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L’ennemi de l’intérieur : le combat de la Jordanie contre ses terroristes

Une bataille de 11 heures à Irbid, dans le nord du pays, a permis de déjouer une attaque majeure de l’EI en Jordanie. Toutefois, la cellule n’a traversé aucune frontière : elle a grandi en son sein
Les forces jordaniennes se lancent dans le combat à Irbid (AFP)

Il s’agit du plus important incident lié au terrorisme en Jordanie depuis une dizaine d’années : une opération de deux semaines qui a abouti à un échange de tirs nourris pendant onze heures dans la ville septentrionale d’Irbid, laquelle a été suivie par des déclarations selon lesquelles les forces de sécurité avaient permis d’éviter une attaque de grande envergure du groupe État islamique (EI) visant le cœur du pays.

Cependant, la bataille de mardi, qui a entraîné la mort d’au moins sept militants, fait craindre que, en dépit de tous les efforts déployés par la Jordanie pour fortifier ses frontières avec la Syrie et l’Irak ravagés par la guerre, le plus grand risque pour la stabilité du pays puisse déjà se trouver au sein même de ses frontières.

Selon la Direction générale du renseignement (GID), le raid de mardi soir à Irbid a permis de déjouer le projet d’une cellule de l’EI visant à attaquer à la fois des sites civils et militaires « afin de déstabiliser la sécurité nationale ». Ce même communiqué indiquait que les personnes tuées portaient des ceintures d’explosifs et que des armes automatiques, des explosifs et des détonateurs avaient été trouvés sur les lieux.

Les affrontements se sont concentrés dans la zone d’Hanina, un ancien camp palestinien près du cœur d’Irbid. Les habitants ont rapporté que les premiers coups de feu avaient été entendus autour de 16 h. Une heure plus tard, la vidéo prise dans la zone centrale d’Irbid montre des piétons se mettre à paniquer lorsque les véhicules des forces spéciales déboulent dans la rue principale.

À 20 heures, les forces de sécurité avaient coupé l’électricité dans environ 30 rues de Hanina, laissant la ville dans l’obscurité et résonnante des salves de coups de feu et des explosions des grenades.

Autour de 22 heures, les agents de sécurité sur les lieux ont dit à MEE que l’opération était toujours en cours et que les forces spéciales se battaient contre « de très mauvaises personnes de ce monde ».

Les combats n’ont cessé de gagner en intensité et, à minuit, les informations locales ont rapporté qu’une vingtaine d’autres véhicules de police étaient en route vers le nord en direction d’Irbid. Cinq soldats et deux passants ont été blessés et le capitaine Rashid Hussain Zyoud a été tué.

Aux abords de la zone touchée, de petits groupes de jeunes hommes se sont regroupés dans les ruelles sombres, écoutant la bataille qui faisait rage. Un Palestinien qui a souhaité garder l’anonymat a dit avoir passé du temps dans la bande de Gaza et divers points chauds en Libye, mais n’arrivait pas à croire qu’il entendait ces sons à Irbid.

Un autre, un jeune homme de 28 ans qui a dit s’appeler Tarek, acquiesce : « C’est normal à Maan, mais ici, c’est la première fois. »

Malgré la proximité de la guerre de Syrie – Irbid n’est qu’à 15 km de la frontière – et le fait que sa population a doublé au cours des cinq dernières années, gonflée par les réfugiés syriens, la ville, comme une grande partie de la Jordanie, n’a connu aucune des crises sécuritaires qui sont monnaie courante à Maan, une ville historiquement rétive dans le sud du pays.

Maan elle-même est en quelque sorte une anomalie. La Jordanie, dirigée par le roi pro-occidental Abdallah II, est en grande partie à l’abri des attentats-suicides, des voitures piégées et des raids qui ont tellement déstabilisé les autres voisins de la Syrie, la Turquie et le Liban.

Et alors que la Turquie et le Liban sont connus pour leurs frontières poreuses avec la Syrie, la Jordanie a adopté l’approche opposée et est restée remarquablement stable. Le GID a déjoué plusieurs attentats dans le passé, maintenant la sécurité dans les rues et les espaces publics du pays.

Cependant, l’ampleur de l’opération de mercredi – à la fois par le nombre des forces de sécurité nécessaires pour contrôler la situation et la durée des combats – montre que des éléments déstabilisateurs ont réussi à s’établir et se développer, même sous l’examen attentif du service de sécurité du pays, largement perçu parmi les plus efficaces de la région.

La dernière expérience de la Jordanie avec les violences liées au terrorisme remonte à 2005, lorsque des kamikazes d’al-Qaïda en Irak, le précurseur de l’EI, avaient tué plus de 60 personnes dans des attaques contre trois hôtels d’Amman.

La cellule ciblée par l’opération de mardi n’a pas été formellement identifiée, mais les communiqués du gouvernement sont passés de l’utilisation du qualificatif de « hors-la-loi » à « terroristes ». Aux cordons de sécurité, les agents des forces spéciales ont déclaré qu’ils se battaient contre le terrorisme et, dans les ruelles sombres, les spectateurs murmuraient le nom de Daech – l’EI.

Toutefois, les affrontements de mardi ne sont pas le résultat d’un raid transfrontalier ou d’un débordement de l’EI, puisqu’il s’agit d’un problème local.

« Irbid est, et ce depuis des années, une zone où l’EI – et non le Front al-Nosra – est influent. Les principaux dirigeants de Zarqa et Mafraq ont opté pour l’aile al-Nosra de la pensée salafiste djihadiste, mais à Irbid, l’idéologie dominante est celle de l’EI, pas d’al-Qaïda », a déclaré Kirk Sowell, un spécialiste de longue date du mouvement salafiste jordanien.

En effet, deux des supporters les plus éminents de l’EI en Jordanie sont originaires d’Irbid : l’imam radical Omar Mahdi Zeidan, qui a été vu pour la dernière fois à Mossoul, et Abu Muhammad al-Tahawi. Ce dernier jouirait d’une forte popularité parmi les Palestiniens en particulier.

Bien que la Jordanie ne constitue pas une source importante pour les rangs de l’EI et ses cadres, l’idéologie du groupe a des racines jordaniennes : son fondateur, Abou Moussab al-Zarqaoui, était de Zarqa, la deuxième plus grande ville de Jordanie.

Ces racines nourrissent encore un système qui, en dépit des efforts constants du GID et du mépris généralisé de la population envers l’EI après son assassinat par immolation d’un pilote de chasse jordanien, porte encore des fruits : environ 1 000 Jordaniens sont soupçonnés d’être partis en Syrie et en Irak pour se battre au sein du groupe – y compris les fils de deux députés jordaniens.

En décembre, l’AP a documenté dans quelle mesure l’EI avait pénétré la ville jordanienne de Karak dans le cadre d’une enquête sur la façon dont une autre jeune Jordanienne avait été attirée dans le groupe.

Les raids de mardi ont abouti à sept arrestations et sont intervenus après une série de raids moins importants dans lesquels treize autres personnes qui seraient liées à la cellule ont été arrêtées pour terrorisme.

Alors que les combats commençaient à s’atténuer dans les premières heures de mercredi, Tarek, jeune diplômé en commerce, était optimiste concernant le fait que cela n’était qu’une anomalie et certainement pas le début du basculement de la Jordanie dans l’insécurité.

Par-dessus le grondement occasionnel des grenades, il souriait. « Demain, ce ne sera plus rien. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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