son mari, elle s’est sentie soulagée. Si elle avait eu un enfant, elle aurait été condamnée à rester avec son mari alors qu’à cette époque, elle envisageait déjà de divorcer. Agée d’un peu moins de 15 ans, elle était restée mariée pendant environ huit mois.

Assise dans le container métallique où elle vit au Liban, dans la vallée de la Bekaa, Noor fait le récit de son douloureux mariage. Lorsque la guerre civile syrienne s’est propagée à sa ville natale d’Hama, dans la province  d’Idlib au nord de la Syrie, les parents de Noor ont décidé de la marier à un membre de la famille de huit ans son ainé qui se trouvait au Liban. Une dot de 400 dollars a facilité la transaction. A ce moment, Noor n’avait que 13 ans et allait encore à l’école.

« Au début, il était gentil mais au bout de trois mois, son comportement a changé. Il a commencé à me frapper », relate Noor. Après un an et demi de mauvais traitements, et grâce au soutien d’une voisine plus âgée, Noor a demandé le divorce malgré les tentatives de sa famille de la convaincre de se taire et de supporter la situation. Elle a finalement obtenu le divorce.

Depuis le début de la guerre civile en Syrie, plusieurs organisations et agences ont tenté d’attirer l’attention sur la hausse des mariages précoces chez les réfugiés syriens au Liban. En 2014, une enquête de l’ONU a alerté sur le fait que le mariage précoce était devenu un phénomène très répandu, « à des taux plus élevés que les moyennes observées en Syrie avant l’éruption de la crise humanitaire, avec 18 % des jeunes femmes interrogées âgées entre 15 et 18 ans affirmant avoir été mariées ».

En Jordanie, selon un report de l’ONG internationale Save the Children intitulé « Too Young to Wed » (Trop jeunes pour être mariées), un mariage sur quatre entre réfugiés syriens dans le pays implique une fille âgée de moins de 18 ans. En 2011, le chiffre était de 12 %. En Irak, le nombre de mineures syriennes ayant contracté un mariage a également augmenté, et une similaire hausse a aussi été constatée en Egypte et en Turquie.

Les avantages liés aux mariages des enfants

Maria Semaan, coordinatrice du programme de protection infantile pour l’ONG libanaise de défense des droits des femmes KAFA Violence and Exploitation, explique que le mariage précoce est enraciné dans les traditions religieuses et culturelles.

« Le mariage précoce est lié aux traditions et à la culture », dit-elle. « Toutes les religions ici l’autorisent, donc c’est devenu une tradition ou, tout du moins, c’est accepté culturellement. En outre, le mariage précoce est considéré comme une façon d’empêcher les relations sexuelles avant le mariage. »

Maria Semaan ajoute toutefois que « dans le cas des réfugiés syriens, il y a aussi un facteur économique ».

Les opportunités d’emploi pour les réfugiés syriens dans les pays d’accueil sont rares et étant donné que le conflit syrien entre désormais dans sa cinquième année, de nombreuses familles ont épuisé leurs ressources et font face à des difficultés. Le mariage d’une fille est perçu comme une manière de réduire les dépenses et, d’autre part, la dot peut fournir une forme de revenu.

« Ces parents ne pensent pas qu’ils font quoi que ce soit de mal à leurs enfants. Pour eux, c’est légal », observe Semaan.

Cependant, des organisations internationales comme Save the Children indiquent que le mariage des enfants « privent souvent la fille de son droit à une éducation et la rend beaucoup moins capable de tirer profit des opportunités économiques. Ainsi, les filles mariées, qui proviennent le plus souvent de familles pauvres, resteront probablement pauvres ».

Noor se tient à l’entrée de la pièce où elle vit avec sa famille, dans la vallée de la Bekaa (MEE/Oriol Andrés Gallart)

Impact psychologique et physique

Cette observation s’applique au cas de Noor, qui raconte qu’elle a été forcée d’arrêter l’école après son mariage. Dans son nouvel environnement conjugal, elle s’est retrouvée isolée socialement, loin de son cadre familial et des autres enfants de son âge.

« Il y a un impact psychologique », fait remarquer Maria Semaan. « Votre enfance vous manque, vos amis vous manquent, vous vous retrouvez avec de nombreuses responsabilités auxquelles personne ne vous a préparée. C’est dur quand on est encore une enfant de prendre soin d’un autre enfant. Il faut aussi être mûre pour vivre avec une autre personne et développer avec lui une relation égalitaire. Les mariages précoces privent les filles de l’opportunité d’être considérées sur un pied d’égalité et de grandir sainement. »

Il y a aussi les risques physiques liés à une grossesse précoce. L’Organisation mondiale de la santé indique que « les complications liées à la grossesse et à l’accouchement sont la seconde cause de mortalité chez les filles âgées entre 15 et 19 ans de par le monde » et le risque de décès des nouveau-nés de mères adolescentes est aussi « substantiellement plus élevé ».

Deeba, elle aussi originaire d’Idlib, était paniquée et effrayée lors de la première nuit qu’elle a passée avec son mari, il y a deux ans. Elle avait 18 ans mais personne ne lui avait jamais rien dit au sujet des relations sexuelles.

« C’était douloureux », se souvient-elle. Son mari avait neuf ans de plus qu’elle et ils ne se connaissaient pas avant le mariage.

Même si Deeba n’était pas mineure, ses parents l’ont obligée à se marier « en raison de la situation économique difficile dans laquelle se trouvait la famille et des circonstances politiques ». Comme Noor, Deeba et son mari vivent dans un camp de réfugiés informel dans la vallée de la Bekaa.

« Je voulais poursuivre mes études et devenir avocate », confie Deeba, « mais je suis tout de suite tombée enceinte. Maintenant, je suis coincée à cause de mon fils ».

Ancrés dans la tradition ; frappés par la pauvreté

Sabah al-Hallak, une activiste de longue date à la Ligue des femmes syriennes, fait observer que les raisons derrière la hausse des mariages précoces parmi les réfugiés sont essentiellement liées à la « pauvreté, aux traditions religieuses et à un désir de protéger les filles des abus sexuels ». Les réfugiés et les ONG font souvent état de cas d’abus sexuels à l’encontre des jeunes réfugiées, en particulier dans les camps de tentes.

Al-Hallak préfère le terme « mariage forcé » à celui de « mariage précoce » parce que le problème principal, à son avis, est que « dans tous les cas, ce n’est pas la fille qui décide ».

Mira Faddoul, chargée du programme de protection infantile à KAFA, précise que les mariages forcés et les mariages impliquant des mineurs résultent de la « mentalité patriarcale qui est présente dans la région ».

« Les hommes sont habitués à prendre toutes les décisions et sont même autorisés à décider pour leurs filles », explique Faddoul.

Le mariage des enfants constitue une infraction à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Convention relative aux droits de l’enfant.

Cependant, actuellement au Liban, tout comme en Syrie, les lois relatives au statut personnel dépendent de la religion des personnes. En Syrie, toutes les religions acceptant le mariage précoce, indique Hallak. Pour la population musulmane, majoritaire, l’âge minimum requis pour le mariage est de 18 ans pour les garçons et de 17 ans pour les filles. Mais le mariage précoce est permis s’il est autorisé par le tuteur de l’enfant. Dans ce cas, l’âge minimum est de 15 ans pour les garçons et de 13 ans pour les filles.

Ce sont les autorités religieuses qui décident si un mariage peut avoir lieu ou non, même lorsque les époux sont mineurs. C’est la raison pour laquelle KAFA recommande de fixer l’âge légal du mariage au Liban à 18 ans.

La question inquiète également le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Dana Sleiman, la porte-parole de l’organisation au Liban, explique que le HCR se concentre sur les communautés vulnérables à faible revenu où le mariage des enfants est plus courant dû aux effets de la pauvreté.

« Nous essayons de leur fournir de l’aide afin qu’ils n’aient pas à recourir à ce type de solutions, précise-t-elle. Nous tentons aussi d’informer les réfugiés au sujet des services et solutions disponibles en dehors du mariage infantile. »

Cependant, selon Faddoul, ce travail a aussi ses dangers.

« Nous cherchons à le faire de façon très subtile parce qu’elles [les familles] pourraient penser que nous tentons d’imposer des idées occidentales qui peuvent rompre le tissu familial », explique-t-elle.

« Les mères qui ont elles-mêmes été mariées tôt vous diront habituellement qu’elles n’étaient pas heureuses à cause de cela. Toutefois, certaines font la même chose avec leurs filles parce que c’est la tradition – même si elles savent qu’elles n’en ont pas le droit et que ce n’est pas juste. »

Une jeunesse retrouvée

Hallak précise que le mariage forcé est davantage pratiqué dans le nord et le sud-est de la Syrie. Elle note aussi qu’en raison de la proximité historique entre le Liban et la Syrie et entre leurs populations respectives, les familles syriennes ont tendance à marier leurs filles à des garçons syriens ou libanais. En revanche, dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie, de nombreux « hommes du Golfe viennent épouser de jeunes filles, en donnant beaucoup d’argent à leurs parents », ce qui est considéré par nombre d’ONG et de défenseurs des droits de l’homme comme une forme de trafic d’êtres humains.

La mère d’Aaliya est parvenue à rompre les fiançailles de sa fille de 12 ans alors qu’elle avait elle-même participé à l’arrangement.

Originaire de la province d’Alep, au nord de la Syrie, la famille d’Aaliya a été contrainte de partir se réfugier au Liban. Une fois là-bas, la mère n’a pas apprécié l’attitude du fiancé d’Aaliya et a insisté à ce que soit mis fin aux fiançailles.

Elle admet que s’ils étaient restés en Syrie, une telle décision n’aurait pas été possible à cause de la pression écrasante des traditions, des mœurs et des normes familiales.

« Le fait d’être au Liban, loin de notre communauté, nous a permis de le faire », confie-t-elle. « Maintenant, Aaliya a retrouvé sa jeunesse ».


Traduction de l'anglais (original).

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