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Paroles d’assignés à résidence : « On m’empêche de vivre »

Ils sont trois, assignés ou épouses d’assignés, qui ont accepté de raconter à Middle East Eye le poids que cette mesure fait peser sur leur vie
Depuis les attentats de novembre 2015 à Paris, 434 personnes ont été concernées par des assignations à résidence en France dans le cadre de l'état d'urgence (AFP)

Sonia : « Je suis en prison, mais à l’air libre »

Elle est à bout. Sonia a 25 ans et vit seule avec un bébé de 2 ans. Trois fois par jour, à 9 h 30, 14 h et 19 h, elle doit « pointer », c’est-à-dire se présenter au commissariat de la petite ville de banlieue parisienne où elle habite depuis peu et signer un registre. Dix kilomètres effectués par jour à pieds, avec son bébé, quel que soit le temps. En outre, il lui est interdit de sortir de chez elle de 20 h à 7 h du matin, ainsi que de sa ville, sauf autorisation expresse du préfet.

Sonia est assignée à résidence depuis treize mois. Son assignation a été constamment renouvelée, suivant en cela les prolongations de l’état d’urgence en France sur lesquelles elle est calquée. La dernière fois, son assignation a été renouvelée pour une durée de trois mois supplémentaires, jusqu’à mars prochain. « Si je veux voir un médecin, aller dans des administrations, faire des courses hors de cette ville, emmener ma fille au zoo, je ne peux pas. Je suis en prison, mais à l’air libre ».

Il lui est reproché deux faits, selon elle : « En 2013, ma meilleure amie est partie en Syrie pour rejoindre un homme là-bas. Je l’avais hébergée. Elle est d’origine marocaine mais née en France [comme Sonia]. Sa famille a prétendu que je l’avais incitée à partir, que j’étais à l’origine de sa radicalisation. Certes je savais qu’elle allait partir. Mais en 2013, je ne savais pas ce qui se passait là-bas et si je ne l’ai empêchée de partir, je ne l’ai jamais incitée. Elle-même le dit et précise que je ne suis pour rien dans sa décision », explique-t-elle à MEE.

À LIRE : Le coup d’état d’urgence permanent : l’assignation à résidence en France

Autre fait reproché : le mari de Sonia, français d’origine algérienne, est en détention provisoire depuis deux ans, pour association de malfaiteurs liée à une entreprise terroriste. Il sera jugé en janvier. Mais pour Sonia, « la grande majorité des faits reprochés se sont déroulés avant notre mariage. Nous nous sommes mariés en décembre 2013, je ne le connaissais pas avant. Je suis responsable de mes propres faits et pas de ceux de mon mari. De plus, il n’est pas encore jugé et nie les faits qui lui sont reprochés ».

Le quotidien est évidemment compliqué par cette mesure d’assignation. Originaire du sud-ouest de la France, elle a souhaité déménager pour se rapprocher de son mari incarcéré en banlieue parisienne. Les voyages devenaient trop compliqués : « Je devais faire l’aller-retour, soit deux fois 700 kms, entre 8 h et 23 h obligatoirement. Je devais me présenter au commissariat de Bordeaux avant de prendre train. Puis, arrivée à Montparnasse, je devais me présenter au commissariat de la gare. Puis au commissariat de la ville où mon mari est incarcéré. Puis à nouveau à mon retour à Bordeaux. Parfois, les différents commissariats ignoraient comment cela devait se passer. Une fois, on m’a fait attendre plus de deux heures, à mon retour, avec mon bébé. Mais on m’a autorisé seulement quatre visites en un an ».

« Je suis persuadée qu’on veut me pousser à bout pour que je craque, ce qui leur donnerait une raison de m’incarcérer »

« Cela a été long avant qu’on m’accorde l’autorisation de déménagement. Même pour chercher un appartement, il fallait demander une autorisation de sauf-conduit ; j’ai trouvé l’appartement mais pendant deux mois, j’attendais l’autorisation d’y emménager. Mon propriétaire s’est posé des questions. »

Depuis, Sonia désespère : « Je ne suis absolument pas dangereuse, je ne cautionne en rien l’idéologie extrémiste. Si on m’avait proposé un stage de déradicalisation, même si je ne me considère pas comme radicalisée, je l’aurais suivi. Mais je n’ai jamais été entendue par personne. Je le vis comme un acharnement. Je ne suis jamais partie, je n’ai rien à me reprocher ».

Sonia dit « ne tenir que pour sa fille ». « Je ne comprends pas qu’on impose cela sans qu’un juge intervienne. Je ne peux pas travailler car il faut pointer. On m’empêche de vivre. Mon frère ainé s’est marié en septembre dernier ; on ne m’a pas autorisée à assister à la cérémonie qui a eu lieu dans une ville à 50 kms de celle où j’habitais. Je suis persuadée qu’on veut me pousser à bout pour que je craque, ce qui leur donnerait une raison de m’incarcérer. »

Elle n’ignore pas qu’une action en justice sous un délai de deux mois contre l’arrêté d’assignation était possible. Mais, note-t-elle, « on n’en sait pas plus que cela, ni les démarches, ni le fait qu’on a droit à une aide juridictionnelle. Ils donnent le papier et au revoir. J’ai contacté des avocats plusieurs fois mais ils m’ont dit : ‘’comment voulez-vous qu’on vous défende alors qu’on ne peut même pas vous rencontrer’’. Car pour sortir de ma ville natale, il fallait une autorisation ».

K. : « Veulent-ils que je meure de faim ? »

K. a 30 ans. La mesure est toute récente pour lui. Le 9 décembre 2016, il s’est vu assigné à résidence jusqu’en juillet 2017, date de la fin de l’état d’urgence qui a été prolongé pour la cinquième fois le 14 décembre dernier.

« On me reproche d’avoir donné des cours à une mosquée d’une ville voisine.  Mais c’était des cours de math aux enfants. On dit que c’était des cours de Coran ou je ne sais quelle doctrine. De plus, selon ce qui est notifié dans mon assignation, je connais un tel qui connaît un tel qui connaît un tel… qui aurait été en Syrie. En outre, je fréquentais une mosquée qui a été fermée [pour « radicalisation »] ; 22 autres personnes de la ville où je vis [en banlieue parisienne] ont été frappées d’interdiction de sortie du territoire. Six ont été assignées à résidence, je suis le septième. Tous l’ont été pour des motifs aussi flous. »

 
Assignation à résidence de K.

Depuis, K. doit « pointer » au commissariat de sa ville à 8 h 30, 12 h 30, 19 h 30 et 20 h, puis couvre-feu jusqu’à 6 h. Il ne peut quitter la ville où il vit au risque d’une amende de 15 000 euros et d’un an prison.

Avant cette assignation, K. avait d’abord fait l’objet d’une IST (Interdiction de sortie du territoire) et de trois perquisitions administratives, dont une très rude : « La première, ils sont juste venus chercher des papiers. La seconde a été normale, propre. Mais la troisième était juste de la sauvagerie. Je leur avais pourtant expliqué que je ne m’opposerais à rien. Ils étaient dix, m’ont menotté, sont rentrés dans les chambres. Je leur ai demandé de laisser à ma femme le temps de s’habiller, rien à faire. Les habits et les meubles ont été renversés, tout cela pour prendre un ordinateur et un téléphone qui étaient devant eux ».

« Soit la France reconnaît et assume qu’elle n’est plus un État de droit. Soit elle l’est encore et alors, que chacun ait ses droits »

Depuis, K. ne peut plus travailler et le budget familial a drastiquement diminué : « Je suis de facto interdit de travailler. Sans dédommagement. Veulent-ils que je meure de faim ? J’étais professeur particulier de math, je ne peux plus donner ces cours à domicile. J’étais aussi négociant en automobile, j’ai des fournisseurs à l’extérieur que je ne peux plus voir ».

K. déplore également le mal fait à sa réputation : « Je connais bien mes voisins. J’avais demandé à cacher mes menottes quand ils m’ont emmené, ce fut un refus net ».

K. a pris un avocat et conteste l’IST et l’assignation : « Est-ce que ces mesures ont fait cesser les attentats ? Soit la France reconnaît et assume qu’elle n’est plus un État de droit. Soit elle l’est encore et alors, que chacun ait ses droits. Mais je fais confiance en la justice de ce pays ».

Depuis la perquisition « musclée » au domicile familial, les enfants de K. ont peur : « Ils ont 8 ans, 4 ans, 2 ans et 1 mois. Quand ils voient une voiture de police, ils veulent se cacher. Avant, pour eux, la police défendait, maintenant elle terrorise ».

Nour : « On peut juste reprocher que mon mari soit barbu et fréquente une mosquée »

La voix de Nour est lasse, encore. Les événements ont été rudes pour elle et pour sa famille : « Nous avons eu une perquisition au lendemain des attentats de novembre 2015, le 15 exactement.  Elle a été très, très musclée : à 4 h du matin, les hommes du RAID, la police avec des chiens renifleurs, ont cassé la porte. Mon mari s’est interposé pour leur signaler qu’il y avait des enfants et a pris un coup de bouclier au visage. Ils ont braqué les armes sur le petit de 6 ans. Mes enfants font des cauchemars. Ils m’ont levée du lit, menottée, m’ont enlevé mon bébé des bras. Ils sont entrés dans la chambre des enfants. Jusqu’à 8 h. Ils sont partis en disant ‘’on n’a rien trouvé, mais ce sont les ordres’’. Suite à cela, mon mari a été assigné à résidence. Il devait pointer quatre fois par jours (8 h, 13 h, 15 h, 19 h) ».

« Mon mari s’est interposé pour leur signaler qu’il y avait des enfants et a pris un coup de bouclier au visage. Ils ont braqué les armes sur le petit de 6 ans »

Cette mère de famille de 39 ans reprend : « On n’a rien compris à ce qui nous arrivait. On est pratiquants, mais on est des gens modérés. Dans le procès-verbal, on parle de radicalisation de mon mari et du fait qu’il aurait fait des repérages près de la gendarmerie de Nice, là où on vit. Mais cela a été démonté par notre avocat. Mon mari avait un ami habitant en face de cette gendarmerie. On peut juste reprocher que mon mari soit barbu et fréquente une mosquée ».

Nour : « On a peur qu’ils reviennent dès qu’il y a des attentats » (MEE)

Durant la perquisition, Nour doit donner le code d’accès à son compte Facebook : « Mais il n’y avait rien à signaler. Une interprète était là aussi pour vérifier les cours d’arabes que mon mari avait dans son ordinateur ».

Nour interroge encore cette perquisition. Deux jours avant, la police était en effet venue chercher son mari. Ce dernier, averti par Nour, s’était rapidement rendu au commissariat : « Et le lendemain, ils font une perquisition. Pourquoi ? Tout cela a été filmé, la vidéo tourne encore sur le net. Les autorités ont voulu montrer à travers mon mari qu’elles agissaient. La télé était avertie. Elle a présenté mon mari comme étant un ‘’salafiste dangereux’’, avec son nom et prénom. Les gens ne me saluaient plus ».

« Les autorités ne se sont pas inquiétées de savoir comment nous vivions pendant huit mois, avec nos quatre enfants, ajoute-t-elle. Nous n’avons eu aucune aide. »

« Les autorités ne se sont pas inquiétées de savoir comment nous vivions pendant huit mois, avec nos quatre enfants. Nous n’avons eu aucune aide »

Le mari de Nour, 40 ans, est resté assigné à résidence pendant huit mois. Heureusement pour lui, son employeur connaissant son sérieux et lui avait emménagé des horaires de livraison dans sa ville pour qu'il ne perde pas son emploi. L’assignation levée, il a pu reprendre ses tournées dans toute la France. Nour, elle, a perdu son emploi d’assistante maternelle, l’agrément nécessaire délivré par le Conseil général lui ayant été retiré après cette affaire. Une procédure est en cours pour le récupérer.

Mais le mari de Nour est encore fiché S : « Sans preuve. On a essayé de savoir pourquoi, mais rien. On est en suspens. On a peur dès qu’il y a des attentats. Quand il y a eu l’attentat à Nice, on a craint qu’ils reviennent ». 

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