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Meurtrie, Mossoul appréhende la menace d’un retrait américain

La reconstruction est lente et les craintes d’une résurgence du groupe État islamique sont fortes. Pour ne rien arranger, les tensions entre Washington et Téhéran alimentent la peur
Vue d’une rue détruite du vieux Mossoul. Avant la bataille de Mossoul de 2017, ces rues constituaient le cœur d’une vieille ville animée (MEE/Finbar Anderson)
Par Federica Marsi à MOSSOUL, Irak

Dans l’ancien bastion irakien du groupe État islamique (EI), la sécurité est aussi précaire que ses vestiges croulants.

Une plaque de béton, qui était peut-être autrefois un cadre de fenêtre, pend désormais d’une maison de deux étages éventrée, telle une branche cassée. L’acier de l’armature, à la vue de tous, plie vers l’extérieur.

Dans les ruelles abandonnées de la vieille ville de Mossoul, violemment reprise au groupe extrémiste en octobre 2017, chaque bâtiment abrite son propre tas de décombres.

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Des vêtements boueux, des chargeurs d’armes rouillés et des dizaines de corps, probablement ceux de combattants de l’EI, sont à moitié enfouis dans le mélange de terre et de béton.

Peu d’habitants ont eu les moyens financiers et la force mentale nécessaires pour retourner dans leurs quartiers en ruines. Jusqu’à présent, l’aide internationale a fourni une bouée de sauvetage à ceux qui reviennent, mais les tensions politiques entre les États-Unis, l’Iran et ses alliés irakiens font craindre une réduction de l’aide et une résurgence de l’EI.

« Nous sommes nombreux à être inquiets », confie Saib Abd el-Karim, propriétaire d’un magasin de téléphonie, qui est retourné chez lui dans l’ouest de Mossoul après être parti deux ans. La perte du soutien américain aurait selon lui des répercussions désastreuses.

Certains considèrent la présence américaine comme une sorte de bouée de sauvetage pour ceux qui sont rentrés à Mossoul. Ces derniers vivent à l’aide de projets financés depuis l’étranger, dont une partie provient de Washington.

Néanmoins, la présence américaine en Irak est désormais compromise.

Suite à l’assassinat par les États-Unis du général iranien Qasem Soleimani et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, numéro deux de l’organisation paramilitaire irakienne des Hachd al-Chaabi, le Parlement irakien a voté en faveur de l’expulsion des forces américaines du pays.

Les travailleurs reçoivent une généreuse rémunération de 20 dollars par jour pour enlever des débris, peindre des murs ou encore planter des arbres, pour une période maximale de 60 jours ouvrables

Même si ce vote était non contraignant, des dizaines de milliers de personnes ont défilé vendredi dernier à Bagdad pour réclamer la fin de la présence des troupes américaines et un élan s’est formé.

Abd el-Karim a pu relancer son entreprise grâce aux revenus d’un programme de travail contre paiement mené par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui a fourni 20 000 emplois aux personnes revenues dans l’ouest de Mossoul.

Les travailleurs reçoivent une généreuse rémunération de 20 dollars par jour pour enlever des débris, peindre des murs ou encore planter des arbres, pour une période maximale de 60 jours ouvrables.

« Nous avons besoin de toute l’aide que nous pouvons obtenir pour reconstruire cette ville », affirme Abd el-Karim.  

Affaibli mais pas vaincu

Le PNUD, principal acteur de la mise en œuvre d’activités de stabilisation dans l’Irak post-État islamique, travaille également à la reconstruction des infrastructures publiques et à la fourniture de services essentiels, notamment d’eau et d’électricité.

Zena Ali-Ahmad, représentante résidente du PNUD en Irak, explique à Middle East Eye que par le biais de l’USAID, les États-Unis ont apporté environ 28 % du total des fonds collectés à ce jour – environ 363 millions de dollars – à travers l’Irak.

« Dans l’ensemble, les tensions actuelles entre les États-Unis et l’Iran n’ont pas eu d’impact sur le financement, la priorisation et la mise en œuvre des projets de stabilisation du PNUD en Irak », précise Ali-Ahmad.

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Vue de la vieille ville détruite de Mossoul depuis l’autre rive du Tigre. Quelques familles sont revenues vivre parmi les décombres (MEE/Finbar Anderson)

Les habitants de Mossoul sont cependant méfiants. En 2018, le président Donald Trump a brusquement mis fin à l’aide américaine affectée à l’UNRWA, l’agence des Nations unies venant en aide aux réfugiés palestiniens. La volonté de faire pression sur les dirigeants palestiniens pour les pousser à faire des concessions politiques a joué un rôle important dans la suppression de cette aide.

Les États-Unis ont couvert environ un tiers du budget de l’UNRWA pour 2017 et depuis lors, cette coupe budgétaire plonge l’organisation dans le désarroi.

Selon un porte-parole de l’USAID, « [ses] programmes en Irak continuent d’être mis en œuvre et le personnel ainsi que les partenaires opérationnels de l’USAID sont toujours dans le pays ». Toutefois, « la sécurité de tous les programmes de l’USAID fait l’objet d’un examen constant ». 

En cas de non-fourniture d’une assistance aux habitants de Mossoul, ces derniers seraient sous la menace de l’attrait de groupes radicaux comme l’EI, affaibli mais pas vaincu.

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« La lutte contre l’EI est plus que jamais d’actualité », assure Ali-Ahmad, du PNUD. « La situation actuelle souligne la nécessité de poursuivre et même d’intensifier nos efforts de stabilisation. »

La précarité de cette situation est palpable lorsque l’on traverse le Tigre pour se rendre dans l’ouest de Mossoul, où se trouve la vieille ville, position finale où les combattants de l’État islamique se sont retranchés.

Les ronds-points sont surveillés par des forces de sécurité lourdement armées et des véhicules blindés du service irakien de lutte contre le terrorisme passent souvent à toute vitesse parmi les décombres, signe probable d’un raid imminent.

Même s’il a perdu tout son territoire, l’État islamique dispose toujours de combattants qui s’implantent à Mossoul et les habitants craignent que les membres du groupe reviennent en ville.

La semaine dernière, une opération a abouti à l’arrestation de Shifa al-Nima, un haut responsable de l’EI, dans une banlieue de Mossoul. Il a été emmené dans un centre de détention à l’aide d’un camion plateau : son poids, 254 kg, le rendait incapable de marcher.

Tout retrait des troupes américaines ne ferait que rendre Mossoul plus vulnérable au retour des combattants.

« Je n’ai pas de nourriture à la maison »

Cependant, les forces de sécurité ne sont pas uniquement déployées contre l’EI. Elles sont également présentes lors de la distribution de l’aide, ce qui témoigne du niveau de désespoir des habitants de cette ville meurtrie.

Devant la succursale mossouliote de la Barzani Charity Foundation (BCF), un agent de sécurité se tient au sommet d’un véhicule blindé alors que des hommes et des femmes se bousculent pour récupérer des boîtes d’aide alimentaire.

D’autres, ne pouvant passer la table d’enregistrement, affirment qu’ils ont présenté tous les documents requis mais qu’ils n’ont pas encore reçu d’aide. Ils supplient qu’on les laisse passer, de peur de rentrer une nouvelle fois bredouilles.

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Une femme attend de recevoir de l’aide avec ses enfants au cours d’une distribution à Mossoul (MEE/Finbar Anderson)

Yusra Abdallah, 32 ans, mère de deux enfants, a du mal à joindre les deux bouts depuis que son mari est mort au combat lorsque Mossoul est tombée aux mains de l’EI en 2014. En tant que veuve d’un officier de l’armée, elle devrait avoir droit à une pension d’État, qu’elle n’a jamais reçue.

« Je suis venue ici pour m’inscrire, je n’ai pas de nourriture à la maison », confie-t-elle. Jusqu’à présent, son frère l’a aidée à subvenir aux besoins des enfants, mais il a désormais du mal à trouver un emploi.

D’après Rizgar Obed, directeur du bureau de la BCF dans la province de Ninive, les familles se dirigent de plus en plus vers des camps de déplacés, où elles peuvent avoir accès gratuitement à de la nourriture et à un toit. « Nous recevons en moyenne cinq à dix familles par jour », indique-t-il. 

Un séjour de longue durée dans les camps risque cependant d’exacerber la stigmatisation sociale et l’isolement. En fin de compte, prévient-il, cela pourrait finalement engendrer une nouvelle génération d’Irakiens désabusés.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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