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Le Hezbollah conserve le soutien libanais malgré le lourd tribut payé en Syrie

Après avoir perdu jusqu’à 1 500 combattants en Syrie, le groupe s’est maintenant engagé à envoyer plus de troupes pour soutenir le gouvernement syrien. Peut-il dans ce contexte conserver sa base de soutien ?
La semaine dernière, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Beyrouth pour pleurer Mustafa Badreddine, l’un des principaux chefs du Hezbollah (AFP)

BEYROUTH - Dans un sous-sol inachevé au-dessus duquel flottent trois drapeaux du Hezbollah, les membres du cortège funèbre, vêtus de noir, encerclent les quatre rangées de tombes où reposent des combattants.

Le mausolée des martyrs dans la banlieue sud de Beyrouth abrite plus d'une centaine de combattants libanais du Hezbollah tombés au combat en Syrie, où le groupe soutient le président syrien Bachar al-Assad depuis 2012. C’est l'un des innombrables lieux de sépulture dispersés dans tout le pays pour accueillir les soldats tombés au combat.

La plupart de ceux qui reposent ici avaient la vingtaine quand ils sont morts comme l’attestent les photos placées sur les pierres tombales. Quelques-uns sont tombés à un âge encore plus tendre : le plus jeune avait seulement 17 ans quand il est mort en combattant l'un des innombrables groupes d'opposition en Syrie voisine.

Depuis que le Hezbollah a pris part à la mêlée en soutien de son voisin, on estime qu’entre 900 et 1500 combattants ont été tués, et un bien plus grand nombre blessés.

L'exposition du groupe en Syrie a été brutalement rappelée la semaine dernière, lorsque le plus haut chef militaire du Hezbollah, Mustafa Badreddine, a été tué dans des circonstances controversées sur une base de commandement secrète près de l'aéroport de Damas.

Malgré ces pertes, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a déclaré que, suite de la mort de Mustafa Badreddine, le groupe allait renforcer son soutien au gouvernement syrien.

« Nous enverrons encore plus de commandants en Syrie. Nous serons présents de différentes façons, et nous continuerons le combat », a-t-il déclaré dans un discours télévisé.

Baddredine est enterré dans le mausolée, où son cercueil repose à côté de la tombe de son prédécesseur, Imad Mughnieh, tué en Syrie en 2008, également dans des circonstances très disputées.

Lors des funérailles de Badreddine, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Beyrouth pour exprimer leur douleur suite à son assassinat, mais la communauté chiite du Liban connait bien le sens du sacrifice et de la perte d’êtres chers.

« Nous sommes ici rassemblés en  mémoire de nos martyrs et pour affirmer notre union », a déclaré à Middle East Eye un jeune homme venu honorer Mustafa Badreddine ainsi qu’un membre de sa propre famille.

Un mausolée plus ancien se dresse près du nouveau, où reposent les corps de centaines de combattants morts au combat contre les Israéliens, que ce soit pendant l'occupation israélienne prolongée au sud Liban (levée en 2000), ou au cours des nombreuses guerres et escarmouches ultérieures qui ont secoué la région .

Le nombre des victimes ne cesse de s’alourdir et l’on sait désormais que le groupe va accroître son soutien au gouvernement Assad, la question se pose donc de savoir si le Hezbollah ne risque pas d'aliéner sa base de soutien traditionnelle.

Un très lourd tribut

Le conflit syrien est sans doute le conflit le plus meurtrier dans lequel le Hezbollah s’est impliqué depuis sa création, dans les années 1980, pour lutter contre l'invasion israélienne du Liban.

Malgré l'absence de chiffres officiels, on estime qu’il subit des pertes massives depuis des années. Quand on entre dans les cimetières situés dans les zones à majorité chiite, entre autres dans la banlieue sud de Beyrouth et dans la plaine de la Bekaa (d’où le Hezbollah tire son soutien), on ne peut que constater la multiplication de nouvelles tombes ornées de drapeaux du groupe et des photos des morts en uniforme militaire.

« Ils n’ont jamais eu autant de pertes à déplorer qu’actuellement », a révélé à Middle East Eye Nicholas Blanford, journaliste installé au Liban depuis plus de vingt ans et qui suit de près la situation du Hezbollah.

On pourrait penser que le nombre élevéde victimes provoqueraient un ressentiment croissant. Or, selon Nicholas Blanford, le Hezbollah fait de ces funérailles un rituel soigneusement élaboré et exploité pour renforcer le nombre de ses partisans.

« Ces funérailles sont l'occasion d'honorer les martyrs, d’honorer la famille du martyr, et de rendre hommage à son rôle de martyr, de combattant mort pour le Hezbollah et pour la cause », affirme-t-il.

Dans nombre de quartiers à domination chiite, de nombreux signes témoignent qu’il s’agit en effet d’une machine de propagande bien coordonnée.

À l’entrée de Dahieh, nom de la grande banlieue chiite de Beyrouth, la présence du mouvement saute aux yeux. Le parti a déjà déployé une grande bannière avec le visage de Badreddine sur l’avenue Hadi Nasrallah, l'une des principales voies routières de la région, ainsi appelée en mémoire du fils d’Hassan Nasrallah, chef du mouvement, mort au combat contre Israël en 1997.

Elle s’ajoute aux nombreux panneaux accrochés aux poteaux, fixés sur les bâtiments ou placardés sur les murs des grandes avenues et des ruelles où les pancartes du Hezbollah rivalisent avec celles de l'autre parti politique chiite majeur, Amal. On voit partout des affiches à caractère religieux, des banderoles déplorant la situation en Palestine et des panneaux rappelant l'amitié entre dirigeants iraniens et libanais.

Des membres du Hezbollah tiennent le portrait de Mustafa Badreddine lors de ses funérailles à Beyrouth (AFP)

« Le Hezbollah accorde depuis toujours une grande importance au soutien de la communauté, et il a toujours veillé à le conserver », explique Nicholas Blanford. « S’ils perdaient le soutien de la communauté, ils seraient finis ; et tout l’argent en provenance de l’Iran, tous les nouveaux systèmes d'armes… ne pourraient rien y changer. »

Middle East Eye a demandé au Hezbollah de réagir à cet article, mais le groupe n'avait pas encore répondu au moment de la parution.

Après avoir annoncé le renforcement des déploiements du groupe en Syrie, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a récemment déclaré que la Syrie est plongée dans la guerre en raison de son soutien aux mouvements de résistance en Palestine et au Liban. Il a également souvent recours à une véhémente rhétorique anti-américaine et anti-israélienne, dans l'optique de rallier des soutiens à sa cause.

Cette propagande, cependant, n’est que le prolongement d'une stratégie plus large, développée par le groupe au cours des dernières décennies – puissante combinaison qui a permis au Hezbollah de passer du stade de simple milice armée au statut d’ « État dans l'État », comme l’appellent généralement ses ennemis.

Le Hezbollah a réussi à atteindre ce statut d'une part en promettant de s'opposer à l'agression israélienne, tout en offrant des services essentiels aux populations généralement défavorisées des quartiers chiites et en s’efforçant d’atténuer les difficultés de la vie quotidienne, comme la pauvreté.

« Cet état [le Hezbollah] comprend un réseau d’institutions diverses qui [fournit] un large éventail de services aux électeurs chiites », a déclaré Ziad Majed, chercheur libanais en sciences politiques, dans un article récent sur le rôle du Hezbollah dans la communauté chiite.

« Ce réseau [est fait] d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires ; de coopératives de consommateurs, et d’autres en faveur du logement et de la construction ; de clubs sportifs et culturels et de groupes de jeunes et de femmes, ainsi que de troupes de scouts. Ce réseau d’activités sociales et sportives [complète] bien sûr les structures du parti lui-même, dont ses antennes médiatique, militaire, politique et sécuritaire. »

Bilal Khamj, coordinateur médias de Ghobeiry for Everybody (« Ghobeiry pour tout le monde »), liste électorale qui a présenté des candidats contre le Hezbollah dans les zones chiites lors des récentes élections municipales, a déclaré à MEE que le Hezbollah exploitait son pouvoir pour se rendre indispensable à la population.

« C’est une zone très défavorisée et comme ils [le Hezbollah] sont forts et bien organisés, ils rendent aux gens des services en échange de leur soutien » a-t-il déclaré.

Il explique que le Hezbollah a créé un système de népotisme profondément ancré au niveau local, où les nécessiteux se voient offrir de l'argent pour se soigner ou scolariser les enfants, mais sous condition d’une loyauté indéfectible.

« Le prix [de leur argent] c’est l’assurance de votre soutien », a-t-il confié. « [Le Hezbollah] estime que ceux qui ne soutiennent pas la résistance sont contre lui. »

D’après de récents rapports, des combattants mécontents ont exprimé leur « ras-le-bol » des combats en Syrie et se sont rapidement retrouvés, eux et leur famille, privés des avantages sociaux que le Hezbollah leur octroyait.

Bilal Khamj et son groupe luttent avec détermination contre cette hégémonie et affirment: « nous défendrons notre position contre l’emprise du Hezbollah et d’Amal ». Mais à ce jour Ghobeiry for Everybody n'a visiblement pas réussi à l’emporter contre son ennemi juré, puisque son réseau de patronage parvient toujours à l'heure actuelle à endiguer le ressentiment par rapport à la Syrie.

Les communautés dominées par le Hezbollah observent une culture du secret, et il est souvent difficile d’amener les gens à formuler ouvertement des critiques, mais analystes et résidents s’accordent à penser que le soutien du Hezbollah ne s'essouffle pas, en dépit des problèmes en Syrie.

Ali n’a accepté de parler à MEE que sous couvert d’anonymat. Il passe la  moitié de son temps à faire tourner le café familial dans l'un des quartiers populaires surpeuplés de la banlieue sud et l’autre dans un centre de soins géré par le Hezbollah.

Il parle souvent du Hezbollah avec son ami. « Il nous arrive de critiquer le Hezbollah sur des points mineurs comme leur façon de gérer cette zone ou quand on n’est pas d’accord avec certaines déclarations de leurs responsables à la télévision », explique-t-il. « Mais nous sommes d'accord sur les points importants, comme la lutte contre la menace « takfir » (des mécréants). »

Ali habite à quelques mètres de l'épicentre de l'un des attentats suicides revendiqués par le groupe État islamique en représailles à l'implication du Hezbollah en Syrie, qui a fait des dizaines de victimes. Depuis le début de la guerre syrienne, la banlieue sud de Beyrouth a subi pas moins de sept attentats, et des dizaines de personnes y ont perdu la vie.

Nicholas Blanford prétend que, si une partie de la population « ne supporte plus la présence écrasante du Hezbollah », ces attentats ont en fin de compte « terrorisé la ville » et accru le soutien à ce groupe.

Le Hezbollah s’est également attaché à rallier des partisans et à minimiser les divisions en unissant ses forces avec Amal, l'autre groupe chiite majeur, et avec le Free Patriotic Movement, parti chrétien. Aux dernières élections municipales, ces deux groupes ont présenté des candidats communs.

Maintenant que le soutien du Liban est plus ou moins acquis au Hezbollah, Nicholas Blanford pense que sa campagne militaire en Syrie « peut se maintenir, du moins actuellement ».

« Elle a certes un impact psychologique, mais en termes de ressources humaines, c’est possible », tant que l'argent continue à se déverser dans les caisses en soutien de l'ensemble des prestations sociales distribuées par le Hezbollah.

« Depuis quelques temps, ils [le Hezbollah] reçoivent moins de financement de la part de l'Iran [qui doit aussi consacrer des ressources à la Syrie] et ils vont désormais pâtir des nouvelles sanctions américaines », explique Nicholas Blanford.

« Mais s’ils parviennent à franchir ce cap, ils seront probablement en mesure de maintenir leur soutien », a-t-il estimé. 

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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