Aller au contenu principal

Les drones chinois économiques et meurtriers qui survolent le Moyen-Orient

L’Irak, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont acheté des drones militaires à la Chine, élargissant l’utilisation de ce type d’armement aux conflits de la région
Un drone chinois exposé lors d'un défilé militaire sur la place Tiananmen à Pékin, en 2015 (AFP)
https://www.youtube.com/watch?v=soSR7N65D0U

Les images ne sont pas nettes, mais cependant assez précises pour distinguer la cible : on y voit un pickup argenté stationné sur une digue de sable et trois individus qui se tiennent à proximité. À peine plus d’une seconde plus tard, le véhicule explose dégageant un nuage de fumée et de poussière et faisant voler en éclats des fragments métalliques et humains à travers le désert.

La vidéo de l’attaque qui s'est produite à Samarra, en Irak, a été diffusée par le ministère de la Défense irakien, qui y a ajouté une musique symphonique pour illustrer la destruction des baraques, des véhicules et des combattants supposés de l'État islamique.  

Mais le dispositif utilisé n’était pas une arme américaine. Il s’agissait du nouvel appareil chinois qui fait fureur : le drone CH-4 Cai Hong, ou « Arc en ciel ».

Le Moyen-Orient connaît bien les drones exploités par les États-Unis, qui ont fait des milliers de victimes au cours de ces dix dernières années.

Mais aujourd’hui, de plus en plus de nations pénètrent ce marché grâce à un nouvel acteur : les fabricants chinois qui proposent du matériel très bon marché et adoptent une politique de ventes peu regardante.

La Chine a fait preuve d’une stratégie marketing très dynamique pour commercialiser le CH-4 qui ressemble étrangement au MQ-9 Reaper (« faucheuse », en français) américain et offre les mêmes capacités.

Là où les États-Unis ont refusé de vendre leur arme, la Chine est entrée en scène : l’Irak, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte seraient désormais en possession de variantes de drones militaires chinois.

Contrairement aux États-Unis, la Chine n’ayant pas signé le Traité international sur le commerce des armes (ATT), elle peut vendre la technologie des drones sans être soumise à autant de contraintes que son concurrent.

Les États-Unis se sont efforcés de préserver leur longueur d’avance sur le marché des drones en limitant les ventes. La Chine, de son côté, ne s’embarrasse pas de ce type de scrupules.

Tandis qu’un Reaper américain coûte 30 millions de dollars, certains drones militaires chinois se vendent pour la modique somme d'un million de dollars.

https://www.youtube.com/watch?v=5Y0dyZK8yxU

Les forces irakiennes exposent leur drone et maîtrisent la technologie.

Selon les analystes, de telles disparités en termes de prix et de disponibilité ont conduit les gouvernements ayant fait preuve d’un bilan douteux en matière de droits de l'homme à se doter d’équipements militaires de haute technologie parmi les plus perfectionnés du monde.

« Ils [les drones chinois] offrent une alternative meilleur marché par rapport aux dispositifs américains, qui ne peuvent pas être vendus à autant de pays en raison des restrictions auxquelles sont soumis les États-Unis », constate Peter Singer, spécialiste des drones militaires à la New America Foundation.

« Certains pays, loin de pouvoir dresser un bilan irréprochable en matière de droits de l'homme, ont tendance à faire usage de leurs armes, qu’il s’agisse de drone ou de canon à eau, sans s’encombrer des principes fondés sur le respect des droits de l’homme ».

Ayant une portée d’environ 3 500 km, le CH-4 peut transporter des bombes et des missiles téléguidés avec une extrême précision et peut survoler les zones ciblées pendant 40 heures.

Rasha Abdul-Rahim, conseillère en armement auprès d’Amnesty, souligne que la Chine, en raison de son statut de non-signataire du traité ATT, peut tout à fait ignorer les doutes qui pèsent à l’encontre de certains acheteurs.

Et d’ajouter : « Si un État sait que le commerce des drones doit servir à perpétrer un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, le transfert ne sera pas autorisé ».

« De la même façon, il appartient aux États exportateurs de juger s’il existe ou non un risque éventuel que le commerce des armes serve à commettre ou à favoriser de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire internationaux et, le cas échéant, ne pas autoriser la vente d’armes. »

Jusqu’à présent, l’Irak est le pays qui s’est le plus exposé avec ses CH-4.

Mais l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient utilisé des drones lors de la guerre qu’ils mènent au Yémen. Alors que les attaques de drones n’ont pas pu être vérifiées, leur utilisation serait attestée par des photos satellite et par des images d’un drone abattu par les rebelles houthis, ressemblant au CH-4.

L’Arabie saoudite a été condamnée par de nombreux organismes, notamment par Human Rights Watch, Amnesty International et le Parlement européen pour avoir perpétré des attaques aveugles sur des civils au Yémen.

En janvier dernier, un groupe d’experts des Nations unies a réclamé une enquête internationale après avoir trouvé des preuves confirmant que des violations du droit humanitaire avaient été perpétrées par centaines. L’Arabie saoudite a nié ces allégations.

La coalition saoudienne a également perdu quatre avions pendant la première année d'exploitation – provenant respectivement des forces aériennes de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Bahreïn et du Maroc.

Ces pertes auraient pu pousser la coalition à envisager l’utilisation de drones.

« Certains craignent que l'usage de drones minimise l'estimation des risques associés à une opération, et que, par conséquent, les obstacles qui précèdent l'engagement dans une attaque soient sous-évalués  », rapporte Peter Singer. « Les responsables politiques accepteront plus facilement d’utiliser des drones que de prendre le risque de mettre leurs pilotes en danger. »

Et, si les pilotes de drones sont plus en sécurité, 90 % des victimes d’attaques de drone pourraient être des cibles involontaires ou des « dommages collatéraux », selon des fuites provenant du programme de drones américains.

Selon Abdul-Rahim, « il y a un risque non négligeable que les drones soient utilisés au Yémen. »

« Amnesty International exhorte tous les États à s’assurer qu’aucun équipement militaire, arme, munition ou technologie susceptible d’être utilisé dans le conflit ne soit transmis aux parties impliquées dans la guerre au Yémen – que ce soit directement ou indirectement – jusqu’à ce qu’elles mettent un terme à ces graves violations. »

https://www.youtube.com/watch?v=iTKoj4zWczc

Le recours au programme de drones chinois est une alternative meilleur marché et plus facilement disponible que l’offre américaine.

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].